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Un message de Messali Hadj

Message de Messali Hadj au meeting du 21 décembre 1954 à la salle Wagram (interdit), paru le 23 décembre 1954 dans Le Libertaire

Un message de Messali Hadj, parvenu à Daniel Guérin, devait être lu au meeting. Nous le publions ci-dessous. Nous apprenons que depuis ce message et les communications téléphoniques entre Messali Hadj et Daniel Guérin, les conditions de détention du leader algérien ont été renforcées et que la police lui a interdit de quitter sa chambre.


CHERS CAMARADES

MON ami Daniel Guérin m’a fait part de la tenue de ce meeting auquel vont assister les ouvriers de la région parisienne, pour protester contre la répression qui fait rage en Algérie.

Il y a quelques jours j’ai appris par la voie de la presse que le journal le « Libertaire » avait été saisi pour avoir dénoncé la répression et la gravité de la situation en Algérie. En plus l’article 80 a été appliqué aux dirigeants de ce journal.

Tout d’abord, je tiens à me solidariser avec tous les camarades ainsi qu’avec leur journal, qui ont fait l’objet d’inculpations en vertu de ce dernier article, du code pénal. Nous sommes à vos cotés pour flétrir le colonialisme qui fait tant de victimes dans cette fameuse Union Française. Je crois de mon devoir de vous envoyer le présent message pour saluer le meeting et lui souhaiter un grand succès.

Le prolétariat parisien doit savoir qu’avant les événements du 1er novembre l’Algérie, comme l’Afrique du Nord tout entière, était soumise à un véritable régime de camp de concentration. Le « calme » que la presse et les discours officiels se plaisaient à mettre en relief était précisément ce calme qui règne dans les prisons et qui très souvent annonce des explosions et des mutineries.

Voici trente ans que nous avons dénoncé cette situation, sans trouver auprès de tous les gouvernements qui se sont succédé jusqu’à présent la moindre compréhension et la moindre prise en considération de nos protestations. Bien au contraire, nous avons été bien souvent jeté dans des prisons et envoyé en résidence forcée pour avoir osé défendre un peuple qui gémissait sous un régime d’exploitation à outrance et de grande misère.

Depuis 1934 jusqu’à nos jours le peuple Algérien ne connaît que dissolutions, perquisitions, arrestations et incarcérations. Cette forme de répression s’est développée et a revêtu par la suite des méthodes nouvelles. Celles-ci consistent à étendre la répression sur le plan économique, politique, social et culturel. Dès lors aucun Algérien ne pouvait y échapper.

Il y a des villas dans l’Algérois où les militants du M.T.L.D. sont torturés pendant plusieurs jours avant d’être envoyés en prison. Moulay Merbah, secrétaire général du M.T.L.D. a été arrêté le 1er novembre 1954 et est resté pendant toute une semaine entre les mains de la police, au cours de laquelle il a été passé au régime de la baignoire, de l’électricité et de la bastonnade. Son avocat Me Renée Stibbe a protesté plusieurs fois auprès de la Justice contre son maintien dans cette maison d’aveux spontanés, chose contraire à la loi.

Le cas de Moulay Merbah n’est malheureusement pas le seul car il y a actuellement des centaines de militants qui subissent le même sort. Ce n’est là qu’un aspect de la répression car il y a aussi les descentes de police à n’importe quelle heure de la nuit ou de la journée qui sont en réalité des expéditions punitives. Il y a également les ratissages avec tout le cortège de misères qu’ils comportent.

C’est dire que depuis le 1er novembre le peuple Algérien est soumis à une nouvelle épreuve qui ne cède en rien à celle du 8 mai 1945.

C’est pourquoi le meeting d’aujourd’hui organisé par le prolétariat français a une importance considérable, parce qu’il marque sa solidarité au peuple algérien et montre au colonialisme que le peuple de Paris n’oublie pas ses camarades Algériens de l’autre côté de la Méditerranée.

Ce geste de solidarité de la part du prolétariat français marquera une date étant donné qu’il témoigne des bons rapports qui existent entre l’émigration nord-africaine et le peuple français.

Certes le colonialisme a cherché par tous les moyens à brouiller les cartes entre nous pour mieux nous exploiter et nous isoler les uns des autres. Il faut dire que la propagande et une certaine presse se sont appliqués à créer le racisme. Mais grâce à la vigilance des travailleurs français et des Nord-Africains, l’impérialisme n’a pu construire son rideau de fer autour de l’émigration nord-africaine.

Aussi le colonialisme ne peut plus tromper l’opinion et encore bien moins la classe ouvrière française qui côtoie les travailleurs algériens dans les champs ou à l’usine et qui se rend compte de plus en plus de la misère dans laquelle vivent ces derniers.

Tout le monde comprend aujourd’hui que les 400.000 Nord-Africains n’ont pas abandonné de gaité de cœur leurs familles et leurs montagnes pour venir subir la rudesse d’un autre climat, l’isolement et les taudis parisiens. Ils ont quitté le pays parce qu’ils ne pouvaient plus y vivre, ni y faire valoir leurs droits.

Cette émigration suffit à elle seule à condamner d’une manière éclatante plus d’un siècle de colonisation. En effet tous les grands domaines, les vignobles aux milliers d’hectares, les mines, les forets et toutes les richesses de l’Algérie sont la propriété des gros terriens. Par ailleurs toute l’administration, les Assemblées Algériennes sont des instruments de colonisation.

Face à cette situation brillante, notre peuple vit dans les bidonvilles et voit ses deux millions d’enfants jetés dans la rue faute d’écoles. Notre population est a 90 % composée d’illettrés.

Si aujourd’hui des millions d’hommes luttent avec acharnement pour se libérer des servitudes coloniales c’est parce que les régimes qu’ils subissent sont devenus intenables. Et si il y a des explosions en Afrique et en Asie c’est parce qu’aucun autre moyen d’expression n’a pu toucher l’impérialisme qui, de plus en plus, est devenu implacable.

Au moment où tous ces évènements surgissent malgré la patience des peuples opprimés, j’adresse un appel pressant au peuple français pour qu’il tende une main fraternelle au peuple algérien qui veut vivre libre.

Cela nous permettra de préparer d’un côte comme de l’autre de la Méditerranée, un avenir de justice, de liberté et de solidarité entre les hommes et les peuples.

Fait ce jour aux Sables-d’Olonne, 18 décembre 1954.
MESSALI HADJ,
Proscrit Politique.