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Les luttes politiques en Algérie

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 42, août 1962, p. 1-3.

 

 

« C’est le peuple algérien qui a gagné la guerre »
« Révolution par et pour le peuple » ….

Au moment même où les dirigeants de la révolution algérienne se fragmentent en clans rivaux, ils se réclament à tout instant du « peuple ».

Ils ont raison, car ils sont peu de choses en face de ces paysans et de ces ouvriers qui sont bien les vrais vainqueurs de la plus cruelle guerre coloniale de l’histoire. Mais ils ont tort car ni les uns ni les autres, ils ne sont les représentants authentiques des travailleurs algériens.

Quelle politique incarnent les principaux groupes en présence ?

Ben Khedda et ses partisans sont les hommes des accords d’Evian. Ils sont pour la « coopération » avec la France. Cela signifie qu’ils envisagent que les capitaux français et les cadres européens peuvent fournir les éléments d’une solution au problème du sous-développement de l’Algérie. Ces investissements français sont essentiellement industriels et conçus en rapport direct ou indirect avec les besoins de l’économie française. Ils ne peuvent qu’aboutir à la consolidation de la petite bourgeoisie algérienne urbaine déjà existante – quoique faible – et à la constitution d’une couche de cadres algériens – et pieds-noirs – modernes.

Subordonnée à cet impératif primordial de la « coopération », la réforme agraire, dont Ben Khedda ne parle pas moins qu’un autre, ne peut être que limitée et favoriser surtout la couche des paysans petits et moyens propriétaires dont une fraction s’est déjà mise à l’aise à la faveur du repli des colons vers les villes ou la métropole.

Sur le plan politique cette orientation aboutit à la constitution d’un État de type bourgeois, plus ou moins démocratique, centralisé et fort, tenant sous sa dépendance les organismes des travailleurs tels que les syndicats – une sorte de bourguibisme, en somme.

La tendance Ben Bella a un air plus « radical ».

Mais de quoi est fait ce radicalisme ?

D’une grande réserve à l’égard des accords d’Evian tout d’abord. Cela signifie une orientation beaucoup plus « neutraliste » et un contrôle « national » beaucoup plus strict sur les investissements et l’encadrement humain de la production.

Cela veut dire également la possibilité de procéder à une liquidation beaucoup plus radicale de la colonisation tant dans les campagnes que dans les villes. Ce radicalisme est fait ensuite d’une démagogie virulente sur les thèmes de l’arabisme et de l’indépendance nationale, qui offre au pouvoir, éventuellement, des canaux de détournement des revendications populaires.

Sur le plan politique et social, cependant, on ne voit pas davantage que dans la tendance Ben Khedda de programme prévoyant des structures et des institutions qui permettent aux travailleurs de gérer leurs affaires eux-mêmes.

Ben Bella ne parle que de l’Etat, qu’il veut centralisé, du Parti, qu’il veut hiérarchisé, et de l’Unité nationale c’est-à-dire de la discipline des exécutants.

En fait Ben Bella exprime l’aspiration au pouvoir d’une couche dirigeante encore
fragmentée et mal définie, issue à la fois des cadres de la révolution et de la bourgeoisie nationale – à condition qu’elle soit disciplinée.

Quant aux paysans et aux ouvriers algériens ils n’auront qu’à travailler, obéir, et rêver dans l’ordre et la discipline, à la grandeur de l’arabisme et de l’indépendance nationale.

Ben Bellistes et Ben Kheddistes se sont retrouvés, à quelques exceptions de personnes près, dans le Bureau politique, autour du mot d’ordre : « construire par priorité l’État centralisé », c’est à dire d’abord mettre en place les instruments qui permettront de faire obéir la population. Après on verra à quoi l’utiliser.

Quant à l’armée des frontières, elle constitue une force en grande partie coupée du « peuple » elle aussi et dont les chefs semblent caresser un rêve bureaucratique, plus ou moins chinois réchauffé de castrisme.

Mais ni les uns ni les autres n’ont prise sur les masses, surtout paysannes. Ce sont les wilayas qui ont prise sur les masses.

Les wilayas, ce sont à la fois les maquis, l’Organisation Politico-Administrative et les Conseils de wilayas qui représentent directement la population. C’est cette organisation avec ses différents niveaux qui a mené et gagné la guerre. C’est dans ce cadre que se sont exprimées les revendications des populations, sous leur forme extrême, la forme armée. Ce sont là les institutions qui sont arrivées par le courant révolutionnaire à sa source même.

Mais, en même temps que la guerre, a pris fin la garantie d’une démocratie de fait, qu’elle présentait pour les rapporte entre l’appareil de l’ALN-FLN et les masses.

En effet pendant la guerre, celles-ci pouvaient aisément cesser leur participation indispensable, ou même passer de l’autre côté, au cas où cet appareil n’aurait plus exprimé leurs aspirations.

La guerre finie, l’appareil des wilayas représente donc un pouvoir réel, armé, qui tend à fonctionner pour lui-même et qui se constituera de plus en plus nettement en éléments d’une couche dominante. Cependant face à la bureaucratie du Bureau Politique, les wilayas apparaissent comme une émanation beaucoup plus authentique de la base dans laquelle elles puisent leur force.

Les prises de position de la Wilaya IV, par exemple, reflètent bien la conscience de cette situation.

La Wilaya IV s’est en effet prononcée d’abord:

– pour une armée non classique, travaillant avec et pour la population, mais surtout :

– pour un parti de masse ouvert à tous les Algériens, organisé à partir de comités de hameaux et de villages à la campagne et de quartiers à la ville, et avec un programme discuté dans tout le peuple.

Ainsi pour le Bureau Politique, le problème clef est de trouver une courroie de transmission entre son embryon de bureaucratie centrale et les masses.

Pour les wilayas, c’est l’inverse. Qu’elles expriment authentiquement ou non les aspirations des paysans algériens, qu’elles puissent servir à ceux-ci d’instrument fidèle ou non, il s’agit pour elles de résoudre le problème du pouvoir centralisé, de déboucher sur le plan national, seul niveau où puissent trouver une solution les problèmes de l’Algérie nouvelle.

C’est l’Assemblée Constituante qui est dès maintenant l’un des enjeux principaux de la lutte entre les wilayas et le Bureau Politique.

Les premières cherchent à la contrôler comme une étape essentielle vers le contrôle du pouvoir central; le second va s’efforcer de la convertir en cette courroie de transmission qui lui manque.

Jusqu’à présent les wilayas l’emportent, parce que, fidèlement ou non, elles représentent des masses qui se sont battues avec obstination pendant 7 ans.

Dans ce conflit quelle peut-être la position d’un groupe révolutionnaire français?

Tout d’abord, il convient de rappeler que ce qui est en cause ce n’est pas et ce ne peut pas être, le socialisme, c’est à dire la prise en mains effective et à tous les niveaux, de la vie sociale par les travailleurs.

D’une telle révolution il ne peut pas être question dans un pays sous-développé, ainsi que nous l’avons déjà expliqué ici.

Mais cela ne signifie pas que le problème ne nous intéresse pas et que nous ne pouvons pas prendre position. Certains éléments de cette position – que nous avons d’ailleurs formulés à plusieurs reprises en d’autres occasions dans POUVOIR OUVRIER et dans SOCIALISME OU BARBARIE – se retrouvent dans le projet de programme de la Fédération de France du F.L.N.

Par exemple le principe de la révocabilité des élus. Surtout il apparaît dans ce texte que des militants algériens sont conscients de ce qui est le vrai problème de la Révolution Algérienne, le problème du pouvoir et de la menace qui pèse sur cette Révolution : sa confiscation par une classe dirigeante exploiteuse.

Notre position peut se ramener aux points suivants :

– la terre aux paysans (collectivement partout où c’est possible)

– les instruments de travail aux travailleurs.

– front des ouvriers et des paysans (à la place du front national ou
contre lui).

– pas d’Armée de métier : les armes aux travailleurs.

– à tous les niveaux créer des institutions dont le but soit la participation des travailleurs et la gestion par eux-mêmes de leurs propres affaires.

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