Article paru dans Le Prolétaire, n° 426, avril-mai 1994
Les autorités algériennes ont finalement signé l’accord avec le FMI, après des mois de tergiversation. Pendant longtemps elles ont espéré que la reprise de l’économie mondiale entraînerait une hausse des cours du pétrole et du gaz (les seules exportations algériennes notables), ce qui aurait augmenté les recettes de l’Etat et lui aurait permis de faire face à ses échéances (les paiements des intérêts de sa dette extérieure). Hélas ! la reprise économique est hésitante et au lieu de monter, le prix du pétrole a plongé : dès lors l’Etat algérien courrait à la faillite. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, alors qu’en 1993 le paiement de la dette a absorbé 75% des recettes à l’exportation, la chute de 20% des prix du pétrole ne permet d’espérer que 8 milliards de dollars de recette en 1994, alors que l’Algérie doit débourser cette année 9,4 milliards de dollars (1).
BRAS DE FER INTERNATIONAL AUTOUR DE L’ALGERIE
Pour faire face à ses obligations vis-à-vis de ses créditeurs étrangers et pour assurer les importations indispensables à l’activité économique – et à la survie de la population – le capitalisme algérien a cherché à « reprofiler » sa dette : emprunter de l’argent à long terme pour payer ses échéances à court terme (ce qui revient à transformer une dette à court terme en dette à long terme) ; le problème est qu’on ne se bouscule pas pour prêter de l’argent à un pays en difficulté, il faut une volonté politique des grands Etats. L’autre solution est de se tourner vers le FMI, qui prête de l’argent à faible taux d’intérêt, mais en contrepartie exige l’application d’un programme économique contraignant pour « remettre en ordre » les finances du pays, avant d’accepter de « rééchelonner » la dette extérieure, c’est-à-dire de suspendre pour un certain temps son paiement.
Jusqu’à présent, le pouvoir algérien se disait hostile à l’option FMI officiellement parce que cela signifierait payer plus cher de nouveaux emprunts (!), cela entraînerait des risques accrus pour l’équilibre social, et enfin ce serait une perte de souveraineté.
Les autorités françaises (la France est le premier partenaire commercial de l’Algérie et son plus gros prêteur) accusaient les banques américaines d’être hostiles à un « reprofilage » en vue duquel un consortium de banques internationales dirigé par le Crédit Lyonnais avait été mis sur pied.
Mais ces derniers temps, on a commencé à y voir un peu plus clair dans le jeu complexe des différents impérialismes. Nous suivons ici en partie un article du « Financial Times », un des organes de la finance britannique et internationale (2). Le quotidien rappelle d’abord qu’une partie de la dette algérienne a déjà été « refinancée » entre 1989 et 1991 : vis-à-vis du Japon (1,5 milliard de dollars) et vis-à-vis de l’Italie (2,7 milliards de dollars), malgré une « forte opposition du Trésor Français » dans ce dernier cas. La France dont « les vues ont un poids considérable parmi les débiteurs privés et multilatéraux de l’Etat algérien » a en effet bloqué toute tentative ultérieure de « reprofilage ». Elle fait pression pour que l’Algérie passe sous les fourches caudines du FMI, parce qu’elle compte bien prendre la part du lion dans l’ouverture inévitable aux investissements étrangers que cela signifie : chassée par la nationalisation, des champs pétrolifères sahariens, elle salive à la perspective d’y remettre la main dessus…
La principale opposition est venue non de l’Algérie, mais du… Japon. Le Japon est en effet le deuxième débiteur de l’Etat algérien avec 4,5 milliards de dollars prêtés essentiellement par des banques sous garantie de l’Etat. En cas de ré-échelonnement de la dette, ces banques perdraient gros. Leur responsable japonais a donc menacé : « la demande d’un rééchelonnement non seulement rendra impossible pour le Japon d’accepter de nouveaux engagements pendant une période considérable, mais cela rendra aussi plus difficile pour les parties japonaises de réaliser les contrats commerciaux et le paiement des prêts déjà accordés pour les contrats ».
Cette menace est d’un poids certain pour l’Etat algérien car le Japon a notamment entrepris la construction d’une usine de liquéfaction de gaz qui en ferait un gros client du gaz algérien.
L’impérialisme français, lui, ne serait guère attristé des déboires nippons, mais comme le Japon a un poids supérieur au sien dans le FMI et les autres organisation financières internationales que Paris voudrait mettre à contribution pour les pays de la zone franc, il a fallu composer avec Tokyo. Des ministres algériens et français ont fait successivement le déplacement jusqu’au Japon et finalement ce dernier a accepté de lever son opposition à condition qu’un traitement de faveur lui soit accordé: en gros qu’une partie de l’argent déboursé par le FMI serve à payer ses banques…
VERS LA DICTATURE MILITARO-ISLAMIQUE ?
La dégradation continue de la situation politique peut se mesurer au rythme des attentats islamiques et, chose que ne relèvent jamais les médias français, aux assassinats et à la terreur d’Etat. De véritables commandos de la mort para-militaires sont responsables d’enlèvements de supposés islamistes dont les cadavres affreusement torturés sont ensuite intentionnellement abandonnés. Cela s’est passé par exemple à Blida, fief islamiste bien que situé dans une zone à forte présence militaire, où le ministre de l’intérieur est venu symboliquement tenir une conférence de presse pour indiquer que Blida était « libérée » : la venue du ministre a été précédée par le passage des escadrons de la mort dans les quartiers populaires.
La classe dirigeante est traversée de contradictions et de rivalités de classes féroces : le chef militaire de la région de Blida par exemple a été relevé de ses fonctions car accusé de sympathies islamistes. Le journal « L’Hebdo Libéré » lié à certains cercles de l’armée (3) a été victime d’un attentat meurtrier mis sur le compte des islamistes, mais probablement oeuvre d’une fraction militaire opposée à tout compromis avec les islamistes et contre laquelle ce journal mène une violente campagne. L’évasion d’un millier de détenus islamistes de la prison de « haute sécurité » de Lambèze, début mars, a nécessité des complicités militaires (des transports de troupes ont été utilisés pour évacuer les évadés).
La conclusion d’un accord avec le FMI aura des retombées sociales dramatiques ; après la dévaluation du dinar de 40%, la réduction ou la suppression des subventions aux produits de base, la liquidation des entreprises non rentables ou virtuellement en faillite, la réduction générale du nombre d’emplois de la Fonction Publique, etc. – mesures classiques de tout « programme d’ajustement » du FMI – entraînera une aggravation du chômage et une baisse de niveau de vie des masses laborieuses.
Pour contenir la colère de la population, le pouvoir doit nécessairement élargir sa base sociale. Les tentatives en direction des partis politiques classiques n’ont donné aucun résultat lors de la « Conférence Nationale » au début de l’année. Le nouveau « Conseil National de Transition » est boycotté par le FLN, le FFS, le RCD, etc, (même par les trotskistes du PT !). La véritable ouverture doit se faire en direction des islamistes et la mise à l’écart du premier ministre Rédha Malek semble correspondre à cet objectif.
Cette perspective d’un accord-compromis avec les islamistes a les faveurs de l’impérialisme français ; elle est décrite ainsi par le « Le Figaro » : « La stratégie imaginée par les militaires est claire. Ils vont pendant 6 mois tenter d’écraser les islamistes les plus extrémistes (…) tout en essayant de négocier avec les chefs historiques du FIS, (…) l’organisation à l’amiable d’une dictature militaro-islamiste » (4). A la grande fureur des français, les américains estiment, eux, que les islamistes vont inévitablement l’emporter et ils chercheraient à négocier avec ces derniers (5).
Si certaines fractions de la classe dominante sont prêtes à tout pour éviter de partager leurs privilèges, la menace de troubles sociaux les convaincrait rapidement que seuls les islamistes sont capables d’être entendus des chômeurs et des déshérités, et donc capables d’être un rempart de l’ordre établi.
L’influence des partis bourgeois « démocratiques » ne va guère en effet au-delà d’une couche assez mince de la petite-bourgeoisie francophone, la seule exception étant les partis à base berbère, le FFS et le RCD.
La classe ouvrière algérienne, victime désignée des prochaines mesures économiques est loin d’être passive en dépit de la pression causée par le renforcement constant de la terreur d’Etat et les exactions islamistes. A la fin de l’année dernière, la grève massivement suivie des enseignants malgré la propagande des médias, l’agitation dans la zone industrielle d’Alger, où la grève de 18.000 travailleurs a failli éclater, en sont le témoignage. De même le succès des manifestations organisées au début de l’année en Kabylie par le MCB (Mouvement Culturel Berbère) ou à Alger en avril, malgré leurs ambiguïtés reflètent le mécontentement social croissant (la manifestation dite « des femmes » du 22 mars a par contre été une manifestation de soutien à l’armée et au régime).
Ce mécontentement a contraint les bonzes de l’UGTA a durcir leur ton contre l’accord avec le FMI. Le secrétaire général Benhamouda a même menacé que l’UGTA pourrait « devenir extrémiste » ! Mais aux journalistes qui lui rappelaient qu’il avait publiquement déjà approuvé l’accord , ce pantin n’a trouvé autre chose à répondre que : « Qui dans ce pays, n’emploi pas un double langage ? » (6).
Pour la classe ouvrière, la situation n’est pas facile. Il leur faut éviter d’écouter les sirènes démagogiques des islamistes comme les appels de ceux qui, à l’instar des ex-staliniens de Ettahadi, l’appellent à soutenir les fractions jusqu’au-boutistes de la classe dirigeante, ou du RCD bavardent sur la « résistance armée » aux islamistes; il lui faut éviter de prendre pour argent comptant les discours des bonzes syndicaux vendus à l’Etat bourgeois. Elle doit savoir qu’elle est l’ennemi véritable des islamistes comme des anti-islamistes. Mais il lui faut prendre conscience qu’elle seule a en réalité la force de résister aux attaques bourgeoisies d’où qu’elles viennent, qu’elle seule a la potentialité de changer le monde en détruisant le système capitaliste.
La condition de ce changement complet du rapport de force est que l’avant-garde prolétarienne rompe avec toutes les alternatives bourgeoises pour se réapproprier le programme communiste et s’engage dans la reconstitution du parti de classe international, organe indispensable de la classe ouvrière pour résister aux forces coalisées du capitalisme national et international, et pour aller vers la révolution prolétarienne mondiale.
Ce chemin est long mais c’est le seul qui n’est pas illusoire. Il n’y a pas de raccourcis.
(1) « Libération », 11 avril 1994. « Le Matin », 17 février 1994.
(2) « Financial Times », 17 décembre 1993.
(3) L’hebdomadaire parisien « Courrier International » assure qu’il s’agit des services secrets.
(4) Cf « Jeune Afrique », 24 février 1994.
(5) L’impérialisme français lui aussi cherche à négocier avec les islamistes, par l’intermédiaire du Soudan.
(6) Voir « Liberté », 19 avril 1994.
Une réponse sur « L’Algérie après les accords avec le FMI »
[…] debt in the wake of the 1986 and 1990 oil shocks. The IMF’s conditions back then included devaluing the dinar by 40 percent, privatization of state-owned enterprises, the closure of unprofitable companies and job cuts. […]