Article paru dans Le Prolétaire, n° 377, mai 1984, p. 3
Les 17 et 18 mars se sont tenues les Assises Nationales contre le Racisme à l’appel du MRAP, grâce au concours actif du gouvernement. La presse a relevé l’ambiance sinistre dans laquelle s’est déroulée cette grand-messe où on a tenté d’exorciser le démon de la lutte de classes. Les participants, qui allaient des bourgeois libéraux, comme Olivier Stirn, député UDF, aux gauchistes rangés des barricades comme Bauby ou Krivine, ont communié sous le signe de l’anti-racisme démocratique et du « droit à la différence ».
En même temps qu’elle sème les ferments du racisme, qu’elle organise la chasse officielle aux travailleurs immigrés, la bourgeoisie essaie de contrôler les inévitables mouvements de résistance par des opérations de récupération, comme lors de la Marche pour l’Egalité (cf. le Prolétaire n° 376), et en mettant en place avec l’aide irremplaçable de l’ex-extrême-gauche et des soi-disant organisations de soutien aux immigrés, les barrages destinés à détourner toute lutte réelle.
Le discours anti-raciste du gouvernement n’est pas seulement l’un des termes, illusoire, d’une politique « à double face » ; il est aujourd’hui la condition indispensable pour pouvoir mener une politique unique, anti-ouvrière, qui s’appuie sur la division entre races et nationalités. L’anti-racisme des gardiens professionnels de la paix sociale est une garantie que se donne la bourgeoisie pour éviter que la révolte contre l’expression pratique du racisme social ne se place sur le seul terrain dangereux pour elle, le terrain de la lutte de classe.
Impuissance ultra-gauche
Mais dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière nous avons également à combattre des positions « radicales » (et d’autant plus pernicieuses ) qui, partant de la dénonciation correcte de l’anti-racisme démocratique, aboutissent en fait par des voies opposées à l’impuissance et au défaitisme.
Il y a d’abord l’attitude de type ultra-gauche qui nie toute lutte spécifique anti-raciste au nom de la pure lutte pour les intérêts généraux de la classe. Révolution Internationale est le représentant typique de cette position (rappelons-nous l’époque où toute participation à une lutte ouvrière partielle était dénoncée comme une trahison et un renoncement à la lutte révolutionnaire) : dans le monde éthéré des grands principes où vit ce groupe, les problèmes réels de la classe ouvrière ne peuvent évidemment être ni perçus, ni compris. Les critiques qu’il nous adresse à cette occasion sont donc plutôt réconfortantes…
On rencontre aussi une attitude qui se veut « concrète », « politique » mais qui n’est en fait q’une adaptation passive aux circonstances du moment. Le bulletin El Mounadhil donne un exemple de cette position, qui tend malheureusement à se répandre. Numéro après numéro, El Mounadhil s’attaque aux mots d’ordre qui appellent à l’unité de la classe. La base de l’analyse est que la coupure entre ouvriers français et immigrés est effective pour une longue période. Dans ces conditions, l’appel à l’unité de la classe ouvrière serait un mot d’ordre « ambigu » et « qui rejoint objectivement le social-impérialisme » ! La meilleure preuve en serait que ces slogans sont parfois avancés par des réformistes ou par des « organisations françaises dans des manifestations à 80% d’immigrés ». (El Mounadhil n° 3).
Sur cette pente on peut aller très loin : après tout, tous les réformistes ne parlent-ils pas de socialisme, de marxisme, de lutte des classes et ne le font-ils pas effectivement pour camoufler des positions opportunistes, de collaboration de classe, etc. ? Cela n’a pourtant jamais convaincu les révolutionnaires sérieux à abandonner la revendication du socialisme, du marxisme ou de la lutte des classes. Ceux-ci au contraire cherchent à montrer aux masses que ce n’est là qu’un masque revêtu par les réformistes pour faire passer en douceur leur politique ou pour se refaire une virginité.
Personne ne peut nier les divisions au sein de la classe, entre ouvriers français et immigrés, entre immigrés européens et immigrés arabes, entre « jeunes » et « vieux » immigrés, entre clandestins et « légaux ». Le problème est de savoir si on éternise (même relativement) cette constatation et si on abandonne alors la lutte pour l’unification ouvrière ; ou si on considère que c’est là la seule voie de salut et si on se met donc en condition de faire les pas réels, même très modestes, dans ce sens. Choisir la deuxième voie (qui ne signifie évidemment pas demander aux travailleurs immigrés d’attendre (?) pour se défendre) n’est d’ailleurs peut-être pas aussi absurde que cela si on en juge d’après l’effort dépensé par les bourgeois pour diviser la classe.
La lutte contre les divisions sera (et est déjà) une des questions politiques centrales de la lutte de classes en France. Aucun prétexte, et surtout pas le prétexte que l’adversaire se prépare à occuper le terrain, ne saurait justifier l’abandon de cette lutte dont les escarmouches se déroulent dans les usines comme dans les quartiers. Nous n’appelons donc pas à abandonner une lutte réelle pour la passivité de ce qui serait une chimère – l’unité ouvrière soi-disant impossible – mais nous appelons à donner aux poussées indéniables de lutte anti-raciste une orientation de classe. Il n’est certes pas possible d’avancer vers ce but par la seule magie des slogans ou de la propagande ; il faut s’appuyer sur les besoins objectifs de la lutte ouvrière contre les attaques de la bourgeoisie ou de la défense contre les crimes racistes en sachant présenter, dès que nous en avons la possibilité, des perspectives de mobilisation et d’organisation concrètes et adaptées à la situation.
C’est sans doute là une tâche peu exaltante qui sera taxée de « minimaliste » par certains de nos critiques et de « sans espoir » par les autres c’est cependant la tâche qui s’impose aujourd’hui.