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Abdelaziz Menouer : La guerre impérialiste et les parias coloniaux

Article d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri paru dans L’Humanité, 30 juillet 1924, p. 1 ; reproduit dans Le Paria, n° 28, août 1924, p. 1

Août 1924 est le 10e anniversaire de la guerre impérialiste. Le prolétariat ne doit pas oublier ce jour affreux où le capitalisme a perpétré le crime le plus abominable que connaisse l’histoire. Les appétits déchaînés de quelques magnats de la finance et de la grosse industrie, leur lutte acharnée pour l’accaparement du marché mondial ont lancé le prolétariat entier dans le plus affreux carnage.

Pour abuser la classe ouvrière qu’on assassinait on décora ce crime du nom de guerre du Droit ; on eut recours au mensonge : toute la bourgeoisie et ses agents (nationalistes enragés, radicaux, socialistes) préconisèrent l’Union sacrée et empoisonnèrent l’esprit des travailleurs par des formules démocratiques ; les chauvins invoquèrent la Patrie, les socialistes la Liberté, l’Eglise son Dieu.

Pour alimenter la guerre on ne recula devant aucune illégalité, aucune trahison et quand le réservoir humain menaça de tarir on se rabattit sur les esclaves des colonies.

Alors, par bateaux bondés, on vit débarquer des Algériens, des Marocains, des Malgaches, des Annamites, des Sénégalais. Le prolétariat métropolitain acclamait ces hommes de couleur qui venaient se faire tuer pour la civilisation. Mais personne ne se demandait comment ces indigènes furent recrutés et à quels procédés barbares l’impérialisme dut recourir pour les contraindre à sacrifier leur vie.

En Europe, les capitalistes utilisèrent des socialistes pour justifier l’agression qu’ils avaient organisée, dans les colonies ils eurent recours à des maquignons de chair humaine indigènes, tels que le négrier Diagne, du Sénégal, et le sinistre Ben Siam, d’Algérie.

Puis les devises menteuses firent place à la trique, à la brutalité.

En Algérie et en Tunisie, pour rafler le matériel humain, on piétina les conventions les plus solennelles ; et, comme du vil bétail, les indigènes furent razziés, parqués, puis expédiés à la boucherie. Et quand certains d’entre eux se révoltèrent, comme à Batna, par exemple, on eut recours à une sauvage répression : leurs villages furent brûlés, leurs femmes, leurs enfants furent mitraillés. Aujourd’hui encore les Arabes frémissent au souvenir des horreurs de Belezma, de Perrégaux, d’Aïn-Touta.

En Indo-Chine, les esclavagistes Sarraut, Outrey et consorts ont appliqué les mêmes violences pour recruter les « volontaires » (sic) qui devaient assurer la production d’engins meurtriers. Pour échapper à leur cruauté et pour se rendre inaptes, les Annamites s’empoisonnaient, se droguaient et comme beaucoup se sauvaient pour échapper à la boucherie, on inscrivit sur leur dos et leurs poignets un numéro d’ordre indélébile au moyen d’une solution au nitrate d’argent.

Au Sénégal, la cruauté des colonialistes dépassa toutes limites. Les malheureux noirs qu’on présentait comme des grands enfants, des « Ya bon » charmés de tuer le « Boche », virent le retour de la traite. Avec eux on ne prenait même plus la peine de justifier le crime. On tendait une chaîne à chaque bout de la rue principale d’un village et on déclarait « engagés volontaires » tous ceux qui se trouvaient là.

Puis comme le « volontariat » ne rendait pas assez, les administrateurs et leurs négriers allaient dans la jungle, capturaient les noirs qu’ils attachaient par le cou et les conduisaient au port d’embarquement ? C’est ainsi que furent recrutés les « volontaires » noirs qui se firent massacrer pour la « civilisation » en France et aux Dardanelles.

J’en ai vu à leur retour du front, fous à lier ; ils avaient été si ébranlés par la vue des horreurs du champ de bataille, des moyens de furieuse destruction, qu’ils en avaient perdu la raison. On les ramenait hébétés, attachés dans les camisoles de force. La bourgeoisie « raffinée » européenne avait terrifié par sa cruauté ce qu’elle considérait comme « des sauvages ».

Les négriers dépassaient en sauvagerie les marchands d’esclaves de l’antiquité. Le progrès n’avait servi qu’à l’assassinat de la classe productrice pour le profit d’une minorité de parasites, la philosophie des social-traîtres leur avait fourni l’enveloppe d’absolution. La haine ou l’amour des races furent prêchés suivant les circonstances ; la classe ouvrière fut assez dupe pour les entendre et ne comprendra, qu’après la terrible leçon qui lui fut infligée pour sa crédulité, toutes ces hypocrisies chauvines et patriotardes.

Les résultats furent cruels : des dizaines de millions de morts et d’invalides, et dans ces chiffres il y a un bon nombre d’esclaves coloniaux. Que la classe ouvrière s’en souvienne et sache que le capitalisme qui recruta ces indigènes pour sa guerre, les recrutera demain pour noyer dans le sang la révolution prolétarienne dans quelque pays d’Europe où elle se produise.

Que tous les prolétaires du monde tendent dès maintenant leurs mains à ces parias jaunes, bruns ou noirs, qu’ils se groupent avec eux dans la seule organisation de classe où ils puissent les rejoindre : celle de la lutte pour le renversement du régime d’exploitation et de meurtre : l’Internationale Communiste.

EL DJAZAIRI.