Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 48, 21 novembre 1946, p. 11
Nous nous débattons tous, il faut en convenir, dans un chaos intellectuel indescriptible. Une immense supplication, comme une prière, monte des foules inquiètes vers ceux qui mènent le monde. « Dans votre sillage, messieurs, où allons-nous ? Où nous conduisez-vous ? » Telles sont les questions que, sourdement, se pose l’énorme majorité des hommes qui n’ont pas encore cessé de penser ni de réfléchir.
Texte d’Herbert Marcuse paru dans Arguments, n° 18, 2e trimestre 1960, p. 54-59
Les pages suivantes contiennent des idées développées lors d’un cours fait en 1958-59 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes ; elles font partie d’un livre, à paraître, consacré à l’étude de certaines tendances de base de la société industrielle la plus évoluée, aux Etats-Unis en particulier (1). Ces tendances paraissent engendrer un mode de pensée et de comportement qui réprime ou rejette toutes les valeurs, les aspirations et les idées non conformes à la rationalité dominante. C’est par conséquent une dimension entière de la réalité humaine qui se trouve supprimée : la dimension qui permet aux individus et aux classes de développer une théorie et une pratique du dépassement et d’envisager la « négation déterminée » de leur société. La critique radicale, l’opposition efficace (intellectuelles aussi bien que politiques) se trouvent désormais intégrées au status-quo ; l’existence humaine semble devenir « uni-dimensionnelle ». Une telle intégration ne s’explique nullement par l’émergence de la mass culture, de l’Organization man, des Hidden Persuaders, etc. ; ces notions appartiennent à une interprétation purement idéologique qui néglige l’analyse des processus fondamentaux : les processus qui minent la base sur laquelle l’opposition radicale pourrait se développer.