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L’Algérie après l’indépendance (II)

Article paru dans Le Prolétaire, n° 29, février 1966, p. 2 et 4


Pendant que Ben Bella paradait sur le devant de la scène politique, nous avons vu quel était l’enjeu social des luttes de classes qui se livraient en Algérie. (Voir notre numéro précédent).

Ce n’est pas par hasard que les principales clauses des accords d’Evian portaient seulement sur un délai de trois ans : l’impérialisme français laissait à la bourgeoisie nationale l’honneur de faire rentrer dans l’ordre les baïonnettes surgies des djebels.

Pour cette bourgeoisie qui venait de gagner, sur le tapis vert de la diplomatie internationale, le droit d’acheter et de vendre à son propre compte du travail salarié. Il s’agissait bien en effet d’imposer sa domination politique aux confuses dissidences de l’Aurès et aux premières manifestations prolétariennes. Nul ne pouvait accomplir cette tâche mieux que ne l’a fait Ben Bella.

Pendant trois années, il a couvert par des phrases « socialistes » et des beaux gestes de tribun l’immense écart qui séparait l’ampleur de la lutte d’indépendance et la précarité des résultats négociés par les bourgeois de Tunis. Ses aveux confirment d’une manière éclatante tout ce que nous avions écrit sur la signification des accords d’Evian et du « programme » de Tripoli (cf « Programme Communiste » N. 20-­21 : « La révolution algérienne est-elle une révolution ? »). « La crise du F.L.N. ouverte en 1957, écrivait Ben Bella dans la Charte d’Alger, a abouti progressivement à une dégénérescence des organismes dirigeants. Le refus d’aborder le problème du contenu social de l’Algérie indépendante a influé directement sur les accords d’Evian négociés et conclus dans la précipitation. La fuite en avant n’a pas permis pour autant l’escamotage des problèmes fondamentaux : elle a seulement rendu la crise plus violente et plus dramatique. L’adoption à l’unanimité du programme de Tripoli n’est pas un critère de démarcation entre les forces révolutionnaires et celles qui voulaient faire des accords d’Evian une stratégie. La pratique de la direction consistait à retarder le moment où seraient pris les engagements irréversibles touchant la nature de la société après l’indépendance » (Ed. de la Commission Centrale d’Orien­tation du F.L.N., p. 31).

Mais Ben Bella a-t-il poussé plus avant le mouvement des masses ? C’est ce qu’affirmait l’opportunisme international qui a mille fois trahi la révolution algérienne et qui applaudissait aux accords d’Evian. Nous avons montré, nous, ce qu’il y avait sous la phraséologie « sociale » benbelliste : la répression des derniers soubresauts révolutionnaires, la mise au pas des ouvriers et des paysans (cf. « Le Pro­létaire » N. 28). Ben Bella « socialiste » ? Un « socialiste » à la Louis Blanc ! Il a préparé et conquis l’Algérie à une domination sans voile de la bourgeoisie. Il a ouvert les champs de bataille de la révolution aux mercenaires de Boumedienne formés et équipés de longue date derrière les barrages électrifiés de l’impérialisme français en Tunisie et au Maroc. La faillite de Ben Bella est celle des démocrates petits bourgeois de tous les temps : même destinée politique, mêmes mots d’ordre, même illusions généreusement répandues sur la « nature de la société ».

Pour nous, en effet, la nature de la société algérienne après l’indépendance n’a jamais fait le moindre doute. Il n’est pas de Ben Bella (ni même de Lénine) qui aurait pu transformer par un coup de baguette magique la misère des paysans, le chômage prolétarien, la dépendance économique à l’égard de l’impérialisme. Mais nous n’avons jamais travesti la République bourgeoise en « République sociale » nous n’avons jamais vu dans l’indépendance nationale la solution à tous les maux que le capitalisme accumule dans le système mondial actuel. Au contraire, la bourgeoisie des pays arriérés croit découvrir une recette infaillible dans la « liberté » de contracter avec le plus offrant et elle fonde sur la concurrence des capitaux étrangers ses fragiles espoirs d’un développement harmonieux de l’économie nationale. Dans ce domaine, comme dans les questions sociales, le règne de Ben Bella aura mis fin à bien des illusions.

LE MYTHE DE L’INDUSTRIALISATION

On se souvient que pour toute solution de la question agraire, Ben Bella avait renvoyé les paysans algériens aux mirages de l’industrialisation dont devraient bénéficier les fils ou les petits-fils des fellahs. Objectif bourgeois radical que la Charte d’Alger définissait en ces termes : « L’option socialiste de développement (sic !) implique que l’ensemble des investissements doit être, aussi rapidement que possible, financé par des ressources internes, c’est-à-dire par un prélèvement sur le revenu national. Ce prélèvement ne pourra assurer un rythme de développement suffisant que si le travail fourni par chaque Algérien dépasse largement sa consommation ». (op. cit. p. 87). Ainsi, « l’option socialiste » et patriotique de ces messieurs, c’est de mettre la ceinture aux masses sous-alimentées pour les inviter à produire. Et l’on reconnaît là, sous des oripeaux de « socialisme », la bestialité de l’accumulation primitive du capital qui opprime le travailleur au-dessous des limites de la résistance humaine.

Quant à l’aspect social du développement capitaliste (espoirs de résorber le chômage, de constituer un marché national et une industrie lourde), il ne dépend pas de la volonté que peuvent avoir les masses de se sacrifier sur l’autel de la patrie, mats de rapports objectifs dominant l’ensemble de l’économie mondiale. « L’aide étrangère doit être considérée comme un palliatif, un simple appoint venant s’ajouter à l’effort national. Une acceptation aveugle de celle-ci compromettrait l’indépendance économique et politique du pays. Ceci sans parler des effets monétaires qui tendent à annihiler partiellement l’effort d’équipement que développent les circuits engendrés par l’aide étrangère » (Ibid. p. 67). La Charte d’Alger ne dit pas si cette aide étrangère peut n’être effectivement qu’un palliatif secondaire. Mais Ben Bella y a répondu lui-même : l’industrialisation se fera essentiellement avec cette « ai­de ».

La signature en juillet 1965 des « accords de coopération » avec la France est venue clore toute une période pendant laquelle l’Algérie indépendante a essayé d’établir des rapports nouveaux avec le marché mondial. A la recherche des capitaux nécessaires à son industrialisation, elle s’est adressée à différents pays d’Europe occidentale et orientale, savourant les joies et les illusions de la « liberté ». Le « socialiste » Ben Bella flirtait alors avec Moscou par un amour partagé du libre échange. Mais les idylles n’ont qu’un temps ; la vie se charge d’y mettre tin. Il fallait résoudre avec de Gaulle les difficiles problèmes de main-d’œuvre, d’exportation des produits agricoles. Quant aux prêts consentis à l’Algérie par les différents pays, ils n’étaient pas à la mesure de ses besoins. Et comment les prêteurs russes, tchèques ou allemands pouvaient-ils être plus « généreux », alors que la seule hypothèque sérieuse de l’Algérie, son pétrole et son gaz, restait hors du marché ? Ces diverses considérations — qui n’ont rien de « socialiste » — ont finalement rallié Ben Bella à la position de ceux qui entendaient faire une « stratégie » de tout accord avec la France et qui voulaient se servir du pétrole algérien comme principal levier de l’industrialisation.

Certes, Ben Bella ne quémandait pas une simple augmentation des royalties. Il demandait que les sociétés pétrolières assortissent leur exploitation éhontée de formules « progressistes » : « Notre doctrine en la matière tient dans l’utilisation sur place du pétrole et du gaz. Cette utilisation fournira le marché local en produits, permettra l’utilisation des autres potentialités existant dans le pays et donnera à l’Algérie la possibilité d’exporter des produits élaborés et semi-élaborés » (Discours de Ben Bella à Laghouat, « L’Algérie dans le monde » octobre 1964). Ainsi, la fameuse industrialisation cessa bientôt d’apparaître comme l’oeuvre de « tout le peuple » pour « tout le peuple ». Il s’en dégageait toujours plus une forte odeur de pétrole ; et cela signifiait que l’industrialisation de l’Algérie resterait l’affaire de l’impérialisme. Ben Bella se mit alors à vanter publiquement le « génie » de la France et la façon dont elle a au « féconder le sol algérien » !!!

Il y a mieux. Par la négociation « au niveau des Etats », l’anti-impérialiste petit-bourgeois croyait découvrir la conciliation des antagonismes impérialistes : « Il n’est pas illusoire, déclarait-il encore à La­ghouat, d’imaginer des formes d’arrangement conciliant les exigences posées par les pays qui ont besoin de s’industrialiser et d’accéder su stade de la vie moderne avec les impératifs des pays dont l’économie hautement développée requiert des fournitures abondantes et régulières en matières premières parmi lesquelles les hydrocarbures se situent au premier plan. Les modalités d’un tel arrangement étant définies et clairement établies, les sociétés retrouveraient, tout naturellement mais sans plus, leur rôle d’opérateur industriel, ce qui n’exclut pas que ce rôle qui comporte du labeur, de l’ingéniosité et du risque (sic !), mérite de la part du pays auquel il apporte un concours actif, une rétribution légitime et satisfaisante (resic !) »

Ici Ben Bella ne parle plus en « socialiste », ni même en révolutionnaire bourgeois, mais en pa­cha du Moyen-Orient faisant les antichambres des magnats du pétrole. Mais ceci dit, une question se pose : que sera cette industrialisation de l’Algérie par l’impérialisme français présenté comme un honnête et laborieux « opérateur industriel » ?

UN NOUVEAU PACTE INDUSTRIEL

Toujours prête à soutenir les brigandages ou les marchandages de sa bourgeoisie, « L’Humanité » du 31-7-65 saluait en termes élogieux les « accords de coopération » avec l’Algérie. « Statut pétrolier mutuellement profitable », « compromis acceptable » qui permettra de « fournir au peuple algérien une meilleure base pour l’édification de sa propre économie nationale », et de conclure : « Les accords sont signés. Ce sera une grande victoire s’ils tiennent leurs promesses » !!! Qu’on ne vienne pas, après cela, dénoncer ce qui s’appelle « néo-colonialisme » !

Le « vieux » colonialisme, celui que les pieds noirs ont ramené dans leurs valises, c’était le pillage sans retour, la colonie considérée comme terrain de chasse. Et tous les démocrates français s’y sont accrochés jusqu’au « dernier quart d’heure ». Mais depuis longtemps ce n’est plus cela le « colonialisme ». Au pillage a fait place « la mise en valeur ». A l’exportation des marchandises métropolitaines dont l’esclave colonial était un piètre consommateur, a succédé peu à peu l’exportation des capitaux en quête d’investissements rentables. Et le banquier, le technicien, le professeur — « nouvelle » clientèle du P.C.F. — ont évincé le petit colon qui fit jadis la fortune politique des partis radicaux et « socialistes ». La vieille Europe s’est mise à exploiter sur place les ressources de ses anciennes colonies et à y implanter son propre mode de production. C’est justement cette action dissolvante du capital sur la société coloniale qui en a précipité la ruine. Mais alors, consciente du joug que lui faisait subir l’impérialisme, la bourgeoisie indigène revendiquait pour elle-même ce « rôle d’opérateur industriel » qu’elle rend aujourd’hui à l’impérialisme. La conquête de l’indépendance nationale, la constitution d’un appareil d’Etat bourgeois lui apparaissaient comme le seul moyen de jouer véritablement ce rôle historique. La force des choses l’a conduite à se renier confirmant nos prévisions et notre critique de l’émancipation bourgeoise. Comme le montrait Lénine, voici un demi-siècle, l’impérialisme peut asservir n’importe quel Etat, « indépendant » ou pas, à la domination du capital financier, à sa politique et à ses « accords » internationaux.

Pendant la guerre d’indépendance, le F.L.N. considérait qu’une véritable industrialisation non seulement de l’Algérie, mais de toute l’Afrique du Nord, était soumise à deux préalables : une complète indépendance douanière à l’égard de la France et de l’Europe ; une planification économique à l’échelle du Maghreb. Et dans cette perspective les dirigeants nationalistes dénonçaient aussi bien les pâles réformes agraires lancées en Tuni­sie et au Maroc que le « plan de Constantine » par lequel de Gaulle essayait d’appâter la bourgeoisie algérienne. Enfin. Ben Bella précisait lui-même les limites de ce que serait une industrialisation de l’Al­gérie impulsée et dominée par : « Le néo-colonialisme, écrivait-il dans la Charte d’Alger (op. cit. p. 56), en créant une apparente d’indépendance et un essor limité mais réel de l’économie au profit des classes exploiteuses du pays dépendant, élargit le marché. Il permet par le jeu de l’aide dirigée de maintenir de rythme d’expansion des grandes Industries capitalistes et de contrôler l’économie des pays dépendants afin qu’elle soit complémentaire et non concurrentielle ». Le plus rapide examen des « accords de coopération », négociés par Ben Bella et signés par Boumedienne, nous permet de conclure que l’industrialisation de l’Algérie par l’impérialisme français ne sortira pas de ces limites.

On a souvent comparé les accords de juillet 1965 avec le « plan de Constantine ». Et « Le Monde » du 15-7-65 commentait : « Il est vrai que l’ampleur des avances consenties du côté français, et l’objectif visé — le développement d’une industrie algérienne fondée sur les revenus et les produits pétroliers — font penser au « grand dessein » de 1958. Avec une différence : c’est que l’aide de la Fran­ce n’est plus octroyée, mais négociée, et qu’elle a très précisément pour objet d’arracher l’Algérie déjà émancipée politiquement de l’économie coloniale, des rapports de producteur de matières premières à producteur de produits finis ». Les points sur lesquels se sont rencontrés les intérêts de l’impérialisme français et de la bourgeoisie algérienne sont donc bien clairs. Il y a d’abord l’espoir commun de voir se développer en Al­gérie un marché national pour une industrie indigène où s’investirait le capital financier de l’ancienne métropole. Et cela ne pouvait être réalisé par le plan de Constantine, sous le régime colonial.

Par contre, ce que « l’association coopérative » a sauvé du plan de Constantine correspond à l’essentiel des intérêts du grand capital : la main-mise sur le pétrole algérien et le renforcement de l’union douanière avec la France. En échange des fournitures industrielles et des capitaux nécessaires a son développement, l’Algérie consentira aux produits français des tarifs préférentiels. D’ailleurs « l’aide liée » l’obligera à acheter en France ses biens d’équipement. Ainsi prend fin le rêve de « libres » contrats négociés avec des entreprises russes, allemandes ou américaines. Mais ce n’est pas tout. En signant ces accords, le ministre Boumaza soulignait qu’ils augmenteraient « l’impact pétrolier sur l’économie algérienne » (« Le Monde », 18-17-7-85). N’est-ce pas avouer que les plans de développement de l’Algérie dépendront de cette seule ressource, de la seule « association » avec la France dans un domaine où la loi du marché est celle que dictent les grandes sociétés américaines ?

Évoquant les perspectives d’industrialisation de l’Algérie, le même « Monde » écrivait : « En concourant au relèvement du niveau de vie de la population algérienne, la France renforcerait sa situation de fournisseur privilégié de l’Algé­rie et verrait le marché algérien largement ouvert à ses produits : seule, la production algérienne serait en mesure de la concurrencer non pas immédiatement, mais terme, et seulement en ce qui concerne les biens de consommation ». N’est-ce point ce que Ben Bella définissait comme « néo-colonialisme » ?

UNE MYSTIFICATION DÉMOCRATIQUE : LES RAPPORTS « ÉGAUX » ENTRE ETATS

Le socialisme scientifique a établi, dès ses premiers pas, comme une thèse que l’émancipation nationale ne saurait se confondre avec l’émancipation sociale de toute exploitation. De même, au début de ce siècle, Lénine a établi qu’avec l’impérialisme l’Etat le plus indépendant ne saurait se soustraire à la dure loi du marché et, au développement inégal de l’accumulation capitaliste. Dans la « société des nations », pas plus que dans la société civile, les rapports ne peuvent être « égaux ». Les accords d’Evian, entre autres clauses scandaleuses, avaient pratiquement reconnu aux sociétés pétrolières leurs « droits » de domination sur le Sa­hara où la République algérienne n’exerçait qu’une souveraineté théorique. Ben Bella s’est fait fort de mettre fin au régime des enclaves afin de traiter avec la France « d’égal à égal », d’Etat à Etat. Mais surtout il présenta cette négociation et le renforcement de la souveraineté politique de l’Algérie comme la véritable solution aux antagonismes économiques entre pays arriérés et pays superindustrialisés. La force des faits l’a amené à se démentir.

Parlant de la « survivance du pacte colonial qui oppose les pays du tiers monde aux pays hautement développés », Ben Bella déclarait : « Nous ne voyons pas d’autre solution à ce problème que d’une part dans l’assurance pour les pays sous-développés d’obtenir des prix stables équitables et rémunérateurs pour leurs matières premières et d’autre part dans la garantie d’une répartition plus équilibrée des effets directs ou indirects de l’industrialisation » (Discours pour l’inauguration de l’usine d’Arzew « l’Algérie dans le monde » octobre 1964). Vœux pieux ! La stabilité du prix des matières premières échappe entièrement au contrôle des pays arriérés. Quant aux « effets de l’industrialisation », ils sont incontrôlables même par l’impérialisme.

La mystification démocratique des rapports entre Etats a atteint des proportions colossales. Les Ben Bella, les Nasser, les Mao ont assez vanté la « décolonisation » gaulliste. En réalité, nous l’avons vu, le plan de Constantine dans tout ce qu’il a d’essentiel ne pouvait être réalisé qu’avec un Etat algérien « indépendant ». Lorsqu’en 1958 de Gaulle le lança, nul ne voulut en entendre parler : ni le F.L.N. qui était alors plus ambitieux, ni le capital métropolitain qui refusait de s’engager sans garantie politique de l’Algérie en guerre. Au projet de construction d’un complexe sidérurgique à Bône qui utiliserait sur place le fer algérien fut opposé le complexe de Dunkerque important son minerai d’Afrique pour l’exploiter en métropole. Seules, des « négociations » avec un Etat algérien « indépendant » pouvaient donner au capital financier toutes les assurances indispensables.

Mais il y a plus. Dans ses « négociations » avec un quelconque Etat national, l’impérialisme ne cherche pas uniquement des garanties politiques à son exploitation des anciennes colonies. Il fait assumer par cet Etat les risques et les frais de ses entreprises de brigandage… Lors de la construction du troisième pipe-line algérien, un journaliste demanda au cheikh Tariki, ancien ministre du pétrole d’Arabie Séoudite, à quoi tenait selon lui la politique algérienne de participation étatique ou même de contrôle exclusif qui est consacrée aujourd’hui par le nouveau « statut pétrolier ». Voici ce que le cheikh répondit : « Cela s’explique : les distances sont tellement grandes entre les puits et la mer que l’Al­gérie doit posséder elle-même ses moyens de transport pour que son pétrole soit compétitif par rapport à celui de la Libye. Il y a même dans cette opération un risque de perte » (« Le Monde », 2 octobre 1964).

Qui donc endossera ces risques ? L’Etat algérien, c’est-à-dire en dernière analyse, les ouvriers des villes et les paysans du bled. L’industrialisation se fera, mais d’une façon restreinte : dans les branches non concurrentielles pour les produits de la métropole et rentables pour ses capitaux. Elle n’éliminera pas le chômage endémique et sera impuissante à créer un véritable marché national. Le fils et les petits-fils des fellahs, sans travail et sans terre, afflueront dans les villes ou prendront le chemin de l’émigration. Car c’est aussi cela la « coopération » : exportant toujours plus de capitaux, l’impérialisme importe des contingents toujours plus nombreux de chair humaine. Après avoir versé son sang dans les djebells, le peuple algérien devra encore verser sa sueur dans les bidonvilles de l’Europe. Peut-être alors, ces prolétaires qui n’ont pas trouvé de patrie trouveront-ils leur drapeau et la solidarité de leurs frères de classe ? Il faudra pour cela que l’abominable « prospérité » bourgeoise touche à sa fin dans les métropoles mêmes.

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