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Dure répression des grèves lycéennes à Alger

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 37, 15 décembre – 15 janvier 1980, p. 12-13

« Arabisation » (photo publiée dans El Djeich, n° 201, février 1980, p. 27)

Nous publions ici la lettre que nous venons de recevoir d’un lecteur algérien :

« Depuis le début du mois de décembre, certains lycées d’Alger sont en grève. L’initiative a été prise spontanément par les élèves dès qu’ils ont su que de nouvelles matières étaient introduites au baccalauréat, et que le taux de réussite allait être abaissé à 12 % (contrairement aux 30 % de l’an passé). « El Moudjahid » avait annoncé que les littéraires seraient interrogés en science et en physique, et les « scientifiques » en histoire et en géographie.

La grève des lycéens a commencé au lycée de l’Emir Abdelkader. Les élèves se sont ensuite dirigés vers Okba et Frantz Fanon (lycée de filles) et en ont fait sortir les jeunes (ces lycées se trouvent à Bab El Oued, quartier populaire et ouvrier). Le 4, tous les lycées de Bab El Oued étaient en grève, et certains d’autres quartiers. Le 5, le mouvement s’étendait à toute la ville d’Alger et à sa banlieue. Des manifestations ont ou lieu à El Biar, à la Place des Martyrs, à Hussein Dey, au Champ de manœuvre et devant le ministère de l’enseignement (au Golf El Mouradia). Devant l’ampleur du mouvement, cette fois-ci, les manifestants ont été violemment réprimés, des jeunes ont été arrêtés ; les médecins ont même menacé de faire grève si la police ne cessait pas de faire des blessés ! Le 6, des manifestations plus importantes ont été encore davantage réprimées.

Sous la pression de délégations de l’UNJA et de délégués d’élèves venues les premiers jours voir le ministre de l’Education nationale, celui-ci aurait reculé (selon un tract de l’UNJA). L’UNJA, quant à elle, a tenté d’encadrer le mouvement. Le 5, elle a été à l’initiative d’assemblées générales pour élire des délégations, espérant récupérer la grève qui lui échappait et faire élire ses représentants.

Beaucoup d’élèves veulent continuer jusqu’à la satisfaction de leurs revendications (taux de réussite au bac relevé, et suppression des matières rajoutées à l’examen). Ils ont pensé à chercher le soutien des étudiants et étendre la grève à tous les lycées d’Algérie. Et les filles ont elles aussi été nombreuses aux manifestations, ce qui constitue un précédent. Autre chose : la population a sympathisé avec les manifestants, et les a parfois aidés lorsqu’ils étaient en danger.

Au-delà des revendications, cette grève est aussi l’expression d’un ras-le-bol des élèves devant leurs conditions de scolarisation : les transports leur prennent dans certains cas jusqu’à 3 ou 4 heures pour aller et revenir du lycée ; les classes sont surchargées (40, 50 et même 60 élèves sont parfois entassés dans une classe minuscule). La discipline est quasi militaire. Et surtout, la sélection est féroce, et des milliers de jeunes, à l’âge de 13, 14 ans vont chaque année grossir les rangs des chômeurs.

Il y a aussi la grève des étudiants arabisants à la Faculté de droit, celle de Sciences économiques et de l’Institut des études politiques, déclenchée le 21 novembre dernier. Les étudiants occupent les locaux, mais la police n’est pas intervenue. Ils revendiquent des débouchés, et surtout l’arabisation de la fonction publique. Ils exigent surtout l’application de la Charte Nationale en matière d’arabisation, et certains se demandent si l’Algérie n’est pas encore un pays colonisé.

D’une façon générale, ils n’ont pas de lien avec les lycées en grève, et semblent peu soucieux d’en nouer. »

Les journaux ont annoncé que la grève des lycéens avait cessé le 10 décembre. On peut dire cependant que la presse bourgeoise a largement minimisé l’ampleur du mouvement lycéen et surtout la répression qui a suivi.

Cette répression (dispersion violente des manifestations, tabassages, nombreux blessés) doit faire perdre aux étudiants toute illusion sur le caractère policier de l’Etat algérien.

Il est certain que ces grèves lycéennes ont un caractère corporatiste, sans liens avec les travailleurs. Cependant, face à la répression de la jeunesse par l’Etat bourgeois, nous sommes solidaires des lycéens en grève.

2 réponses sur « Dure répression des grèves lycéennes à Alger »

Décidément, il y a eu au même moment (durant les années 60/70/80/90 )presque les mêmes revendications, les mêmes répressions des élèves, des étudiants et des ouvriers en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Et comme le fait religieux n’apparaissait pas durant ces luttes, le pouvoir, aidé des multinationales, l’a convoqué.

Tout à fait. Il faudrait écrire une histoire des luttes sociales au Maghreb. Cela nous permettrait de voir les liens entre les sociétés, au-delà du prisme national, et d’observer le rôle néfaste de l’islamisme qui a bien servi les intérêts des puissants.

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