Préface d’Abdelaziz Menouer alias El Djazaïri, à la brochure du secrétariat colonial de la C.G.T.U., L’indigénat, code d’esclavage, Paris, 1928, p. 5-8

Parmi les revendications immédiates des travailleurs indigènes d’Algérie, il en est une des plus importantes que nos syndicats unitaires ont inscrite à leur programme de lutte contre le capitalisme et qui est celle de l’abolition de l’Indigénat.
Pour la majorité des travailleurs et même des militants français de la Métropole, l’Indigénat est encore une énigme.
Qu’est-ce que I’Indigénat ? nous demandent-ils.
C’est pour répondre à cette question que nous donnons, dans cette brochure, l’explication générale de ce code médiéval qui régit encore, après un siècle de domination, les indigènes d’Algérie. Parlons d’abord de ses origines.
En Algérie, dès que la bourgeoisie française eut terminé l’occupation du pays par les armes et domine le peuple algérien par la force, elle institua sa dictature.
La colonisation qui devait poursuivre son œuvre d’accaparement des terres, de rapt des richesses du sol et du sous-sol, devait aussi légaliser l’annexion même des habitants. Elle promulgua le Senatus-Consulte du 14 juillet 1865 qui proclamait les Algériens sujets Français.
Cette assimilation forcée posait, dans son premier article, ce principe : « L’indigène musulman reste soumis à la loi musulmane. » La formule était élastique et laissait croire aux vaincus qu’on respecterait leurs institutions. Mais, par contre, on édifiait un système de lois répressives qui devaient les tenir indéfiniment courbés sous le joug de l’esclavage impérialiste.
Bien entendu, on ne conserva des institutions indigènes que celles qui ne portaient aucune atteinte à la domination française ou même la favorisaient: toutes celles qui, par leur réaction, retardaient l’évolution des masses. Mais au fur et à mesure, et suivant les besoins du conquérant, on décréta des mesures répressives encore plus réactionnaires.
Par l’ordonnance du 28 février 1841, les tribunaux français devinrent seuls compétents en matière pénale et appliquèrent les lois françaises. Les lois françaises ? c’étaient celles qui soumettaient l’indigène à des obligations plus rigoureuses que celles imposées aux citoyens français : impôts, service militaire, etc., et ne lui reconnaissaient en retour aucune des libertés et droits politiques acquis par ceux-ci.
Pire. La législation française lui supprima tous ceux dont il jouissait sous le règne des Deys. Il n’eut plus aucune garantie. Il est aujourd’hui condamne pour des délits qui ne sont pas imputables aux Européens. La juridiction et les peines qu’on lui applique diffèrent aussi, mais avec plus de rigorisme.
Chaque année, malgré l’appareil colonialiste effroyable, malgré une politique systématique d’oppression, d’obscurantisme (600.000 enfants algériens courent les rues ou travaillent dans les exploitations coloniales faute d’écoles), d’avilissement par l’alcool et la prostitution, un nouveau décret vient s’ajouter pour étouffer la moindre manifestation d’émancipation.
Et cet amas, de plus en plus écrasant, de lois ne visant qu’un but : l’exploitation toujours accrue d’un matériel humain de travail et de combat, la sujétion pour une durée illimitée d’un peuple avide d’indépendance et qui cherche à se libérer de la tutelle d’un impérialisme insatiable et cruel, est ce qu’on appelle communément l’Indigénat.
Les ouvriers métropolitains qui coudoient dans les chantiers, les usines et les mines des travailleurs coloniaux jetés par le capitalisme dans toutes ses exploitations industrielles, ignorent souvent le régime abominable qui maintient 40 millions d’êtres humains au rang de la bête. Par une propagande intéressée, cyniquement, l’impérialisme français rend l’indigène des colonies responsable de tous les maux dont il l’afflige. Et parfois l’ouvrier européen, trompé par cette campagne de haine, donne dans le panneau et se prête à cette manœuvre de division. Il ne sait pas qu’en vertu de l’Indigénat l’impérialisme peut bannir, interner des indigènes qui ont organisé un syndicat ou parlé en public. Il ne sait pas que les fonctionnaires peuvent battre, emprisonner sans aucun jugement. Il ne sait pas qu’on peut faire travailler l’indigène 10 et 12 heures par jour, pour des salaires qui parfois, comme dans l’Afrique Occidentale française, sont officiellement fixés à 2 fr. 50 par journée de travail. Il ne sait pas qu’il n’y a pour ces peuples, noirs, bruns ou jaunes, aucune liberté de presse, d’association, de voyage ; qu’on les emprisonne pour des crimes de lèse-majesté, comme sous le féodalisme.
Le cadre restreint de cette brochure ne nous permettra pas de citer les milliers de cas de torture froidement perpétrée, les meurtres innombrables accomplis au nom de la colonisation « civilisatrice » ; nous n’exposerons que les mesures de législation coloniale en vigueur en Algérie et nous les illustrerons de quelques faits récents. Si par leurs textes, ces mesures constituent, d’après des jurisconsultes bourgeois éminents, une atteinte criminelle contre les droits de l’homme, leur application revêt des formes de barbarie inouïe.
Les travailleurs français doivent comprendre que cette situation politique et économique effroyable, imposée aux peuples coloniaux qui constituent une armée inépuisable de travail et de combat, ne manque pas d’avoir ses répercussions et sur leur niveau d’existence, et sur leur mouvement révolutionnaire.
Dans leur lutte quotidienne pour les revendications immédiates qui leur sont propres et pour lesquelles ils doivent entrainer les travailleurs coloniaux, les ouvriers français doivent, pour réaliser cette unité indispensable, lutter pour les revendications particulières des indigènes algériens.
Ils doivent entre autres exiger, par tous les moyens, l’abolition de l’Indigénat, ce code monstrueux, qui entrave toute velléité de défense et de combat des indigènes.
Ils doivent en étaler et dénoncer toute l’ignominie.
Les coloniaux sauront ainsi que l’Indigénat est l’œuvre du capitalisme français et non celle de son prolétariat. Ils pourront ainsi faire cette distinction. Car elle est nécessaire dans le mouvement révolutionnaire que nous poursuivons.
EL DJAZAIRI.
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