Article de Slimane Kiouane paru dans Le Libertaire, troisième série, trente-et-unième année, n° 416, 7 février 1925, p. 2

Devant les périodes de famine qui ont sévi en Algérie, les Sidis ont dû partir en exode. Cette fois-ci, la cause est une grande misère faite par des salaires dérisoires et par la brutalité criminelle des chefs indigènes, surtout des Européens.
Nous quittâmes donc notre terre natale, laissant femmes, enfants, vieux parents et amis espérant plus de bien-être en France. Hélas ! l’erreur fut grande, car nous eûmes l’opinion publique française contre nous.
Au lieu de nous aider par une fraternité à supporter notre souffrance, notre misère en ce pays, elle se rit cyniquement de nous et c’est d’un air de dégoût qu’elle nous appelle les « Sidis ».
Certes, nous sommes des Sidis ; des hommes faits comme tous les autres : hommes en chair et en os, ayant un même estomac que le vôtre.
Nous devons avoir de vieux habits tout crasseux, car le blanchissage est hors de prix. Nos bas salaires sont insuffisants et nous ne pouvons donc penser à nous habiller un peu mieux. Nous pensons, nous les Sidis, qui avons un cœur comme le vôtre, à soulager la misère de ceux que nous aimons et qui sont de l’autre côté de la Méditerranée. Nous devons enfin nous restreindre et ainsi habiter à 7 ou 8 une petite chambre d’hôtel infecte « drôle de manière de nous faire comprendre l’hygiène ».
L’opinion publique a été touchée et s’est laissée induire en erreur par des journaux défendant les gros colons français d’Algérie et en voici la raison.
Devant le nombre considérable d’Algériens ayant quitté leur pays, les colons européens ont vu leur chair a travail diminuer d’effectif et ceux restant là-bas sur le point d’augmenter leur salaire. D’autre part, ces capitalistes coloniaux craignent à juste raison, que nous prenions conscience de nous-mêmes au contact de nos frères de misère français. Forts dans notre union, nous pourrons leur poser nos revendications justifiées : à travail égal, salaire égal. Nous, les Sidis, considérons les colons coloniaux comme des vautours, bêtes rapaces et malfaisantes s’étendant sur nos contrées, sur nos régions, pour nous dépouiller de nos biens et jouir de la sueur de notre chair.
Ainsi nous faisons appel à l’opinion publique afin de nous aider dans notre effort de relèvement moral et de nous considérer dorénavant comme des frères.
Nous voulons notre libération et redevenir les pionniers du progrès mis au service du travail.
Nous voulons une société d’hommes libres, c’est-à-dire la suppression de cette néfaste autorité qui nous rend esclave.
KIOUANE SLIMANE.
P. S. – C’est par erreur que l’article paru dans le « Lib. » de dimanche dernier, ayant pour titre « Civilisation française en Algérie », a été signé d’un nom musulman. Il émane d’un camarade du groupe d’action algérien.
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