Dossier paru dans Tout !, n° 5, 10 décembre 1970, p. 4
Après 2 jours de délibération politique la cour de sûreté de l’Etat a condamné Marc Hatzfeld à 3 ans de prison avec sursis.
Nous savions avant le commencement du procès que le pouvoir voulait donner de la prison ferme. Il a dû reculer car au procès a éclaté d’une manière irréfutable le scandaleux trafic de l’embauche de la région de Flins.
Tous les gens au courant de ce trafic n’avaient rien pu faire et reconnaissaient que les militants avaient eu raison d’employer des « méthodes particulières » pour attirer l’attention sur la réalité. On ne parlait d’ailleurs plus ni du raid maoïste, ni des « blessés », ni des dégâts.
D’accusés nous étions accusateurs et ce que nous avons fait, c’est essayer de faire entrer la lutte des classes elle-mêmes dans le tribunal, c’est-à-dire que non seulement nous avons fait venir des travailleurs immigrés, mais nous avons aussi fait venir les responsables du trafic de l’embauche, les organisateurs de ce trafic, les maîtres du gang et nous les avons accusés devant un public qui pouvait voir quelle sorte d’hommes ils étaient, dans quel camp ils étaient. Les camps ont été très nettement marqués et on a vu à plusieurs reprises des affrontements directs et violents entre les uns et les autres. Ainsi Guiriec le directeur général de Renault-Flins :
– Monsieur Guiriec, étiez-vous au courant du trafic de l’embauche ?
– Non, non, non, je ne sais rien.
Trois heures plus tard, un autre témoin. Mme Clément, une inspectrice du travail de la région :
– Etiez-vous au courant du trafic, madame ?
– Oui, nous étions au courant. Nous avons même adressé un rapport complet sur le problème à la direction de la Régie Renault de Flins.
Le clou du spectacle, ça a été DUPONT ; un petit gros, content de lui, à la face plate et pâle. Au début, il crânait mais ça n’a pas duré.
– Quelle est votre profession ?
– Ça consiste en quoi ?
– Je passe des contrats avec des travailleurs immigrés et contre des sommes d’argent, je les « oriente » vers des entreprises, je leur remplis des papiers etc. Je leur rends service en quelque sorte.
– Ça rapporte ?
– C’est plutôt lucratif.
Même l’avocat général Aguitton devait l’abandonner en disant qu’il était un agent d’affaires dénué de scrupules, âpre au gain et méprisable.
Le délégué C.G.T. n’eut pas beaucoup de chance, lui qui voulait isoler les gauchistes devant la justice (se fondant sur sa déclaration, Agultton dira : « D’ailleurs, vous avez entendu, le monde ouvrier les rejette »). Il eut le malheur de précéder un délégué C.F.D.T., militant dévoué et honnête, qui dira ce que tout le monde savait à l’usine.
Ainsi progressivement se révélait l’alliance dénoncée par les militants. Alliance de trafiquants qui s’enrichissaient de façon crapuleuse, de patrons qui couvraient et profitaient indirectement du trafic d’une C.G.T. qui par son silence se rendait complice des patrons et des trafiquants, d’un appareil d’ETAT qui en frappant les militants et en laissant courir les Dupont, les encourage à poursuivre leur sale travail de négrier.
Pouvoir, justice, patronat, C.G.T. main dans la main pour tenter de nous isoler. Ils furent ridiculisés par le Secours catholique, la C.I.M.A.D.E., Kateb Yacine, Sally N’Dongo… et d’autres venus témoigner de la réalité de ce que nous avons dit et du soutien des travailleurs immigrés.
La Cour de sûreté de l’Etat s’est trouvée contrainte de nous entendre. Elle ne pouvait admettre de nous donner raison sous peine de perdre sa raison d’être. Elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas frapper trop durement en raison du large courant de sympathie qui s’est développé autour du procès, elle voulait tout de même préparer !’opinion publique aux lourdes peines qui vont désormais frapper des gauchistes pour tenter de les intimider.
Désormais elle condamnera tous les gauchistes qui passeront devant elle ; c’est pourquoi nous ne pouvons orienter notre lutte pour la libératlon des emprisonnés en criant haro sur le « baudet-Marcellin-Cour de sûreté ». Ces gens sont des institutions du système. Cour d’exception certes scandaleuse par rapport au droit bourgeois bien sûr. Mais n’est-ce pas l’ensemble de ce droit, de cette justice que nous mettons en cause. Le tribunal des prud’hommes n’est-il pas aussi une forme de juridiction d’exception quand il donne régulièrement raison au Capital contre le Travail.
Nous sommes tous des politiques, nous sommes tous des droits communs.
C’est le système hiérarchique de la répression qui augmente tous ces tarifs : tarifs plus forts pour le jeune qui a volé une mob ; tarif plus sévère de 2 ans ferme pour pouvoir frapper fort ceux qui comme à Meulan ou Hénin-Liétard se révoltent contre l’injustice du pouvoir.
Pour se défendre contre Marcellin, il n’est pas d’autres voies que de défendre le peuple contre les exactions de la bourgeoisie. Ce qui a frappé au procès de Meulan, c’est que nous avons pu faire la preuve que les gauchistes n’utilisent pas la révolte des masses mais n’en sont que le haut-parleur.
Notre action est illégale, nous avons pu montrer à tous, qu’elle était légitime. Nous avons ainsi conquis la confiance de nos frères immigrés et maintenant c’est à eux de faire les Meulan, de crier ce qu’ils ont à dire et tout ce qu’ils subissent.
Je suis inculpé de dégradation de monument public. Nous vous accusons de la dégradation quotidienne de la santé et de la vie des travailleurs immigrés. Je suis inculpé de violation de domicile. Nous vous accusons du viol de Djamila Boupacha et du vol quotidien du travail des étrangers. Je suis inculpé de coups et blessures volontaires avec préméditation. Nous vous accusons de tous les coups et de toutes les blessures préméditées que vous commettez tous les jours sur les immigrés dans les commissariats, les usines, les foyers, les prisons. Je suis inculpé de violence volontaire avec préméditation. Nous vous accusons de la formidable violence quotidienne et volontaire que contient la traite des nègres. Et nous vous accusons de l’assassinat par le feu d’un enfant de 8 mois dans le bidonville de St-Denis le 24 octobre dernier et de l’assassinat d’un travailleur immigré brûlé vif aux usines Simca de Poissy le 26 octobre dernier, et encore de 100 autres assassinats qui sont perpétrés dans le silence mais que nous n’oublierons jamais. Lorsque vous nous parlez d’une autorité illégale, vous comprendrez que cette légalité qui frappe ceux qui dénoncent le trafic de l’embauche et qui protège ceux qui le pratiquent, cette légalité là, la vôtre, elle est totalement étrangère à notre peuple au nom duquel vous prétendez parler. |
KATEB YACINE
(écrivain algérien)
Quand vous avez fait votre action sur Meulan, j’ai tout de suite été enthousiasmé par ça et la plupart des Algériens et sûrement tous les Algériens qui l’on su, ont eu vraiment un coup au cœur. Ils ont vu qu’il y avait des Français qui avalent fait quelque chose de concret, de réel, de dangereux même, un ACTE DE LUTTE.
Il faut trouver le HO CHI MINH de la situation : parce que HO a commencé par être travailleur immigré ; il était balayeur et il balayait les trottoirs de Londres. Puis dans sa foulée, il en a profité pour balayer DEUX IMPERIALISMES.
Maintenant, il faut que les immigrés s’organisent, qu’ils forment des comités de base par nationalités, en se mettant en rapport avec toutes les organisations du mouvement ouvrier français.
SALLY N’DONGO
(Président de l’association des travailleurs sénégalais en France)
Bien sûr, il y a des trafics de toutes sortes, sur les cartes de travail, le logement, les cartes d’identité. Et si l’on parle de clandestinité, pour moi c’est l’administration qui est clandestine : comment en effet expliquer que l’on peut trouver quelques grammes de hashish au fond d’une valise et qu’on laisse passer des centaines de milliers de travailleurs avec leurs valises.
Non, tout cela est voulu par les capitalistes qui peuvent ainsi nous mettre dans une situation illégale et mieux nous tenir. Alors pour moi, le problème du trafic c’est pas le vrai problème ; la vraie question, c’est plutôt le rétablissement de l’esclavage.
Pour nous il y a quelque chose de changé depuis Aubervilliers ; à l’enterrement des cinq camarades qui sont morts, j’ai rencontré les gauchistes, les maoïstes… je ne sais plus comment on les appelle, on les appelle n’importe quoi. Je dois avouer, que jusqu’à ce moment, je me méfiais d’eux. Partout, on disait qu’ils cassaient et ne pas construire, alors je voulais vraiment les éviter. Depuis j’ai eu des contacts très positifs et nous avons plus avancé depuis dans notre travail que pendant les dix années précédentes.
LE RACOLEUR DE FLINS
Il y avait un Algérien qui travaillait avec nous. Ce gars-là était pavillonneur. Souvent, il avait 25 000 ou 30 000 balles sur lui, toutes les semaines, il disait toujours : « J’ai gagné au tiercé ». Alors il payait le ricard. Une semaine, ça va, 300 000. Mais ça a duré pas mal de temps. A la fin, on lui a dit : « C’est pas possible, ça, tu peux pas nous filer des tuyaux ». Après il a pris son compte, il en avait marre. Il avait soi-disant trouvé une place de poids lourd. Mais on a appris que ce mec-là faisait partie de la bande, il faisait le rabatteur avec sa camionnette. Quand il était à l’usine, il demandait toujours des bons de sortie ; c’est qu’il avait à faire, dehors. C’est comme ça que le syndicat a été au courant. Mais ils n’en ont pas parlé beaucoup au syndicat. On n’en a plus reparlé pendant un an, jusqu’à maintenant.
BRIGITTE GROS SALOPE !
Brigitte Gros. Salope !
Mme Brigitte Gros, Maire de Meulan, sœur de notre J.J. S.S., radicale, manifeste contre le scandale des scandales. Mais pas celui qui se passe dans sa mairie sous son appartement. Trafic de l’embauche, connais pas. Mais il y a l’affaire, il y a le procès, elle voudrait bien sortir vierge et pure de cette affaire. Elle obtient du procureur général, avec beaucoup de facilité, une visite au parloir ouvert, c’est-à-dire non surveillé, avec l’accusé principal – Marc – et lui propose tout bonnement de l’acheter : « On a besoin de jeunes intelligents et généreux comme vous. Présentez-vous aux municipales, je vous obtiendrais une Mairie… »
Salope !… Dégage …
IVRY : ON PARQUE A NOUVEAU LE BETAIL
8 décembre au matin : les flics en treillis entourent le célèbre foyer d’IVRY.
On déménage les camarades africains prévenus LA VEILLE, pour des foyers (THIAIS et autres) situés beaucoup plus loin de leurs lieux de travail.
La municipalité P « C » F continue !
COMMUNIQUE
Un collectif « immigrés » a réalisé un film à propos du procès de Meulan, des actions qui l’ont précédé et entouré. Il sera disponible dans une semaine. Les camarades peuvent écrire au journal pour se le procurer. Les copains qui l’ont fait sont près à l’accompagner en province pour le présenter. La rapidité EXCEPTIONNELLE de fabrication sera peine perdue si comme bien d’autres films politiques il reste dans ses boîtes. Il a été réalisé d’une manière assez large pour pouvoir être projeté dans les Ciné-clubs, foyers, facs, etc.
Il dure 30 minutes ce qui permet une discussion large sur le problème des immigrés. Il est en 16 mm noir et blanc.
Les travailleurs immigrés en France, c’est l’exploitation coloniale présente dans nos rues et dans nos usines. Cette présence est celle d’une oppression, c’est aussi celle d’une lutte. La classe ouvrière immigrée, c’est la lutte des peuples au Tiers-Monde présente dans le cœur même des grandes cités industrielles. C’est la Palestine à Barbès. C’est Harlem partout.
m. h.