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Idir Amazit : L’œuvre du colonialisme ou le Baobab de Tartarin

Article d’Idir Amazit paru dans Le Libertaire, 25 avril 1952 ; suivi de « Nature et aspect de la colonisation en Algérie », 2 mai 1952 ; « Par l’épée et par la charrue », 9 mai 1952 ; « La féodalité terrienne du colonat », 16 mai 1952 ; « L’industrie algérienne », 23 mai 1952 ; « Etat sanitaire et enseignement des populations algériennes », 30 mai 1952.


Le colonialisme tel qu’il est

LE célèbre Tartarin, d’Alphonse Daudet, qui prenait nos paisibles ânes de l’Atlas algérien pour de redoutables fauves du Kenya, a largement fait école avec les colonialistes. « Un baobab, disait à ses admirateurs le chasseur de Tarascon, c’est un arbre gigantesque, immense, à vous couvrir toute la superficie de Tarascon. Venez voir, j’en ai un dans mon jardin. » Et en ce lieu, il présentait une petite plante verte dans un petit pot ! Cette image du baobab est le reflet rigoureusement exact de ce que les primitifs à gages et les experts en falsifications et mensonges appellent impudemment l’ « Œuvre » du colonialisme. Rendons-leur cette justice : les maîtres du bla-bla-bla, qui s’agitent, gigotent et baratinent sur les estrades des baraques foraines des boulevards extérieurs ou de la foire du Trône de la place de la Nation, ne font pas mieux lorsqu’ils invitent les nigauds et les badauds à visiter leurs monstres, admirer leurs exhibitions. S’il est exact que le colonialisme a effectivement à son actif certaines réalisations, il n’est pas moins exact qu’elles sont dans leur quasi-totalité à l’usage et au bénéfice exclusif de la classe dominante. On a construit des routes et des chemins de fer pour desservir les domaines des « seigneurs » de la colonisation, les mines de charbon, de fer, de phosphates, des puissants trusts coloniaux. Tel conseil général dilapidera des millions à construire une route de plusieurs kilomètres reliant la route nationale X au domaine du colon Z, précisément membre du même conseil général, au sein duquel il est assuré avec ses amis colons d’une confortable et permanente majorité, grâce au système éminemment démocratique qui préside à la représentation dans les territoires d’outre-mer.

Les conseillers généraux élus par les 9 millions d’Algériens par exemple ne sauraient en aucun cas être numériquement supérieurs aux deux cinquièmes (2/5) de l’effectif des conseils généraux de leurs départements. Les trois autres cinquièmes étant dévolus à la minorité des 800.000 Européens, dits Français. Bien entendu, à tout seigneur tout honneur ; les Français votent dans un collège électoral pur, séparé. Des dépenses somptueuses, dites de souveraineté ? Elles sont aussi innombrables qu’inexcusables. Retenons quelques-unes :

– Téléphone sous-marin Alger-Oran, coût 400 millions de 1927.

– Voie ferrée Constantine-Oued Athménior (desservant les fermes de M. Bonefoy), coût 200 millions de 1927 (supprimé quelque temps après parce que ne rendant pas le moindre service à la collectivité).

– Ligne Djidjelli-El-Milia, en vue de l’exploitation des mines de Beni-Haroun, coût 300 millions de 1927. Abandonnée.

– Le Transsaharien ? Peut-être, nous dira-t-on un jour les millions inutilement engloutis.

Comme on le voit, les familles Rothschild, de Peyerimhoff, la Maison Mirabaud et leurs satellites algériens, coûtent cher à l’Algérie. Budget de classe, budget de race, le budget algérien est alimenté dans la proportion de 80 % par les Musulmans sous forme d’impôts indirects. Les statistiques officielles de l’administration et de la grosse colonisation préfèrent ergoter avec une apparente bonne foi, en soulignant la contribution relativement insignifiante des musulmans aux impôts directs. Et pour cause : les populations musulmanes ne sont plus composées dans leur immense majorité que de salariés. Ce budget a organisé lentement la sous-prolétarisation des masses, a fait la prospérité de la grosse colonisation qui le gère en maîtresse absolue, se refusant à outiller, à industrialiser le pays en accord avec le gros capitalisme de la métropole, qui veut éviter avant tout la concurrence sur le plan international. Enfin, le paupérisme et l’asphyxie de l’Algérie sont achevés par le monopole du pavillon qui oblige son commerce extérieur à passer par les seuls armateurs français, qui s’en paient une bonne tranche comme on le devine. Le pays, déjà en retard, risque de périr dans l’asphyxie et la famine, le vin a remplacé le blé et les autres céréales. On importe aussi de l’orge d’Irak. On ne veut pas industrialiser le pays, organiser et faciliter ses échanges commerciaux qui offrent des possibilités immenses et rentables. Par là même, on maintient volontairement le prolétariat dans un chômage permanent. D’autres aspects de la colonisation seront examinés dans une série d’articles à suivre.

IDIR AMAZIT.


L’œuvre du colonialisme

Nature et aspect de la colonisation en Algérie

NOUS n’insisterons jamais assez auprès des travailleurs de France, qui, de bonne foi, hélas, ne l’ignorent que trop, sur le caractère essentiellement féodal de la colonisation sous quelque parallèle qu’elle sévisse. Par paresse intellectuelle ou indifférence, toutes deux coupables, le Français ignore le problème colonial au moins au même titre que la géographie. Au moment où les convulsions révolutionnaires des peuples coloniaux secouent admirablement au prix d’un sang généreux le joug de cette monstrueuse entreprise d’esclavage et de barbarie modernes légalement codifiées, il est urgent et impératif que de ce côté-ci de la Méditerranée, le peuple des travailleurs, des honnêtes gens, nos alliés naturels en un mot, prennent conscience de leurs responsabilités morales et agissent en conséquence, c’est-à-dire dans le sens de la solidarité universelle des exploités. Si les défenseurs, les amis et les porte-parole efficaces des peuples coloniaux sont rares en France, la grosse colonisation dont les moyens matériels ne souffrent pratiquement pas de limites, peut aligner quant à elle une puissante ligue de journaux, avec une armée de pisseurs d’encre à gages, ces canailles du journalisme, chez qui la conscience n’est qu’une vulgaire marchandise de troc contre des billets bleus dans cette odieuse foire de négociants. Des millions de lecteurs et lectrices sont ainsi journellement dupés, empoisonnés par le mensonge et l’hypocrisie qui de nos tristes jours ont officiellement rang d’institutions d’état. Avec le LIB et la F. A. dont l’honneur est de ne jamais être du côté du manche quelle que soit la main qui le tient, nous essayerons de combler cette lacune dans la mesure de nos moyens, certes modestes, mais sincères et désintéressés, ce qui n’est pas peu dire au moment où la corruption, la cupidité et l’esprit de combine envahissent sans discrétion toutes les branches de la vie publique et de la société. Pour détruire les contre-vérités des valets du colonialisme qui faussent le jugement des Français, nous publierons quelques études chiffrées qui défient les polémiques et les démentis, que nous attendons de pied ferme au demeurant. Ces chiffres qui bousculeront sans ménagements les discours d’officiels les plus généreux et le plus solennels, démontreront d’une façon péremptoire la misérable hypocrisie du colonialisme « constructeur », « civilisateur … , émancipateur », etc. Avec leurs deux principales armes, le gendarme et l’ignorance organisée, les oligarchies coloniales, ils tiennent solidement l’Algérie à travers ces parlements croupions, les Délégations Financières d’hier, l’Assemblée Algérienne d’aujourd’hui, en écartant systématiquement la participation même subalterne des Algériens à la gestion des affaires de leur pays. Après 120 années de « bienfaits » colonialistes il est très aisé de dresser un bilan succinct de la situation générale du pays sur les problèmes essentiels qui en constituent la structure.

– Expropriations et concessions au détriment des Algériens.

– Situation et accroissement démographique de la colonie Européenne.

– La féodalité tunisienne du colonat.

– La paysannerie Algérienne musulmane.

– L’industrie Algérienne et la production minière.

– Etat sanitaire des populations musulmanes, Sécurité sociale.

– Instruction et enseignement.

Voici les principaux points que nous nous proposons de traiter dans nos prochains articles.

IDIR AMAZIT.


L’œuvre du colonialisme

Par l’épée et par la charrue

EXPROPRIATIONS ET CONCESSIONS TERRIENNES

Les immenses domaines que les seigneurs colons prétendent avoir payé « chèrement » en les ayant arrosé de leur sueur et « défriché » en bravant les fièvres et autres fléaux plus ou moins imaginaires, ont été tout simplement volés aux paysans algériens de diverses manières. Pour des fins d’accaparement, des terres ont été baptisées « sans propriétaires », « abandonnées », etc … En vérité, on se chargeait de faire fuir dans les montagnes des populations régionales entières, qui avaient le choix entre cette fuite et le massacre systématique lors de la conquête. Voisine de Cherchell, dont les ruines romaines, aujourd’hui encore, témoignent de l’hospitalité de la région, dominée par le Tombeau de la Chrétienne, l’immense plaine de la Mitidja, par exemple, qui n’était qu’un marais pestilentiel, aux dires des colonialistes, était tenue par des populations sédentaires parfaitement adaptées à l’agriculture, auxquelles les canons et les épées de Bugeaud ont fait élire domicile dans les montagnes Doumatas et Chenouas. C’est un brave de la fraction des Hadjoutes réfugiés dans la montagne Soumata, qui a abrégé les jours d’un conquérant dont la férocité a laissé des souvenirs sinistres, surtout en Grande-Kabylie, le colonel Bauprêtre, assassiné sous sa tente. Et là où les populations ont été quelque peu épargnées, on les a dépouillées de leurs terres « légalement », par des décrets d’expropriation, au nom de la loi du plus fort, au profit d’une horde de « conquistadors » qui suivaient l’armée. Voici quelques chiffres, incomplets, portant sur les meilleures terres algériennes, les seules rentables :

a) Sous la Monarchie et la IIe République :

1851 : 4.773 concessions (19.000 ha.).

b) Sous Napoléon III :

1853 : Compagnie Génevoise, 20.000 ha.

1862-1863 : forêts parmi les plus belles et les plus faciles à exploiter, concédées à une trentaine de bénéficiaires, parmi lesquels certains « barons désaffectés dont il fallait satisfaire les courtisanes » … , 160.000 ha. Terres à blé : 51 concessionnaires, 50.000 hectares.

1852 : Société Générale de l’Habra et de la Macta (Oranie), 25.000 ha.

c) Sous la IIIe République ;

Dans l’ensemble, régime des lots de colonisations.

1870-1877 : 100 villages, 30.000 colons.

1877 : cependant, « Compagnie Algérienne » (Constantinois), 100.000 ha.

Enfin, en 1871, une gigantesque opération de séquestre, qui ruine et dissémine les populations kabyles en châtiment de leur révolte à l’appel de Mokrani (révolte de 1856 à 1871), et qui leur coûte 2.630.000 hectares, toutes leurs terres cultivables. Et c’est ainsi que, de nos jours, les descendants des vaillants guerriers mussabillins vivent accrochés désespérément aux flancs des montagnes arides et rocheuses, qu’ils arrosent de leur sueur et de leur sang pour leur arracher une misérable subsistance.

ACCROISSEMENT DE LA POPULATION EUROPEENNE

Attires par la distribution des terres, les Européens ont peuple le néo-Pérou, conquis par les glaives de Bugeaud, avec un accroissement fulgurant … malgré la fièvre, la peste, le choléra et autres fléaux, qui ne sévissaient que pour des besoins de propagande. De 1870 à 1877 : passe de 195.000 à 268.000 habitants. En 1896, la population européenne passe à 536.000 habitants, dont déjà 218.000 étrangers. La colonisation « par procuration » commence. Très tôt, dès 1877, le « régime militaire » est aboli pour les Européens, qui inaugurent la commune de plein exercice, alors qu’il est encore de rigueur, de nos jours, dans les territoires du Sud-Algérien, pour les musulmans, qui ne sont pas plus heureux dans le Tell et les Hauts-Plateaux, ou ils subissent le fameux régime des communes mixtes. A la tête de ces dernières trônent en roitelets absolus, secondés par les fameux caïds et autres rampants subalternes, les administrateurs de communes mixtes, fonctionnaires spécialement formés à Paris sur la base de principes comme le suivant : « Quand il s’agit d’un Arabe, jetez le chien contre le chien. » De nos jours, les Européens sont près du million d’habitants.

En 1900, le « Peuplement européen » songe à son indépendance, née des troubles antijuifs et arrache son autonomie financière à la Métropole. Depuis, que ce soit à travers les défuntes délégations financières ou de l’Assemblée algérienne d’aujourd’hui, les oligarchies colonialistes gèrent les « affaires » algériennes dans le sens que l’entendent les plus nobles chevaliers de l’industrie … de l’indigène.

Toute xénophobie mise à part, signalons le caractère varié du « Peuplement européen », dit français ». On a baptisé « citoyens français » des hommes sans aveux, venus chercher une aventure fructueuse en cette terre qui fut et demeure promise par le colonialisme. Un cas parmi tant d’autres : M. Laurent Schiaffino, misérable pêcheur napolitain, dont la barque fut vomie par la tempête, il y a près d’un demi-siècle, sur nos rivages algériens, pour notre grand malheur. Aujourd’hui, ce puissant pontife, outre qu’il est un des plus grands, sinon le plus grand armateur de France, trône aux trusts suivants :

Depuis la Sanpan (ex Compagnie Ch. Schiaffino) jusqu’à la Banque de l’Algérie et les mines du Kouif, il y en a bien quelques dizaines, dont la Compagnie d’Acconage d’Alger, la Société Générale des Mines d’Algérie et de Tunisie, la Société Algérienne des Eaux, la Société des Ateliers Terrin de l’Afrique du Nord, la Compagnie des Mines de Ghar-Rouban, la Compagnie des Mines de Rarbou et de Sakamody, la Société des Mines de l’Oued Rabah et d’Aïs, la Société Minière du Haut-Guir, la Compagnie des Mines et Usines d’Algérie, Tunisie et Maroc, les Huileries Soudanaises, les Raffineries de Pétrole de l’Etang de Berre, la Société Méditerranéenne de Combustibles, d’Affrétements et de Transit, la Société Algérienne d’Agence Maritime et Commerciale, l’Agence Maritime Algéro-Scandinave, les Transports Mayer, l’Union Française et Compagnies Réunies de Fabriques d’Engins et de Produits Chimiques, etc., etc., car nous pourrions continuer à citer, mais le « pedigree » est assez éloquent.

La semaine prochaine, la féodalité terrienne des colons et la paysannerie musulmane.

Idir AMAZIT.


L’œuvre du colonialisme

La féodalité terrienne du colonat

NOUS avons vu, dans notre précédent article, comment les paysans algériens ont été dépouillés de leurs terres. Après les opérations de séquestres et d’expropriations, le colonialisme n’avait plus qu’à « défricher », à exploiter gens et terres. Rien de plus simple. Les populations indigènes déshéritées et refoulées sur les terres improductives des montagnes kabyles ou des Hauts-Plateaux, n’ont plus que la suprême ressource de se remettre au travail sur leurs propres terres, au service des colons qui les ont évincés. De plus en plus, les petits lots de colonisation tendent à disparaître, engloutis par les grands seigneurs fonciers, ce qui aboutit au grand domaine féodal généralisé. Déjà, d’après les statistiques du centenaire de la conquête, en 1930, on ne comptait plus que 26.153 colons européens, répartis comme suit :

1,8 % possédant moins de 10 hectares ;

2,24 % cultivant de 10 à 50 hectares ;

19,5 % exploitant de 50 à 100 hectares ;

76,4 % plus de 100 hectares.

Les exploitations de terres à céréales atteignent 15.000 ha. De nos jours, 1.300 gros propriétaires, dont 50 musulmans, exploitent 3.300.000 ha. des meilleures terres. Quelques exemples : domaine Dusseaux, 18,000 ha. ; domaine Germain Branthomme (Mitidja), 15.000 ha. ; la Cie Algérienne, 100.000 ha. ; la Cie Génovoise, 25.000 ha. ; de Griou (de Sidi-Bel-Abbès), 23.000 ha. ; Gratien Faure (de Redjas), 10.000 ha. en 1951 (contre 500 en 1930) ; Borgeaud, 30.000 ha. ; etc …

Entre les mains d’une centaine de gros pontifes, le vignoble couvre plus de 400.000 ha. et produit annuellement environ 25 millions d’hectolitres de vins. Ces derniers, consommés par 1/10e de la population (1 Européen pour 9 Musulmans), assurent la prospérité de la grosse colonisation, équilibrent la balance commerciale, mais entraînent la pénurie du blé et autres céréales. Les naïfs penseront que de tels revenus assurent la prospérité générale du pays par les impôts. Erreur, ces messieurs ne paient presque pas d’impôts, il est bien plus indiqué de pressurer la masse des 9.000.000 d’indigènes. Ainsi, en 1952, sur un budget de 110 milliards, les « pôvres » vignerons ne débourseront que 400 millions. Une goutte dans l’océan.

PAYSANNERIE MUSULMANE

Outre les 50 gros propriétaires assimilables en tous points aux colons français, les statistiques nous donnent 1.338.770 « propriétaires » indigènes possédant en moyenne … deux hectares. Voilà à quoi est réduite toute la paysannerie algérienne. Quant à ceux qui ne sont pas propriétaires de deux hectares, ils forment la masse anonyme des sous-prolétaires travaillant presque gratuitement. Salaires des ouvriers agricoles algériens, des étoiles aux étoiles : de 1870 à 1914, 1 fr. à 1 fr. 50 par jour ; de 1914 à 1935, 4 à 8 fr. par jour ; de 1935 à 1941, 8 à 12 fr. par jour. En juillet 1947, les « salaires furent « relevés » à … 130 fr. par jour. En 1952, ils sont entre 240 et 300 fr. selon les régions.

Pas de lois sociales, pas d’allocations familiales, pas d’organisation du travail dans l’agriculture, qui demeure un secteur « libre ». La loi votée dans la Métropole sur l’organisation du travail dans l’agriculture a vu son application refusée a l’Algérie par l’Assemblée Nationale, sur intervention du général Aumeran, député P.R.L. des puissants vignerons de la Mitidja (juillet 1947. Le problème est très simple, comme on le voit, pour tous ceux dont la profession n’est pas d’ergoter. Il y a, d’une part, la puissante junte des colons ayant à leur service des néo-jurandes qui veillent sur leurs intérêts, et, d’autre part, le bétail humain indigène, garrotté, taillable et corvéable à merci.

De marbre et cyniques, les colons, imperméables aux idées tendant à promouvoir un monde harmonieux, croient dans leur folie à leur pérennité.

Jusqu’au jour où la colère, pour l’instant silencieuse, de la masse des parias, jettera dans les ravins aux hyènes et aux chacals, ou dans les cages aux fauves, les charognes de ses traîtres et de ses exploiteurs.

Idir AMAZIT.


L’œuvre du colonialisme

L’ « industrie algérienne »

EXPLOITEE par de puissants trusts coloniaux comme un vaste monopole, l’Algérie demeure toujours imperméable à l’industrialisation. Le colonialisme redoute par dessus tout une prise de conscience combative du prolétariat algérien qui s’effectuera inévitablement par l’industrialisation qui entraîne automatiquement la spécialisation, le développement du syndicalisme, donc l’émancipation des masses inorganisées corporativement. Les maîtres du moment font tout ce qui est en leur pouvoir, et ce n’est pas peu dire, pour renvoyer aux calendes grecques sinon reculer le plus longtemps possible cette terrible échéance. Ils n’auront pas manqué de s’instruire aux récents événements de Tunisie au cours desquels l’admirable comportement des travailleurs de l’U.G.T.T. a mis en relief le rôle déterminant des masses ouvrières lorsqu’elles sont entrainées et éduquées scientifiquement et avec intensité dans le sens de l’action anticolonialiste. L’industrialisation de l’Algérie sur une vaste échelle aura des conséquences « désastreuses » pour les magnats de l’industrie française et pour les seigneurs de l’agriculture en Algérie. Elle concurrence les premiers sur les marchés internationaux et arrachera aux seconds une main-d’œuvre à trop bon marché dont le recrutement déjà devient de plus en plus difficile. « Néfaste » à plus d’un titre comme on le voit elle est combattue énergiquement par les colons d’Algérie et les industriels de la Métropole. Bien que le pays offre d’immenses possibilités pour un rapide développement industriel, l’industrie et la technique modernes sont inexistantes. Toutes les matières premières, minerais, phosphates, lièges, alfa, etc … sont exportées sitôt extraites du sol pour être rachetées à prix fort sous forme de produits manufacturés pour le seul profit du monopole du pavillon et des familles Mirabeau, Rothschild, des Peyerimhoff et autres pieuvres qui enlacent toute l’économie algérienne. Quelques bénéfices avoués au titre de l’année 1950 par quelques trusts contrôles par ces familles : Cie Algérienne 99 millions ; Crédit Foncier d’Algérie et de Tunisie 90 millions ; Lièges des Hamendas 75 millions ; Cie Minière de Mzaïta 116 millions ; Tabacs Bastos 128 millions ; Phosphates de Constantine 160 millions (contre 64 en 1947) ; Domaines de Keroulis 174 millions ; Mines de l’Ouenza (Rothschild 636 millions ; Banque d’Algérie et de Tunisie 590.000.000, etc., etc …

Le prix d’une petite paire de ciseaux à Alger équivaut au prix d’un quintal de minerai de Beni-Saf qui est un des meilleurs du monde et particulièrement recherché. Tout comme leurs collègues du secteur agricole, les maîtres des mines et autres matières premières s’enrichissent scandaleusement par les bas salaires. En 1947, le salaire horaire des mineurs algériens n’était encore que de 19 fr. 50 soit un peu plus de 3.000 fr. par mois, alors que le minimum vital des travailleurs français d’Algérie était pour la même année de 5.300 fr. contre 7.500 dans la Métropole. Les bas salaires sont méthodiquement entretenus. Acheté à 2.000 fr. la tonne aux « Bédouins » algériens qui en assurent la cueillette, l’alfa est revendu à … 45.000 fr. la tonne à l’Angleterre, soit 22 fois son prix d’achat. L’Algérien qui cueille 150 à 160 kg. d’alfa par jour recevra donc quant à lui une miette de ce royal gâteau, un salaire journalier de 300 fr. environ. L’exploitation des travailleurs algériens n’est pas l’apanage des seules organisations patronales. Complice de la grosse colonisation au sein des Comités et des Commissions chargés de fixer les salaires, l’administration algérienne exploite ses propres ouvriers et fonctionnaires musulmans. Un maçon algérien spécialisé dans la reconstruction des mines romaines de Djemila perçoit un salaire journalier de 400 fr. contre 1.100 à son camarade européen faisant le même travail. Quant à la formation technique, elle est à peine à ses premiers vagissements et se fait sur des bases et des principes racistes qui en écartent presque toujours le jeune algérien. Astreints aux bas salaires ou au chômage, les travailleurs algériens fuient ainsi leur pays pour la France qui ne leur offre pas ce qu’ils seraient en droit d’attendre d’elle ne serait-ce qu’en récompense de l’impôt du sang qu’ils ont versé sur les champs de bataille pour la protection des coffres-forts de leurs maîtres et la liberté des autres. Ils acceptent les besognes les plus rebutantes à vil salaire pour subvenir aux besoins des familles demeurées sous la férule du colonialisme de l’autre côté de la Méditerrannée.

A bonne école parmi les travailleurs français, ils prennent de plus en plus conscience de la servitude dont ils sont l’objet. Leur formation combattive s’accélère et tôt ou tard, au coude à coude avec les travailleurs français leurs frères de classe, ils feront rendre gorge et plier le genou à la section française de l’internationale des négriers et pillards colonialistes.

IDIR AMAZIT.


Dossier du colonialisme

Etat sanitaire et enseignement des populations algériennes

LES hâbleurs les plus convaincus de l’ « œuvre » du colonialisme français en Algérie ne sont forts que de l’ignorance de leurs auditeurs.

Il est très aisé pour tout esprit impartial qui l’entreprend, de les clouer au pilori. Aucune branche de la vie algérienne ne saurait mieux mettre en relief le lumineux fiasco de cette prétendue « œuvre », que l’état sanitaire, l’instruction et l’enseignement des populations algériennes. Faute de pouvoir les décimer totalement ou de les refouler dans le désert du Sahara, le colonialisme entretient méthodiquement parmi ces populations, l’ignorance la plus intégrale, dans des conditions sanitaires effroyables. Et l’on se demande que seraient devenus les Algériens sans l’extrême vitalité et résistance de leur race devant le triste lot des fléaux que la colonisation a implanté ou entretient chez eux et qui se nomment tuberculose, maladies vénériennes, alcoolisme, prostitution, paludisme, trachome, etc., etc …

Les Pouvoirs publics font preuve d’une carence aussi exaspérante qu’arrogante dans la lutte contre ces chancres sociaux qu’il est aisé de faire disparaître sinon d’amenuiser sévèrement. L’Assemblée Algérienne dilapide le budget (alimenté dans la proportion de 80 % par les Algériens en impôts indirects) pour des constructions dites de « sécurité » et de « souveraineté », constructions des casernes, prisons, gendarmeries, et se soucie fort peu de la construction des routes dans les douars, des écoles, des hôpitaux, dispensaires, centres de formations professionnelles, etc …

Car la souveraineté française et son inévitable cortège d’impératifs barbares ne peut reposer calmement que sur l’ignorance et le garrot, sur lesquels veille le gendarme qui, de temps à autre, appelle à sa rescousse les soudards et les ivrognes de la Légion, ces féroces soldats qui viennent rugir leurs cris de guerre, dont la Marseillaise, dans nos campagnes, en nous assassinant lorsque nous manquons de docilité. Le tout, bien entendu, au nom de la mission civilisatrice de la très chrétienne France, fille aînée de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Le bilan de cette « œuvre » civilisatrice est des plus chétifs sur le plan sanitaire.

Pour une superficie grande comme la France on compte environ 150 médecins de colonisation, soit un médecin pour 60 à 130.000 habitants selon les régions. L’Algérie compte 64 hôpitaux auxiliaires ayant en moyenne 15 lits chacun. La mortalité infantile oscille entre 60 et 70 % des naissances chez les Algériens.

Quand à la tuberculose ramenée des campagnes de la « Mère Patrie » par les soldats, des caves, meublés, hôtels humides et insalubres par les travailleurs algériens en France, contractée dans les travaux agricoles au service du colonat par d’impitoyables et rigoureuses intempéries, elle continue à faire des ravages effrayants. On a officiellement dénombré 400.000 victimes de ce fléau pour la seule année 1945. Pierre d’achoppement de toute émancipation, l’instruction et l’enseignement sont méthodiquement sabotés par la grosse colonisation qui regrette vivement d’avoir laissé évoluer les quelques éléments épars qui lui causent aujourd’hui bien du mal en la combattant, ce qui constitue aux yeux de ces messieurs un crime de lèse-majesté et une insolente ingratitude.

De l’avis de cette junte insatiable, l’instruction ne doit être prodiguée qu’au compte-gouttes et de préférence aux « fils des grandes tentes », ces domestiques héréditaires du colonialisme dont l’échine extra souple exclut toute velléité de rébellion.

Quant aux enfants des ouvriers et des paysans, nul besoin pour eux de s’instruire. Les immenses domaines des seigneurs de la colonisation les accueilleront toujours, ayant besoin d’une main-d’œuvre ignorante pour être bon marché. L’hypocrisie du paternalisme colon a frisé l’indécent et l’odieux en 1939.

A l’occasion du centenaire de la conquête, la Métropole offrait aux populations algériennes une somme de 150 millions (de 1939) pour des constructions scolaires. Les délégations financières d’Alger ne refusèrent-elles pas ce royal cadeau sous prétexte « QUE LA FRANCE PORTERAIT GRAVEMENT ATTEINTE A L’AUTONOMIE FINANCIERE DE L’ALGERIE EN PRECISANT L’USAGE DE SES LIBERALITES ».

Tout ceci, bien entendu, n’empêche pas la propagande raciste des colons, qui, toute honte bue, accable les Algériens en les rendant responsables de leur ignorance. Une superbe canaillerie de leur cru qui a fait, hélas, bien des dupes parmi les Français de bonne foi de la Métropole, n’affirme-t-elle pas que ce ne sont point les écoles qui manquent aux Algériens, mais plutôt leur fréquentation par ces derniers ? Mais les chiffres « OFFICIELS » eux-mêmes ne sont pas de cet avis. Organisme également officiel, « La Commission de la carte scolaire » nous livre en fin 1951 un bilan désastreux. Qu’on en juge :

Filles et garçons algériens scolarisables : 2.087,000, répartis comme suit :

Filles et garçons musulmans : 1 million 939.563.

Filles et garçons non musulmans : 147.067.

Sur le nombre de 2.087.000, 390.000 sont actuellement scolarisés, dont la TOTALITE DES ENFANTS NON MUSULMANS. Les non scolarisés sont donc de l’ordre de 1.800.000 environ, tous enfants musulmans qui n’iront jamais à l’école, car le rythme actuel de la scolarisation (30.000 par an) n’absorbe qu’une infirme proportion des excédents des naissances qui sont de l’ordre annuel de 120.000 âmes.

Les résultats pratiques de la scolarisation chez les Musulmans après 120 ans d’occupation se traduisent par une élite très restreinte, On compte 75 médecins, 15 chirurgiens, 5 ingénieurs, 90 avocats, 10 professeurs de l’enseignement secondaire, 30 pharmaciens, 600 instituteurs. La répartition des bourses d’études se fait sur des bases racistes au détriment des jeunes Algériens pourtant plus nécessiteux et qui sont ainsi écartés des enseignements supérieurs.

En 1939, 210 bourses furent accordées aux étudiants musulmans, contre 1.615 aux étudiants européens. Ce sont là des chiffres incomplets, mais plus au-dessous qu’au-dessus de la réalité. Le drame de la scolarisation de l’enfance algérienne qui s’aggrave d’année en année par un inquiétant accroissement démographique qui relève du lapinisme, est une véritable besogne de TITAN qui exige des mesures de salut public pour être quelque peu sérieusement entamé.

Pendant des années, l’Assemblée Algérienne, pour le résoudre, devrait lui consacrer au minimum 60 % de son budget, et la France devrait jeter dans cette lutte, sous forme d’aide, quelques centaines de milliards au détriment des corps expéditionnaires, des budgets de « sécurité », des services pénitentiaires, etc.

Ne versons pas dans l’aberration ou l’illusion. Entre ce que nous voudrions qu’il soit et ce qui sera, il y la distance de la réalité à l’absurde.

Supposons un instant que la France renouvelle son geste libéral de 1939 en offrant 500 milliards pour la scolarisation algérienne (ce qui est impensable étant donné son climat politique et sa situation financière), les colons rejetteraient cette conjoncture, de même qu’ils ne consentiront jamais que le budget algérien, qu’ils gèrent en maîtres, effectue une quelconque réalisation sérieuse au profit de la masse dont l’émancipation sous une quelconque forme va, dans la logique colonialiste, à l’encontre de leurs intérêts de classe.

Seule la prise en gérance des affaires du pays par les délégués des masses populaires pourra mettre fin au régime ignorantin, concentrationnaire, au paupérisme, aux fléaux sociaux qui sont les seules vertus réelles du colonialisme français.

Pour ce faire, la masse doit s’organiser sérieusement pour affronter la bête qui ne se laissera pas terrasser sans combattre, et dans ce farouche et dernier combat entre le colonialisme et nous, malheur au vaincu. Forts de notre foi militante, de notre force et de nos droits, nous saurons avoir le dernier mot.

IDIR AMAZIT.