Article de Léon Feix paru dans L’Humanité, 8 mai 1950, p. 3

LE 8 mai 1945, les peuples du monde entier fêtaient l’écrasement militaire de l’hitlérisme.
Les Algériens avaient participé activement à la grande lutte pour la liberté. Par dizaines de milliers, ils avaient pris part, au sein de l’armée d’Afrique, aux campagnes de Tunisie, de Sicile, d’Italie, de France, d’Allemagne. Dockers, cheminots, métallos, paysans avaient, depuis le débarquement allié de novembre 1942, accompli de grands efforts en vue de développer au maximum l’effort de guerre.
Comment aurait-il pu en être autrement ? La Charte de l’Atlantique ne reconnaissait-elle pas le droit pour tous les peuples à disposer d’eux-mêmes ? C’est-à-dire, pour les peuples opprimés, le droit de se débarrasser du carcan colonialiste et de vivre enfin libres, conformément aux buts de guerre des Alliés.
Les Algériens s’apprêtaient donc, le 8 mai 1945, à manifester comme les autres peuples leur volonté d’un avenir meilleur, dans la joie de la victoire commune. Mais les colonialistes français ne l’entendaient pas ainsi. Ce qui importait pour eux, c’était le maintien de leurs monstrueux privilèges. Et, pour cela, il leur fallait essayer de briser le mouvement de libération nationale en pleine croissance. Par tous les moyens.
Et ce fut la provocation fasciste qui, déclenchée le 8 mai 1945 à Sétif, s’étendit bientôt à tout le Constantinois, avec l’appui direct du chef du gouvernement provisoire, de Gaulle, qui n’hésita pas à utiliser l’armée et l’aviation contre des populations sans défense.
Pillage et incendie de villages entiers, exécutions sans jugement, des dizaines d’innocents brûlés dans un four à chaux près de Guelma, des centaines d’autres précipités dans les gorges de Kerrata ou dans da mer près de Bougie. Au total, 40.000 morts, la plus effroyable « saignée » colonialiste pratiquée en Algérie depuis 1871.
Toutefois – et contrairement aux prévisions des responsables des massacres – la terrible épreuve de mai 1945 n’a pas fait plier le genou au peuple algérien. Pas plus d’ailleurs que les mesures répressives prises depuis deux ans par le gouverneur général socialiste Naegelen.
Le mouvement national algérien est plus puissant que jamais. Et il a donné maintes preuves d’une grande maturité politique.
C’est ainsi, par exemple, qu’après le Parti Communiste Algérien, tous les autres partis qui composent le mouvement national ont dénoncé l’inclusion contre son gré de l’Algérie dans le Pacte de l’Atlantique.
Par ailleurs, depuis plus de dix mois, les 10.000 dockers algériens n’ont pas chargé un seul bateau à destination de l’Indochine, donnant un magnifique exemple de lutte pratique contre la guerre.
Enfin, la participation massive des travailleurs algériens expatriés en France aux manifestations du Premier Mai, à Paris et dans de nombreuses autres villes, témoigne de leur volonté de renforcer encore le front antiimpérialiste qui unit le prolétariat français et les peuples opprimés d’outre-mer.
Tout cela ne fait évidemment pas l’affaire des impérialistes. L’Afrique du Nord tient une place importante dans les plans des fauteurs de guerre, notamment comme base stratégique et comme source de « chair à canon bon marché ». Il leur faut donc essayer de briser les résistances qu’ils rencontrent. Quel meilleur moyen, pensent-ils, que de monter – cinq ans après les événements de mai 1945 – une nouvelle provocation, créant les conditions d’une nouvelle « saignée » ?
Depuis un mois, la presse marshallisée mène une campagne effrénée sur la prétendue constitution de dépôts d’armes en Algérie. Comme en 1945, les colonialistes découvrent un « complot » pour tenter de camoufler le seul complot existant, le leur. C’est le prétexte à des dizaines d’arrestations de progressistes, dont certains sont torturés suivant des méthodes que n’aurait pas désavouées la Gestapo. D’autre part, les poursuites se multiplient à l’encontre des militants communistes pour leur action contre la guerre du Viêt-Nam : deux secrétaires du Parti Communiste Algérien, Larbi Bouhali et Bachir Hadi Ali, sont ainsi actuellement l’objet d’une inculpation.
Toutefois, les impérialistes français et leurs maîtres américains se trompent lourdement s’ils croient ainsi venir à bout du mouvement algérien de libération : l’exemple du Viêt-Nam montre que, dans les conditions présentes, rien ne peut briser la volonté d’un peuple décidé à arracher sa liberté.
Et puis, nous ne sommes plus en 1945. Un puissant mouvement d’action unie se développe en Algérie contre la provocation impérialiste, obligeant Naegelen à reconnaître tout l’odieux des campagnes de presse qu’il a lui-même inspirées, en plein accord avec le gouvernement français.
Le danger n’en demeure pas moins très sérieux. Les démocrates doivent être alertés. Il s’agit, après les récents événements de Côte-d’Ivoire, d’empêcher un nouveau crime colonialiste. Un crime à l’égard d’un peuple qui lutte contre nos propres ennemis. Et un crime destiné à accélérer les préparatifs impérialistes de guerre.
Un grand devoir de solidarité agissante s’impose donc à tous les Français honnêtes et, en premier lieu, aux communistes. Ceux-ci ont en effet à faire entrer dans la vie les paroles que Maurice Thorez adressait aux représentants des peuples d’outre-mer dans son discours de clôture au XIIe Congrès :
« Le Parti, Communiste Français, fidèle à ses traditions, ne faillira pas à son devoir et continuera à lutter pour soutenir vos justes revendications de liberté et d’indépendance. »
Cette promesse, nous la tiendrons.
Léon FEIX.
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