Entretien avec Maxime Rodinson réalisé par Juliette Minces et paru dans Hommes & Migrations, n° 1145, juillet 1991, p. 47-51
Saddam Husse in portrait, arrival of US troops at Kurdish refugee camps in Zakho, Iraq on April 23, 1991. (Photo by Chip HIRES/Gamma-Rapho via Getty Images)
Durant et après la guerre du Golfe, on a beaucoup parlé de l’« humiliation » des Arabes, humiliation qui serait consécutive à une série de revers, anciens et plus récents, et dont la défaite irakienne serait l’ultime épisode. Maxime Rodinson entend remettre à sa juste place cette notion et ce qu’elle sous-tend, et revient sur l’histoire des relations entre le Monde arabo-musulman et les Occidentaux, relations génératrices selon lui d’une « culture du ressentiment ».
Extraits de Maxime Rodinson, Marxisme et monde musulman, Paris, Le Seuil, 1972
Egyptian President Anwar Sadat (L) and Libyan strongman Colonel Muammar al-Qaddafi wave to the crowd in Benghazi, Libya August 2 after they announced an agreement to join the two Arab nations in complete union as soon as possible. The merger will create the biggest—and one of the riches nations–in the Middle East.
Sur les arabophiles sentimentaux, p. 19-20 :
L’expérience stalinienne m’avait fait comprendre que la légitimité de la protestation d’un ensemble d’hommes exploités ou opprimés ne suffisait pas à garantir leur impeccabilité, la justesse de leurs programmes, de leurs stratégies et de leurs tactiques. Cela ne s’applique pas seulement aux prolétaires et aux couches sociales défavorisées de l’Europe. C’est tout aussi vrai des peuples du monde musulman et notamment des peuples arabes. Toute la sympathie que j’ai pour eux, tout le soutien que j’apporte à leurs revendications légitimes ne débouchent pas sur une approbation sans critique de toutes leurs démarches, sur un amour total et inconditionnel du genre de celui que je vois fleurir chez pas mal d’arabophiles sentimentaux qui ne savent s’orienter dans le monde complexe des luttes d’aujourd’hui que suivant les options simplistes, voire puériles, de l’amour et de la haine, également inconditionnels. Aucun peuple n’est entièrement pur et innocent, aucun n’est coupable sans rémission. Encore moins leurs dirigeants, quand bien même ils se pareraient de l’étiquette de révolutionnaires, trop facile à s’attribuer. D’ailleurs, aucun peuple ne forme un bloc indifférencié et, même vis-à-vis des mêmes projets globaux, les attitudes des divers groupes qui le composent sont inégalement sympathiques ou critiquables. Et puis, l’amour de soi qui développe chez les intéressés eux-mêmes toute orientation nationaliste, fût-elle justifiée au départ, produit tous les effets néfastes que suscite toujours ce sentiment, aussi bien chez les individus que chez les groupes.