Article de Louis Vautier paru dans L’Humanité, 29 septembre 1949 ; suivi de « Dix agressions en deux nuits dans la région parisienne », L’Humanité, 13 septembre 1949 ; « Le problème algérien », L’Humanité, 14 septembre 1949 ; « Une protestation des travailleurs algériens », L’Humanité, 15 septembre 1949 ; « Raisons véritables de la criminalité », L’Humanité, 16 septembre 1949 ; « Pour faire réellement échec aux gangsters », L’Humanité, 17 septembre 1949 ; « Contre une campagne de division à caractère raciste », L’Humanité, 26 septembre 1949 ; Emmanuel Fleury, « La sécurité de la population parisienne est mal assurée. Mais à quoi utilise-t-on la police ? », L’Humanité, 12 octobre 1949 ; « Les Nord-Africains font part au préfet de la Seine de leur indignation devant les campagnes racistes d’une certaine presse », L’Humanité, 10 novembre 1949.

DEPUIS quelque temps on peut voir dans la presse – l’Aurore avec Bénazet, le Monde, France-soir, etc … – une campagne bien orchestrée contre les Algériens vivant dans la région parisienne, que l’on rend, comme le baudet de la fable, responsables de tous les maux, agressions, vols ou autres actes de gangstérisme.
Cette campagne raciste inspirée par les colonialistes a pour but, en premier lieu, d’essayer de dresser la population de Paris et de la banlieue contre les Algériens, afin de permettre que soient prises à leur égard des mesures discriminatoires aggravées.
Elle sert d’autre part à masquer l’insuffisance et l’incapacité de la police à mettre un terme à l’activité des gangsters qui chaque jour multiplient leurs exploits. Cette police est d’ailleurs équipée, suivant les méthodes américaines, d’engins modernes, et elle est destinée à être utilisée dans un but de classe, contre les travailleurs et les démocrates.
Mais cette campagne a pour but en définitive de reconstituer la « brigade nord-africaine » qui fut créée par Chiappe en 1925 et dissoute après la Libération.
Cette brigade ne faisait qu’humilier, espionner les travailleurs algériens, moucharder les militants syndicaux et politiques ; elle servit, sous l’occupation nazie, à fournir de la main-d’œuvre aux usines d’Allemagne ou aux chantiers du mur de l’Atlantique. Sans doute voudrait-on aujourd’hui s’en servir pour fournir des hommes pour la sale guerre du Viêt-Nam.
Après la Libération, tout le monde fut d’accord pour supprimer cette brigade. Chacun reconnaissait son rôle néfaste ; il se trouve aujourd’hui des journalistes, des élus municipaux R.P.F. pour demander sa reconstitution.
Si les Algériens viennent nombreux en France, c’est qu’ils sont chassés de leur pays par la misère née du colonialisme : les revenus des grands domaines permettraient de faire vivre largement les travailleurs algériens qui préféreraient rester chez eux plutôt que s’expatrier.
Il n’est que de prendre comme exemple la Société minière de l’Ouenza dans laquelle sont représentés des intérêts financiers puissants, tels que ceux de la Banque de l’Union Parisienne, de l’entreprise Hersant, de la maison Rothschild et qui a effectué en 1946 pour un capital de 120.300.000 francs un bénéfice net de 150.426.000 francs, pour 1947 pour un capital de 300.800.000 francs et un bénéfice net de 76.367.000 francs et en 1948 un bénéfice de 910.436.000 francs.
Tous ces bénéfices amassés par la grosse colonisation sont autant de richesses dont sont privées les populations algériennes.
La politique de préparation à la guerre pratiquée par le gouvernement accroit le chômage, développe la misère. Les travailleurs algériens en sont les premières victimes. La police dans son impuissance à arrêter les gangsters à la Buisson, ou un chef de bande comme le R.P.F. Dordain, voleur des bons d’Arras, retourne sa hargne contre les travailleurs algériens qui, dans les luttes revendicatives, sont toujours aux côtés des ouvriers qu’ils rejoignent dans leurs organisations syndicales.
Au Conseil municipal de Paris, au Conseil général de la Seine, aucune session ne se passe sans que le groupe communiste n’intervienne en faveur des travailleurs algériens, pour améliorer leur situation, pour faire disparaître les discriminations raciales et les mesures vexatoires à leur égard.
Les travailleurs ne se laisseront pas diviser par cette campagne de presse ; c’est ensemble qu’ils lutteront pour que l’on fasse droit aux légitimes aspirations nationales du peuple algérien, contre le chômage, la misère et pour la défense de la Paix.
Louis VAUTIER,
conseiller général de la Seine.

Dix agressions en deux nuits dans la région parisienne
Durant la nuit de dimanche à lundi, quatre nouvelles agressions, commises dans la région parisienne, se sont ajoutées aux six qui s’étaient produites dans la nuit précédente.
Or récemment, le préfet Léonard déclarait à « l’Aurore » – évidemment – que le banditisme était en régression.
Façon de voir.
Hier, parlant à Dijon, le ministre de l’Intérieur Jules Moch a déclaré que pour lutter contre le gangstérisme, un projet de loi était à l’étude prévoyant une augmentation des pénalités, une plus grande rapidité dans la répression et l’application de mesures préventives. « La criminalité est moins forte qu’avant guerre, a-t-il ajouté, alors que le pourcentage des malfaiteurs arrêtés est plus important. »
Les Parisiens qui, passé 22 heures, se font attaquer dans tous les arrondissements auront une opinion toute différente quant à cette dernière affirmation.
La vérité, c’est que la police n’est pas employée à son utilisation normale : la chasse aux voleurs et aux criminels.
Quand il s’agit d’occuper la S.N.E.C.M.A. d’Argenteuil ou de matraquer des travailleurs qui luttent pour la paix, on trouve immédiatement des milliers et des milliers d’agents, de C.R.S., de gendarmes qui disparaissent brusquement quand il s’agit de prévenir le crime ou d’en arrêter les auteurs.
Certains journaux, soucieux de défendre l’indéfendable Jules Moch et son préfet de police font aussitôt campagne en accusant ceux qu’ils nomment les Nord-Africains de toutes les agressions.
En réalité, la responsabilité du ministre de l’Intérieur et celle du gouvernement sont entières. C’est parce qu’ils se soucient beaucoup plus de réprimer par la force les revendications populaires que de traquer les bandits que Paris et la France entière sont devenus une terre de choix pour les gangsters.

Le problème algérien
Dans L’AURORE, M. Henry Bénazet examinant « le procès de l’immigration nord-africaine » prétend que c’est l’accroissement de la population qui contraint beaucoup de Berbères, de Kabyles, de Chleuhs à venir en France. Et il décrit leur sort :
Ils sont voués à l’état de manœuvres. La mine, le haut fourneau, la fabrique de produits chimiques, voilà l’inéluctable terme de leur exode. Entassés à plusieurs dans des taudis, mal nourris, proies fatales de la tuberculose et de la syphilis, la plupart réussissent, après force privations, à expédier là-bas, à leur famille, des mandats qui paraissent somptueux aux gens du douar et suscitent, hélas ! d’autres venues.
On ne saurait souhaiter aveu plus éclatant, de la part d’un colonialiste forcené, de la surexploitation à laquelle les travailleurs algériens et marocains sont soumis en France par les capitalistes, avec l’appui du gouvernement.
M. Bénazet reconnaît par ailleurs que la misère des Algériens a pour cause « l’égoïsme de la métropole qui sabota si longtemps le développement de l’Algérie ». Le collaborateur de L’AURORE se garde bien de mettre en cause à ce sujet le colonialisme, dont chacun sait qu’il est fondé sur le maintien des pays opprimés dans un état économique arriéré, dans le rôle de fournisseurs de matières premières et de main-d’œuvre à bon marché.

Une protestation des travailleurs algériens
Les travailleurs nord-africains de Paris (C.G.T.) protestent contre la campagne raciste actuelle organisée par une partie de la presse à leur encontre.
Ils déclarent que le meilleur moyen de lutter contre le gangstérisme est d’abord d’enrayer le chômage et de procurer de l’ouvrage à tous les travailleurs, sans exception.

Raisons véritables de la criminalité
L’Humanité n’a pas été sans insister maintes fois sur ce que découvre actuellement une certaine presse, à savoir la recrudescence de la criminalité.
Seulement, semblant obéir à un mot d’ordre, cette presse en question conclut froidement : « C’est la faute des Algériens ».
Comme si Pierrot le fou, Girier, Buisson et les autres étaient nés de l’autre côté de la Méditerranée.
La vérité, les travailleurs le savent, c’est que cette recrudescence actuelle d’agressions, de vols, de crimes vient tout droit de la déliquescence de plus en plus accusée du régime capitaliste et de la misère qu’il provoque.
Seconde raison : la police est utilisée surtout dans un but de classe, contre les travailleurs, les démocrates, les Résistants, au lieu d’être engagée en entier contre les gangsters.
Le fait que des Algériens, abstraction faite des exagérations racistes, soient à l’occasion l’objet de poursuites en correctionnelle ou aux Assises, n’a rien à voir avec leur qualité d’Algériens.
C’est souvent parce qu’en tant que travailleurs ils ont été plus que tous autres exploités : pour le salaire, pour la dureté des travaux pour le logement.
La question mérite largement qu’on y revienne. Mais déjà les travailleurs ne laisseront pas prendre ce prétexte actuel de la criminalité pour se laisser diviser.
C’est ensemble qu’ils combattront la misère, le chômage et l’exploitation.

Pour faire réellement échec aux gangsters
« Des textes », fait dire le gouvernement, sont en préparation pour faire « échec aux gangsters ». Le garde des Sceaux se fait interviewer … comme lorsqu’il était question des incendiaires des Landes, vous savez, ceux qu’on devait traquer sans ménagements.
Bref, il paraît que les peines prévues contre les auteurs d’agressions vont être renforcées. On oublie simplement que pour juger, il faudrait peut-être commencer par capturer les bandits. Et surtout que le but normal d’une police qui coûte suffisamment cher aux contribuables est d’empêcher les agressions et d’assurer préventivement la sécurité des honnêtes citoyens. Ce n’est pas d’occuper des usines ni de matraquer les ouvriers.
De ceci et de cela, pas un mot. Voici pour les effets du banditisme.
Quant aux causes, à savoir la déliquescence chaque jour plus marquée du capitalisme, la misère croissante qu’il provoque, ce n’est pas de l’actuel gouvernement qu’il faut attendre quoi que ce soit. Et pourtant c’est en supprimant la misère qu’on supprimera le banditisme. Et la misérable diversion d’une presse officieuse, qui accuse par racisme les Algériens de tous les méfaits fera long feu.
Les travailleurs savent, en effet, que l’exploitation capitaliste est encore pire pour les Algériens que pour quiconque.
A eux les professions où, au bout de deux ans, on échoue à l’hôpital ou en sanatorium, à eux les bas salaires, à eux les taudis insalubres, à six par pièce, à eux les premières mises à pied.
Les travailleurs savent aussi que l’immense majorité des Algériens est honnête.
Que certains d’entre eux aient été déférés à l’occasion à des tribunaux n’a rien a voir avec le fait qu’ils étaient des Algériens.
Proposer des mesures d’exception serait une inqualifiable injustice.
Les travailleurs ne se laisseront pas ainsi diviser par une misérable propagande raciste.
Questions au préfet de police
Nos camarades Raymond Bossus, Demeure, Fleury, Collin, Germaine Barjon, ainsi que M. Alban Satragne ont adressé au préfet de police une question écrite dont voici le texte :
Chaque jour les Parisiens peuvent constater l’absence des gardiens de, la paix à de nombreux carrefours de la capitale, sauf en ce qui concerne les voies du centre où la surveillance est réglée par les brigades de circulation.
Il s’ensuit que dans de nombreux cas, à la suite d’accidents matériels très graves, les auteurs ou victimes de ces accidents doivent avoir recours à Police-Secours après avoir vainement cherché un gardien de la paix pendant 10 ou 15 minutes.
S’ajoutant aux encombrements créés par une telle situation la dépense pour le déplacement de plusieurs gardiens par cars est supportée par les contribuables, lesquels ne peuvent admettre que plus leur sécurité est mal assurée, plus ils ont à payer cher.
En conséquence, les conseillers susnommés demandent au préfet de police de leur faire connaître :
1°) le nombre d’accidents de la circulation survenus à Paris depuis le 1er janvier 1949, par arrondissement ;
2°) combien d’accidents ont été réglés par un gardien trouvé sur place ;
3°) combien de déplacements de cars de police-secours ont été sollicités par les auteurs ou victimes d’accidents ;
4°) quel a été le montant des dépenses occasionnées par ces déplacements ?

Contre une campagne de division à caractère raciste
A la suite de la campagne de presse sur le soi-disant banditisme des Nord-Africains, la commission confédérale des travailleurs Nord-Africains proteste énergiquement contre cette provocation accolant à ces travailleurs le monopole du banditisme.
Elle dénonce là une campagne qui n’a pour but que de tenter de diviser les travailleurs et de les dresser les uns contre les autres sous le fallacieux prétexte de racisme.

La sécurité de la population parisienne est mal assurée
Mais à quoi utilise-t-on la police ?
LA population parisienne est légitimement émue du grand nombre d’agressions.
Pour calmer cette émotion, la Préfecture de Police fait état de statistiques tendant à démontrer que la criminalité est en régression depuis deux ans.
Cependant, le préfet de police lui-même, devant la commission de la police à l’Hôtel de Ville, déclarait récemment « qu’il y avait eu, en effet, ces derniers temps, un nombre élevé d’agressions ; que la police a réalisé un grand nombre d’arrestations et qu’elle ne pourra guère faire plus. »
Voilà qui n’est pas très rassurant ; n’en déplaise à la presse réactionnaire qui vient, pour les besoins de sa mauvaise cause, de louanger la gestion policière du R.P.F. et de son préfet de police.
Et ce n’est pas la répression orientée contre la population d’origine algérienne qui résoudra le problème de la sécurité. Cette partie de la population est parmi la plus déshéritée, la plus exploitée, elle a besoin d’assistance et de justice sociale plutôt que de police.
Malgré des charges de police écrasantes pour les contribuables parisiens (18 milliards, soit trois fois plus qu’en 1947), la sécurité de la population parisienne est de plus en plus mal assurée.
Par des propositions précises, le groupe des élus communistes a fait la démonstration, à la tribune du Conseil municipal, qu’il était possible de réduire les charges écrasantes de ce budget sans préjudice pour la sécurité des Parisiens.
Ils ont dénoncé le fait que la police est actuellement occupée, par application d’une politique d’inspiration fasciste, contre les travailleurs pour leur imposer le plan de misère et de préparation à la guerre, dicté par les impérialistes américains.
Pendant que la police est envoyée contre le peuple qui défend son droit à la vie, pendant qu’elle est occupée à rafler les urnes de la paix ou à des opérations d’état de siège, comme à la S.N.C.A.C., au Bazar de l’Hôtel de Ville, etc., pendant qu’elle barre le chemin de l’Arc de Triomphe aux anciens prisonniers de guerre qui réclament leur pécule, elle n’est plus disponible contre les gangsters. Des postes de police sont sans agents, des carrefours aux abords des écoles sont délaissés, les patrouilles ne sont plus ou mal assurées.
Ce n’est pas l’annonce spectaculaire de la création de quinze brigades « territoriales » de police judiciaire qui peut tranquilliser les Parisiens. Le préfet ne reconnaît il pas lui-même « que la police ne pourra guère faire plus » dans la répression de la criminalité. Bien sûr puisqu’on l’emploie à faire autre chose, car il faut le répéter, on escompte, par la création de ces brigades territoriales, obtenir des possibilités de compensation pour le « maintien de l’ordre ». On sait ce que cela veut dire.
De même les élus communistes ont dénoncé avec raison l’entreprise de mouchardage (réédition du carnet B) ayant pour mission d’établir, en liaison avec le patronat, des rapports sur les militants des organisations ouvrières et démocratiques dans les entreprises. Ils ont demandé que cessent immédiatement de telles pratiques contraires à l’esprit républicain.
La sécurité de la population, nous le répétons, sera mieux assurée dans la mesure où la police ne sera pas orientée contre le peuple, mais où elle sera au contraire en sympathie avec lui. C’est cela d’ailleurs que le salut du pays et de la démocratie exige.
Emmanuel FLEURY,
conseiller municipal de Paris,
conseiller général de la Seine.

Les Nord-Africains font part au préfet de la Seine de leur indignation devant les campagnes racistes d’une certaine presse
La presse réactionnaire mène depuis quelque temps une violente campagne contre les Nord-Africains en France.
Le but de cette campagne raciste est de dresser une partie de la population contre les travailleurs nord-africains.
Une délégation du Comité provisoire de vigilance et de coordination pour la défense des Nord-Africains en France, accompagnée par des membres du conseil général de la Seine, dont nos camarades Vautier et Denis, ainsi que le docteur Huet (socialiste) et Villa (M.R.P.) s’est rendue avant-hier auprès du préfet de la Seine.
La délégation présidée par M. A. Yalaoui, des cadres des assurances, lui, a fait part de l’indignation des milieux nord-africains en face des attaques dont ils sont l’objet.
D’autre part elle a demandé au préfet de se pencher sur le sort des travailleurs nord-africains de la région parisienne, notamment en ce qui concerne l’habitat, la Sécurité sociale et la formation professionnelle.
La délégation a ensuite demandé au préfet le désaveu officiel de la campagne de presse dont le caractère est nettement raciste.
Les conseillers généraux ont déclaré partager la légitime indignation ressentie par les Nord-Africains.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.