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Dossier immigration

Dossier paru dans Courant alternatif, n° 41, décembre 1984, p. 12-17


En quelques jours, un travailleur turc a été abattu par des patrons et leur sous-fifre ; un bistrot turc, aussi, a été canardé (2 morts, 5 blessés) par un pauvre crétin qui « n’aime pas les étrangers » autres qu’ « européens ». Sans tomber dans le sentimentalisme, même révolutionnaire, écrire dans ces conditions est parfois difficile. Parce que les mots alignés, bien tranquilles, semblent minables, insuffisants.

Pourtant, nos armes actuelles sont, entre autres, les mots afin de mieux comprendre pour mieux agir. Ce qui explique cette suite d’articles tournant autour du problème de l’immigration. Quand ce numéro sortira, Convergence 84 sera arrivée à Paris. Nous essayerons d’en tirer un bilan plus approfondi par la suite. D’ores et déjà nous savons que face à la xénophobie ambiante, dans une situation où le racisme envahit de plus en plus les usines, les quartiers, les bistrots, à un moment où les partis de gauche ne sont même plus capables d’assumer les illusions « humanitaires » dont ils sont porteurs, toute initiative un tant soit peu dynamique pour une perspective anti-raciste est bonne à prendre. Quitte à en accentuer les contradictions, à y affirmer qu’une démarche autonome ne se construit pas avec des ennemis de classe, à faire notre possible pour qu’au moins localement une autonomie réelle puisse se dégager, pas seulement pour revendiquer la couleur de notre peau mais pour abolir (enfin essayer, soyons raisonnables…) ce système qui nous criminalise et nous rejette dès que notre force de travail ne présente plus d’intérêt pour lui, ou que nos désirs l’indisposent.


DANS UNE ZUP A LA RENCONTRE DE DIFFERENTES CULTURES

La marche pour l’égalité en 83, l’initiative « Convergence 84 », la réalité quotidienne des jeunes de différentes cultures dans les ZUP, les problèmes sociaux, le racisme quotidien bien entretenu par le racisme institutionnel vont-ils contribuer à l’émergence d’un mouvement multiracial en France ?

Cet interview réalisé dans la plus importante ZUP de Reims met en, lumière le fait que des initiatives collectives peuvent être prises, et le sont aujourd’hui, par des jeunes de différentes cultures, « non militants » tentant ainsi de battre en brèche l’individualisme, la décomposition sociale.

Cette initiative rémoise, relatée ici, a été prise par des filles qui tentent ainsi à bouleverser certaines traditions culturelles…

Comment voyez-vous le quartier Croix-Rouge dans lequel vous vivez ?

Croix-Rouge est une ZUP composée de trois sous-quartiers, de population assez jeune. On y trouve beaucoup d’étudiants, de jeunes immigrés, des classes sociales assez différentes.

Le quartier « Pays de France » est le plus défavorisé, c’est ici que résident les immigrés et les gens ayant des problèmes sociaux.

On y rencontre beaucoup plus de problèmes comme la délinquance, le petit vandalisme, les fugues que dans les autres sous-quartiers.

Quels sont les problèmes spécifiques de ce quartier ?

Les organismes sociaux n’ont souvent pas assez de moyens pour aider les jeunes à s’intégrer pleinement dans leurs quartier. Beaucoup de jeunes s’ennuient à cause du chômage et certains aimeraient y faire des activités, plutôt en soirée.

Il y a aussi un problème de société. Les logements, le cadre de vie ne sont pas adaptés à la population qui est très cosmopolite.

Comment vous situez-vous dans le quartier en tant que filles. Quels sont les problèmes que vous rencontrez ?

Il y a dans le quartier une forte majorité de maghrébines ; ces filles ne sortent pas.

Nous, nous sommes antillaises, italiennes, et nous ne sommes pas vu de la même façon.

Le fait que nous sortions le soir est pour certains (es) une sorte de libération, pour d’autres, cela est très mal considéré.

Certains garçons ne veulent avoir aucun contact avec nous, car pour eux, les filles doivent rester à la maison faire la popotte, s’occuper des frères et sœurs. Pour d’autres, le fait de sortir est mieux accepté quoiqu’il puisse y avoir des réflexions « par derrière ».

Sur le quartier, on parle actuellement de la création d’une association par les jeunes du quartier. De quoi est née l’idée d’association ?

L’idée est venu à cause de la fermeture du « Château d’eau » (lieu d’activités investi par les jeunes du quartier à une certaine époque, et qui va d’ailleurs être fermé par la municipalité), et également à la suite de la marche pour l’égalité qui a incité les jeunes à bouger.

Mais l’idée est surtout venue à la suite d’une visite de jeunes du quartier auprès de jeunes maghrébins de St Dizier qui venaient de se mettre en association afin d’améliorer le cadre de la vie quotidienne de leur quartier.

Mais à Reims, le fait que ce soient les filles qui aient pris l’initiative n’a pas été tellement bien « digéré ». Nous avons ainsi créé une association où il y a plus de filles que de garçons. Nous nous sentons plus impliquées, plus motivées que certains.

Quel est le projet de votre association ?

Nous voulons qu’une action soit entreprise par les jeunes eux-mêmes. Qu’il y ait une prise de conscience du fait que pour changer un quartier, il y va aussi de leur participation.

Notre projet c’est d’avoir un local étant donné que les structures socio-culturelles ferment assez tôt en soirée et que les jeunes aimeraient se rencontrer le soir afin de créer des activités diverses comme les percussions, le théâtre, ou bien échanger les différentes coutumes culinaires, musicales, linguistiques.

Quel est le rôle des garçons dans l’association ?

Avant, la plupart refusaient de participer à la création de l’association, surtout avec des filles !

Maintenant que nous participons à l’action de Convergences 84 beaucoup se sentent intéressés. C’est ainsi que deux jeunes maghrébins ont pris des responsabilités dans l’association. Certains sont encore un peu indécis, mais nous espérons qu’ils participeront.

Pensez-vous aller au rassemblement national le 1er décembre et quelle suite allez-vous y donner ?

Pour nous ce rassemblement est important car lié à l’association et à notre revendication d’avoir un local. Nous espérons que tous ceux et celles qui participent à cette rencontre obtiendront quelque chose !

On veut prouver que l’on est capable de faire quelque chose de concret et que l’on ne va pas à Paris que pour s’amuser.

Pensez-vous que la plupart des jeunes de la cité soient au courant des mesures gouvernementales concernant l’immigration ? (regroupement familial et problème d’intégration)

Non, car il n’y a pas assez d’information circulant sur le quartier.

Cela se passe de bouche à oreille mais ne va pas plus loin.

Il n’y a aucune discussion entre les jeunes ni avec les animateurs.

Les jeunes immigrés n’en sont pas conscients eux-mêmes, et de ce que cela peut engendrer comme problèmes (Le fait de les faire repartir dans leur pays… du moins si cela en est un pour eux).

« On » parle du retour des immigrés. Les jeunes vivant dans la ZUP y pensent-ils ?

Certains oui, car ils ont tellement de problèmes en France, pour faire leurs papiers, pour trouver un logement, un travail.

Il y a également beaucoup de problèmes d’adaptation. En France ils ne se sentent pas chez eux, mais dans leur pays d’origine non plus.

Il y en a beaucoup qui sont nés en France et sont donc habitués à un certain mode de vie ; ils ont deux cultures.

On parle beaucoup de droit à la différence. Pensez-vous être différents ?

On a différentes cultures d’origine mais on est soit nées (és) ici ou arrivées (és) très jeunes, donc on vit de la même manière. On ne ressent pas de différences, ce sont les « autres » qui sont différents (sous-entendu les racistes).

Il y a des différences culturelles, notre civilisation va vers le métissage et les gens doivent accepter ces différences. On est tous des êtres humains.

Comment le phénomène Le Pen a-t-il été ressenti dans le quartier lors de sa venue à Reims ?

Il aurait fallu être au courant !

Les jeunes ne se sont pas rendu-compte que c’était important !

Dans la ZUP cela n’a pas bougé.

Je ne suis pas d’accord.

Les jeunes des cités sont pourtant montés en ville ?

Il y en avait beaucoup, … enfin ceux qui le savaient.

Oui, mais si dans la cité on avait été tous au courant, je crois que tout le monde y serait allé.

Tout le monde ne sait pas qui est Le Pen.

Maintenant on en parle beaucoup plus.

Les jeunes qui se sont rendus à la manif y venaient seulement pour bastonner.

Oui ! Pour lui foutre des pavés dans la figure.

Et d’autres pour manifester leur désaccord.

On parle beaucoup d’intégration à l’heure actuelle. Surtout pour les jeunes immigrés. Qu’en pensez-vous ?

Intégrer les jeunes à la culture française alors qu’ils n’ont pas la même culture, certains ont du mal à se situer.

Ils doivent accepter leurs deux cultures, en renier une pour l’autre n’est pas une bonne solution.

Cela est très difficile à vivre, car un jeune immigré ne sera jamais accepté en tant que français et sera un étranger dans son pays d’origine.

Tout le monde n’est pas obligé d’accepter l’intégration.

On n’est pas obligé de faire accepter une culture différente alors que l’on a notre culture propre.


Pas besoin de Le Pen, on a Dufoix.

Le 10 octobre dernier, le conseil des ministres de notre douce démocratie prenait des mesures visant à renforcer notre sécurité et donc, vue la période, à renforcer la répression contre les immigrés clandestins. Ces mesures sont parues dans vos quotidiens favoris, mais il n’est peut-être pas mauvais de les rappeler brièvement, ne serait-ce que parce que ça peut vous servir quand un socialo vient vous parler de la gauche, si tant est que ces gens-là aient encore des états d’âme.

LES EXPULSIONS

Outre leur exécution immédiate (même s’il y a appel de la part de l’expulsé), elles seront accompagnées d’une interdiction de retour sur le territoire français pour un an. Là aussi il y aura renforcement des moyens mis à la disposition de la police pour assurer cette tâche délicate.

LE TRAVAIL CLANDESTIN

Les travaux saisonniers seront confiés en priorité à des chômeurs de chez nous plutôt qu’à des travailleurs étrangers.(là on va rigoler vu qu’un chômeur blanc n’aura jamais la même rentabilité q’un pauvre bougre qui ferme sa gueule et qui a toute sa famille à faire vivre. Le capital n’est pas toujours très intelligent finalement…).

Le tout accompagné d’un peu de poudre aux yeux pour les travailleurs stables et les associations.

L’ENTRÉE AUX FRONTIÈRES

Les effectifs de la police de l’air vont être renforcés afin de mieux surveiller l’entrée des touristes. Le « diptyque », sorte de carte à deux volets (une pour l’entrée, l’autre pour la sortie) en usage pour les pays du Maghreb pourrait être étendu à toute l’Afrique noire, et informatisé. Après le fichage des terroristes internationaux on passe au fichage de l’internationale tout court, surtout si elle est bronzée.

LE REGROUPEMENT FAMILIAL

Le regroupement sur place est supprimé. Les travailleurs devront obtenir une autorisation de l’office de l’immigration, en justifiant de ressources stables et suffisantes (avec la « crise » ça va être dur !). La régularisation ne pouvant se faire sur place et ces critères de ressources étant des plus flous, ce regroupement des familles devient donc quasiment impossible.

GÉNÉRATIONS SACRIFIÉES

C’est Georgina Dufoix qui a proposé tout cela, coincée dans son tailleur bon chic bon genre (mais simple néanmoins), bien à l’aise dans son image de femme à poigne nuancée par l’éducation protestante qu’elle a reçue et qui lui permet ses grand élans humanistes de bon goût. Qui lui permet aussi de stigmatiser l’extrême droite à Dreux ou d’être à l’arrivée de la marche des Beurs l’an dernier, tout en étant, comme ils disent réalistes. Tout comme est réaliste ce gouvernement qui doit résoudre bien des problèmes d’ici les prochaines élections de 86 et qui lâche du lest sur sa droite. Ce réalisme-là a la fâcheuse conséquence de légitimiser toujours un peu plus les racistes de tous poils et de favoriser l’amalgame facile entre immigrés et clandestins, avec tout le contenu subversif, donc dangereux, que le mot même évoque dans la tête des gens. Ce réalisme là, qui n’a rien d’étonnant venant de la part d’une bourgeoisie, même new-look qui défend ses intérêts participe de fait aux assassinats racistes qui ponctuent les faits divers. Il n’y a pas, malheureusement que cet effet immédiat. A plus long terme les « forces démocrates de gauche » doivent prouver qu’elles sont capables de gérer un état en période de restructuration, vis-à-vis du capital, en assurant la régularisation de la capacité de travail étrangère, et vis-à-vis des électeurs, en ne refusant pas que des boucs émissaires soient clairement désignés pour détourner ces esprits et ces actes du vrai problème : celui d’un système politique prêt à sacrifier plus ou moins physiquement et d’ores et déjà psychologiquement (ça donne quoi dans la tête d’un maghrébin la misère affective, sexuelle, culturelle, du déracinement ?) deux générations « différentes », après en avoir pressé une comme un citron, et en étant incapable d’utiliser la suivante de façon rentable.

E. S. Dijon le 14.11.84


IMMIGRES – CRIMES RACISTES – JUSTICE

Quand les femmes s’en mêlent !

Le quotidien du racisme pour plusieurs dizaines de familles immigrées c’est la perte d’un des siens, abattu d’un coup de pétard ou de 22, par un voisin « insécurisé » ou dans un contrôle d’identité. Dans la communauté immigrée, la peur et la rage devant cette hécatombe, et la manière dont les faits sont traités par la justice et la presse ont donné lieu à des mobilisations ponctuelles, à l’initiative desquelles se trouvaient les familles et amis des victimes.

Réponses dans la rue (manifs… encadrées par deux fois plus de flics que de manifestants) mais aussi prises de paroles pour crier l’injustice une justice deux poids deux mesures, qui relâche les meurtriers mais qui condamne à des peines de prison ferme (six mois, 2, 3 ans…) les jeunes pour de simples vols…

Dans un premier temps, les mobilisations, uniquement locales et ponctuelles, étaient portées surtout par les jeunes (Vitry, Nanterre, Lyon, Marseille, Chatenay-Malabry etc.).

Mais depuis quelques temps, les choses ont changé : c’est l’irruption sur le devant de la scène et à la pointe de ces mouvements de révoltes, des mères de familles.

L’idée d’un rassemblement des mères à Paris, à l’instar des Folles de Mai de Buenos-Aires, est lancée en juillet 83, lors d’un forum-justice aux Minguettes, organisé par les amis et la mère de Wahid Hachichi, assassiné 9 mois plus tôt à Lyon.

Progressivement un réseau se met en place, des contacts se nouent, d’autres forums sont organisés et finalement une association nationale est créée. Le 21 mars 84, 14 familles de jeunes victimes de crimes racistes se rassemblent devant le ministère de la justice et sont reçues, non sans mai, au cabinet de Badinter. Elles tombent sur des fonctionnaires, ignorant la question et de surcroît incrédules, qui promettent d’étudier les dossiers qui leur sont soumis. Dans les semaines suivantes, des dossiers sont envoyés, ainsi que des lettres de relance. Résultat : rien, aucune nouvelle…

Devant ce mutisme, l’association décide l’organisation d’un deuxième rassemblement le 27 octobre dernier.

Si du côté des pouvoirs publics rien de tangible ne semble se décider, en revanche, chacun de ce rassemblements est l’occasion pour les mères de se rencontrer, de mieux se connaitre de se sentir plus fortes.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Le crime raciste, saisi dans son aspect événementiel, ressort plutôt du « fait divers », individualisé, et renvoie à l’idée d’un fait, certes dramatique ; mais à chaque fois particulier. On oublie… Par contre, la vision de ces pancartes qui se succèdent, de ces portraits de jeunes, alignés, fait penser à un véritable massacre. Et l’impact de l’image agit différemment.

L’association des familles, si elle semble prendre de l’ampleur par les nouvelles adhésions qu’elle reçoit n’a pas (encore ?) les moyens de structurer un mouvement national permanent. N’étant pas composée de professionnelles de la politique, les tendances au repli sur soi ou son quartier, demeurent très fortes.

Reste qu’en demandant de la réclusion criminelle pour les assassins de leurs enfants, les mères des victimes vont prêter le flanc au même type de critiques que le mouvement des femmes rencontrait lors de ses batailles pour des procès en assises pour les violeurs et la reconnaissance du viol comme un crime. Sur ce sujet, il est d’ores et déjà nécessaire de rappeler qu’aucune solution alternative satisfaisante n’avait été trouvé à l’époque. De plus, le passage par les tribunaux, pour aussi désagréable qu’il soit, semble difficilement contournable dès lors que des gens ont la rage aux tripes et qu’un mouvement social de ce type ne peut pas ne pas faire du judiciaire un enjeu politique et des échéances de mobilisation (1). Enfin, ce type de lutte n’empêche pas des réactions plus « directes » (2).

Mais ce qui fait l’intérêt de ce regroupement de familles et qui ne doit pas être masqué par les contradictions que l’on peut y déceler, c’est qu’avant tout, une dynamique autonomes est mise en branle par des gens directement concernés par ce qu’ils défendent, une communauté d’intérêt et de lutte s’exprime, permettant une socialisation des expériences et se posant d’emblée comme médiation avec l’Etat, sans passer par les spécialistes de l’anti-racisme, toujours avides de légitimité. Et, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites, c’est que l’association des Mères de famille des victimes des crimes racistes et sécuritaires représente à peu près l’unique réponse actuelle à caractère global, à lutter contre l’ordre sécuritaire et la barbarie des beaufs et des flics et contre la peur et le désarroi qui semblent anesthésier de nos jours bien des velléités de combat.

Le fait que les figures qui animent ce mouvement soient surtout des femmes n’est pas sans incidence sur les rapports et les formes de sociabilité existants dans cette communauté. Les mères de familles, en se mobilisant, renforcent la communauté : par leur position dans le groupe social, elles sont facteur de stabilisation et d’unité et rendent ainsi plus difficiles les tentatives de l’Etat de faire éclater cette communauté (3) afin de mieux y opérer la différenciation et la division (bons / mauvais, garantis / clandestins, etc.)

(1) Le fait de pouvoir se constituer partie civile dans un procès (c’est-à-dire d’avoir accès au dossier permet entre autre de déjouer les manipulations sur les faits, dans lesquelles les flics sont devenus des spécialistes.

(2) Récemment, suite à la bavure de la rue Ordener, un commissaire de police du 18eme arrondissement s’est fait casser la tête par des jeunes immigrés.

(3) Ainsi, lors de relogements (quand il y en a !), après une expulsion, les familles sont dispersées dans différentes cités: tout un tissu social est ainsi détruit, des rapports de coopération brisés.


Un mouvement en gestation

A l’heure où s’écrit cet article, Convergence 84 n’en est encore qu’à ses débuts, mais on peut déjà faire quelques remarques sur la nature de cette initiative et sur la situation actuelle du mouvement Beur.

Tout d’abord, rappelons que Convergence 84 n’est l’initiative que d’un groupe de jeunes issus de l’immigration (une partie du collectif parisien formé après la marche). Décidé en dehors des assises de Lyon, de la réunion de St-Etienne, elle n’a pas pu acquérir une légitimité vis-à-vis de l’ensemble du mouvement. Certains y voient d’ailleurs la volonté d’un groupe de créer un rapport de force de fait en sa faveur.

De plus, Convergence 84, dans sa formule, est porteuse d’ambiguïté. D’une part, elle « colle » à la marche de l’année dernière par la démarche, le besoin de relais institutionnels, qui laissent un goût de déjà vu chez beaucoup ; mais, en contre partie, elle laisse aux différents groupes locaux le choix des thèmes, des modalités d’actions, ce qui désoriente pas mal de « professionnels » anti-racistes. C’est donc au niveau local que peut se jouer le véritable enjeu politique de l’initiative.

Or, le flou de Convergence n’est après tout que le reflet de l’état du mouvement. Celui-ci connaît toujours les mêmes difficultés pour acquérir une véritable autonomie, pour s’approprier politiquement des espaces sociaux et culturels qui permettent de faire contre-poids aux attaques et aux récupérations diverses.

De ce fait, le mouvement a souvent laissé la place à des gens ou structures qui, volontairement ou non, le dénaturait. Ainsi, le prêtre Delorme qui a pu occuper la scène et acquérir cette légitimité qui lui permet de se poser comme l’historien du mouvement et confère à ses analyses parfois délirantes et dangereuses (1) une respectabilité de fait.

Les médias ont, bien sûr, profité de l’effet Delorme, en lançant sous les feux de l’actualité des jeunes, présentés comme les meneurs du mouvement et victimes maintenant de la répression policière. Ex. Toumi, devenu malgré lui « le caïd des Minguettes » et condamné à 15 mois de prison ferme par le tribunal de grande instance de St-Etienne pour vol avec violence, acte qui remonte à plus de deux ans et qui est nié par l’accusé. La justice se basant sur des témoignages pour le moins incertains (un témoin a reconnu Toumi, alors qu’il avait déposé avoir vu l’agresseur s’enfuir…).

Dans le style récupération médiatique, la palme revient à ce cher July qui, décidément, nous fait toujours autant rire. N’avait-il pas vu dans les beurs, après la première marche, des ambassadeurs extraordinaires pour la France, louant leurs qualités (dynamisme, initiative, tchach, etc.). Merci Libé.

A travers toutes ces opérations, il s’agit de présenter les jeunes issus de l’immigration comme cherchant à s’intégrer dans un système qui les fascine, toute notion de conflit ou de rupture étant ainsi évacuée. Delorme, Libé et autres ont contribué à séparer le bon petit beur branché et non-violent du sale bougnoule de chez Talbot (2).

Pour réagir à ces attaques, le mouvement n’est pas mûr. L’alternative proposée est proche de la caricature : ouverture sur les Français du style Convergence, en évitant de chercher quels Français ? A partir de quelles luttes ? Ou repli communautaire du genre vote arabe, etc.

Discuter de cette fausse alternative, proposer d’autres choix serait trop long et n’est pas l’objet de l’article. Cependant, force est de constater que l’immigration remet en cause de façon de plus en plus insistante l’Etat et ses institutions. Le mouvement se doit, pour préserver son caractère offensif, de rejoindre d’autres forces qui contestent aussi la légitimité de l’Etat. C’est seulement en ce sens qu’on peut parler d’ouverture.

P. J. – Dijon, le 13-11-84

(1) Voir le numéro de Silence sur le mouvement Beur où Delorme dissèque le mouvement en 13 tendances et présente certaines initiatives comme relevant du terrorisme (Rock against police par exemple) dont le journal « aurait dû faire l’objet d’interdictions » … )

(2) Les jeunes du collectif de Paris ont réagi à ces manœuvres en manifestant aux côtés des grévistes de Talbot.

Une réponse sur « Dossier immigration »

[…] Le passage des « rouleurs »(parcours de I’Est) de « Convergence 84 » â Reims a coïncidé avec l’émergence dans la principale Zup de cette ville (Croix-Rouge) d’un bouillonnement interculturel porté par des jeunes. Dans cette Zup, plusieurs facteurs ont interféré : suite à la Marche pour l’égalité en 83, des jeunes du quartier avaient rencontre d’autres jeunes d’une importante Zup de St-Dizier qui s’étaient mis en association afin d’exister par eux-mêmes. D’autre part, la municipalité de Reims (RPR-UDF depuis 83)  menaçait de fermer ou de reprendre en mains certaines structures du quartier dont l’une (le + Château d’eau +) sert de lieu de rencontre, de répétition à différents groupes musicaux dont certains sont nés en son sein. Ce lieu, bétonné, insolite et peu fonctionnel mais n’imposant pas d’activités précises dans lesquelles les jeunes doivent obligatoirement s’inscrire pour avoir le droit d’entrer (cas des MJC ou centres sociaux) était et est encore le seul lieu de vie des jeunes du quartier. Ainsi est née l’idée d’une association regroupant les jeunes du quartier, créée et gérée par les jeunes eux-mêmes, indépendante des structures sociales, d’animations habituelles. Le premier but de cette association est d’acquérir un local afin de permettre aux jeunes de la Zup de se regrouper et de vivre collectivement leurs envies. Nous ne reviendrons pas en détail sur ce projet d’association (qui prend corps actuellement) défini par un groupe interculturel de filles qui a fait l’objet d’une interview dans le précédent C.A. […]

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