Article de Pierre Mualdès paru dans Le Libertaire, 5 septembre 1924

Aux portes des usines, à l’embauche des chantiers, ils sont là, innombrables, reconnaissables à leur teint basané, à leur accoutrement différent. Les ouvriers français de France y sont également, escomptant le boulot mal payé, certes, mais qui procurera à la maisonnée le pain attendu. Et dans le fonds d’eux-mêmes, inconsciemment, ils maugréent contre ces intrus, ces « sidis » qui leur font une concurrence qu’ils estiment déloyale et qui, souvent pour un salaire moindre, vont les empêcher de trouver le travail dont ils ont tant besoin. Il n’y a pas que les indigènes algériens, mais aussi des pauvres diables de toutes nationalités : Polonais, Tchèques, Hongrois, Allemands, Italiens, Espagnols, etc., qui, chassés de leurs pays pour des raisons diverses, viennent solliciter des exploiteurs français leur maigre gagne-pain.
Déjà des corporations se sont émues, et ont envisagé cette question de l’émigration des travailleurs de l’extérieur. Les exploités français ont trouvé illogique d’accepter sans mot dire que les négriers non moins français profitent de la misère des pauvres bougres d’étrangers pour les embaucher à des tarifs inférieurs. Et ils ont pris des mesures nécessaires que par esprit de parti, baptise, pour la circonstance, internationaliste, des travailleurs honoraires de la politique ont qualifiées de nationalistes, mais qui n’ont d’autre but que de défendre les droits primordiaux des esclaves modernes, quelle que soit la nationalité que le hasard leur a attribuée.
Mais je veux, seulement, chercher aujourd’hui, a signaler le cas des travailleurs algériens que nombre d’ouvriers, même communistes, appellent dédaigneusement, voire haineusement les « sidis ». Dans le « Libertaire », le camarade Saïl Mohamed a dénoncé dernièrement la douloureuse situation qui est faite dans leur pays d’origine aux indigènes algériens. Il a fustigé comme il convenait les politiciens du « Bloc des Gauches » alliés aux propriétaires d’Algérie et de Tunisie qui cherchent à remédier à l’évasion d’une main-d’œuvre qu’ils payent à des prix défiant toute concurrence, par des mesures dictatoriales. Il a démontré que la cherté de la vie en Algérie, au moins égale à celle de la métropole, obligeait les pauvres indigènes, préalablement dépouillés de leurs terres, et payés pour des journées de 10 à 12 heures de 3 à 5 francs par jour, à aller chercher ailleurs un travail plus rémunérateur. Qu’y a-t-il d’étonnant à voir ces malheureux s’abattre sur la France que ses représentants officiels leur ont présentée comme leur véritable patrie, pour laquelle ils ne devaient même pas hésiter à risquer leur peau lorsque la fantaisie de ses gouvernants ou si vous aimez mieux les intérêts de ses financiers, organisait une de ces boucheries humaines dans le genre de la dernière « dernière guerre du droit et de la civilisation ». Ils estiment eux aussi avoir des droits sur ceux qui les ont envoyés avec tant de désinvolture, dans la boue des tranchées. Ils ont raison.
Les travailleurs français, eux, jugent que les indigènes n’ont pas raison, non de venir chercher du travail en France, mais de louer leurs bras pour des salaires inférieurs à ceux déjà minimes, mais qu’ils ont réussi à force de luttes incessantes à arracher aux exploiteurs de ce pays. Et les travailleurs français n’ont pas tort.
Seulement, il faut bien admettre que les indigènes ont une excuse. Ils ne savent pas. Même avec leurs salaires de famine, ils se trouvent, en France, dans une situation privilégiée, comparée à celle de leurs compatriotes restés sur le sol natal. Beaucoup considèrent, ils ont pour cela de nombreuses et solides raisons, les Européens comme des ennemis. Ne sont-ils pas la cause de leurs déboires. Ne leur ont-ils pas enlevé leurs terrains ? Ne les ont-ils pas forcé à revêtir l’habit militaire et aller combattre des gens qu’ils ne connaissaient même pas, et pour lesquels ils ne pouvaient, par conséquent, éprouver aucune haine ? Et disons-le franchement, ont-ils trouvé jusqu’alors chez les prolétaires français une attitude qui puisse leur permettre de les différencier de leurs ennemis de classe ?
Il y a à envisager, dès maintenant, un grand travail de propagande, d’éducation. Il y a pour les exploités de ce pays à vaincre cette sorte de répulsion, survivance mesquine d’un nationalisme périmé. Il nous faut considérer les indigènes algériens comme des membres de la grande famille douloureuse, des spoliés, des écrasés, au même titre que n’importe quel travailleur de n’importe quel pays. Il faut s’efforcer de leur faire comprendre leur devoir de classe.
La tâche est ardue. C’est entendu. Beaucoup parlent à peine ou pas notre langue. Mais il se trouve parmi eux des camarades plus instruits, et qui ont pris à cœur cette besogne nécessaire. Aidons-les. Ne leur marchandons pas notre concours. Déjà les politiciens du communisme autoritaire ayant conscience de la puissance de révolte que recèle l’esclavagisme indigène, se livrent à une sérieuse propagande dans le but de la susciter pour la canaliser à leur profit. Les parias d’Algérie, abandonnés de tous, iront vers ceux-là s’ils ne trouvent qu’eux pour leur tendre une main secourable, sans se douter, hélas ! ou cela les entraînera. Ils viendront vers nous, vers nos idées, vers le grand œuvre d’émancipation humaine, quand ils comprendront, quand ils sauront que nous ne leur demandons rien autre chose que de devenir eux-mêmes des hommes libres, égaux et fraternels.
Pierre MUALDES

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