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Abdelkader Hadj Ali : L’infamie de la bourgeoisie algérienne

Article d’Abdelkader Hadj Ali alias Ali Baba paru dans Le Paria, Troisième année, n° 23, 1er février 1924, p. 1

Cinq années se sont écoulées depuis qu’une délégation de bourgeois algériens vint à Paris faire une démarche infâme auprès du gouvernement pour la prorogation de l’indigénat.

Cette délégation était composée de marabouts débauchés, de caïds serviles et d’élus indigènes répugnant de lâcheté et de trahison. Ils furent les agents de l’impérialisme français qui usa de leur concours et d’une grossière supercherie pour retirer aux Algériens les maigres droits qu’ils lui avaient arrachés la veille. Ils répétèrent le prétexte que leur souffla le gouvernement : l’accession des indigènes aux droits de citoyen français serait pour eux un danger ; donner une liberté politique à une population inéduquée serait remettre une arme à feu entre les mains d’imprudents enfants. Quel cynisme ! Oui, la suppression de l’indigénat ne pouvait être un danger que pour les colons enrichis de la sueur du burnous, pour cette légion de fonctionnaires corrompus, de caïds voleurs qui voyaient la fin de leur règne d’exploiteurs. Dorénavant, l’indigène formulerait ses revendications, il en avait les droits. Pour eux finissaient les tripots et la soumission d’un troupeau de cinq millions d’êtres dont on tondait la laine à même le dos. Finies aussi les sinécures, les expropriations, les bastonnades.

Pour accomplir cette coquinerie, le colonialisme français en chargeait sa complice, la bourgeoisie algérienne. Ignoble besogne ! Digne d’une bourgeoisie ignorant son rôle historique et se montrant plus réactionnaire que le conquérant européen.

Que penser pourtant de cette clique d’entremetteurs qui se pâme d’extase devant l’évolution des peuples islamiques de la Turquie, de l’l’Egypte, de l’Inde, quand, elle-même, par son action, soutient le jeu de l’impérialisme et empêche l’évolution des autres peuples islamiques ? Cette « élite » a oublié le rôle, plus grand, que lui dictent les lois mêmes de l’évolution et du progrès. En bâillonnant ses frères de misère, en les maintenant dans leur état d’esclavage, elle a arrêté sa propre évolution. Elle ne se doute pas que plus ses coreligionnaires seront dans une situation politique et économique précaire moins elle aura cette chance de parvenir ! Elle restera toujours un bas maquignon entre l’impérialisme français et ses frères miséreux. Cette situation leur suffit peut-être. Elle ne suffit pas à l’ensemble des peuples opprimés. Si la bourgeoisie indigène a pu se développer pendant la guerre, qu’elle ne se trompe pas : elle a profité des circonstances qui exigeaient son concours et aplanissaient les haines que lui vouait la bourgeoisie européenne. L’après-guerre a rétabli l’hostilité du colonialisme pour son développement. Et elle, en aveugle, s’obstine à prêcher la passivité à la masse, comme si l’on pouvait arracher, par la docilité, des concessions à un gouvernement impérialiste.

Il apparaît donc indéniable maintenant que l’émancipation des indigènes algériens sera l’œuvre des exploités eux-mêmes. La guerre, en développant le machinisme, en rapprochant les peuples, a éveillé la conscience de classe du prolétariat. La bourgeoisie algérienne peut rester dans sa léthargie, les masses ouvrières indigènes que le capitalisme européen jette dans les centres industriels font dans l’enfer de l’usine leur éducation de classe. Ils apprennent dans la lutte pour l’existence que toutes les bourgeoisies se ressemblent, et pour abattre l’exploitation ils feront comme la Russie soviétique : d’un coup de balai, ils nettoieront deux régimes : l’impérialisme français et la bourgeoisie oppressive indigène. Ils ne se sacrifieront pas pour instaurer une bourgeoisie nationale, mais par la révolution communiste ils anéantiront l’impérialisme et le nationalisme exploiteurs.

Ali BABA.