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L’indépendance algérienne a 20 ans. La gauche française et la révolution algérienne

Articles parus dans Le Prolétaire, n° 364, 16 juillet au 2 septembre 1982, p. 3-4


L’indépendance algérienne, dont on célèbre aujourd’hui le vingtième anniversaire, a porté des fruits amers. Les masses prolétariennes et exploitées, qui ont donné un million et demi de morts, subissent aujourd’hui la pire des dictatures bourgeoises. A ceux qui font la fine bouche devant les luttes d’émancipation nationale et qui tirent la conclusion qu’ « il ne fallait pas se battre » nous répondons que dans ce processus tragique c’est la dégénérescence stalinienne du mouvement ouvrier de la métropole qui porte la plus grande responsabilité.

C’est parce qu’il n’a pas existé un soutien massif de là part du prolétariat français, c’est parce qu’il n’a pas existé un parti communiste révolutionnaire et internationaliste en France capable de promouvoir ce soutien, que les masses algériennes ont été poussées dans les bras de directions bourgeoises et dépouillées de leur victoire. L’existence d’un parti et d’une action internationaliste authentique du prolétariat d’ici aurait créé des conditions positives pour que les masses d’ouvriers et de fellahs, en gardant leur indépendance de classe, puissent disputer à la bourgeoisie algérienne les fruits de la victoire.

Il est donc utile, pour clouer les ennemis du prolétariat à leurs responsabilités, de rappeler certains faits concernant la politique du PC et du PS français, aujourd’hui grands amis du régime bourgeois issu de la guerre d’Algérie.

La politique du PCF, internationaliste en paroles, est marquée en fait
par le plus répugnant chauvinisme impérialiste. Le fondement théorique en est le messianisme européen. La « révolution » doit commencer dans les métropoles : que les peuples asservis attendent que le prolétariat français se mette en mouvement ! Ils atteindront alors au bonheur « socialiste » sans besoin de passer par l’indépendance.

Dans les faits, ceci revient à justifier l’union avec la métropole, c’est-à-dire l’asservissement colonial. Dans son discours d’Alger, le 11 février 1939, Thorez affirme : « il y a une nation algérienne qui se constitue dans un mélange de vingt races » (*). Autrement dit, l’Algérie serait un creuset où se mélangeraient Européens et Musulmans sans prédominance des uns ou des autres. La conséquence de cette analyse est qu’il faut repousser la revendication d’indépendance, au moins jusqu’à ce que la « nation algérienne » soit formée… en bonne entente avec la métropoles.

Thorez le dit tout net : « Oui, nous voulons une union libre entre les peuples de France et d’Algérie. L’union libre, cela signifie certes le droit au divorce, mais pas l’obligation du divorce. J’ajoute même que dans les conditions historiques du moment [la veille de la guerre impérialiste], ce droit s’accompagne pour l’Algérie du devoir de s’unir plus étroitement encore à la démocratie française. » Celle-ci a besoin de chair à canon !

L’« Union française » figurera dans la Constitution de 1946, approuvée par le PC et le PS : couverture hypocrite du maintien du colonialisme. Entre temps le PC et le PS portent entièrement la responsabilité du massacre de Sétif du 8 mai 1945. L’Humanité renchérit même sur les « camarades ministres » en appelant au renforcement de la répression : « Il faut châtier rapidement et impitoyablement les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute » (L’Humanité du 12 mai 1945). Ceux-ci sont traités d’ « agents hitlériens » et d’ « autres agents […] au service de l’impérialisme fasciste » (Alger Républicain du 12 mai 1945). D’ailleurs le procureur militaire qui requiert contre les militants interpellés au cours des émeutes distingue soigneusement entre PCA et PPA (le parti de Messali Hadj), puisque le premier cherche « à préserver la souveraineté française en Afrique du Nord » (L’Echo d’Alger, 7 août 1945).

A la suite de l’insurrection de 1954, le Bureau Politique du PCF dénonce les violences contre le mouvement national algérien, mais il condamne dans la même foulée la lutte armée que ceux-ci mènent : « En de telles circonstances, fidèle à l’enseignement de Lénine, le Parti Communiste Français qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, même s’ils n’étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et pour la défense des droits ». Et de préconiser « une solution conforme à la volonté ou à l’intérêt de l’ensemble des hommes et des femmes vivant en Algérie » et « assurant la défense des intérêts de la France »… Quant au PCA, il se rapprochera par la suite du nationalisme algérien, mais au prix d’une érosion de ses effectifs européens. Ceci n’empêchera pas que l’analyse du PCF sur l’Algérie continue d’être fortement influencée par la communauté européenne.

Le PS est au pouvoir au moment du déclenchement de l’insurrection du 1er novembre 1954. Mitterrand ministre de l’intérieur, envoie immédiatement le contingent, afin de « préserver l’unité de la nation » (débat parlementaire du 11 décembre) : « Des Flandres au Congo, partout la loi s’impose, et cette loi est la loi française » (discours du 12 novembre 1954). Envoi du contingent, timides réformes, torture en masse : telles sont les trois composantes de la politique du gouvernement PS en Algérie. Le 12 mars 1956, Guy Mollet obtient du Parlement des pouvoirs spéciaux pour « régler » la question algérienne, et le PCF s’associe à ce vote, ce qui ne sera pas sans provoquer un certain désarroi chez plusieurs de ses militants.

L’attitude des deux partis va cependant évoluer à la suite des réactions suscitées par la guerre dans des franges du contingent et des civils, y compris chez des militants communistes et socialistes. Dès lors, leur politique sera à double face : soutien au nationalisme algérien de la part de militants individuels à la base (qui se chiffrent d’ailleurs par unités), attitude ambiguë et oscillante de la part du sommet.

C’est ainsi qu’en mai 1956 Pierre Mendès-France et Alain Savary démissionnent du gouvernement et que le 6 juin le PCF s’abstiendra du vote de confiance. D’autre part, l’Humanité ne dit mot de l’emprisonnement d’Alban Liechti, jeune communiste condamné le 12 novembre 1956 pour avoir refusé de partir à la guerre. Cependant, en juillet 1956, le PCF met au rencart le concept d’« union française » et en février 1957 il annonce brusquement que la « nation algérienne » a terminé sa gestation. Maurice Thorez proclame : « Et maintenant, en accord avec l’histoire, avec la vie qui se développe et qui avance, nous avons modifié notre formule et nous parlons à juste raison du fait national algérien, de la nation algérienne constituée ». Parallèlement, l’Humanité va rompre le silence sur les jeunes adhérents du parti emprisonnés pour fait de désertion (ils seront 26 en février 1959) : le 30 septembre 1957, 14 mois après son arrestation, le journal réclame la libération d’Alban Liechti. Et puis le PCF se solidarise à présent avec « les Algériens d’origine européenne, parmi lesquels les communistes algériens, qui participent aux combats pour la libération de leur patrie » (Les Cahiers du communisme, février 1957). Cependant le 27 octobre 1960, encore, Thorez et Frachon désavouent un meeting syndical contre la guerre d’Algérie tenu à la Mutualité, provoquant une crise grave au sein de l’Union des Etudiants Communistes

De toute façon, cette évolution ne s’accompagne pas d’un engagement pratique. Quelques mois avant les accords d’Evian, le 8 février 1962, la manifestation de Charonne, où plusieurs militants du PC et de la CGT seront tués, sera essentiellement une manifestation anti-OAS antifasciste, et non pas d’opposition frontale au gouvernement De Gaulle. Et d’ailleurs si la répression du métro Charonne suscite quelques jours plus tard une manifestation monstre de 500.000 personnes, la répression bien plus massive et tragique de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961, qui a fait 600 morts et 11.500 arrêtés, est, elle, tombée dans un silence quasi-total de la part de la gauche officielle et des syndicats.

Contrairement à ce que prétendent actuellement PC et PS, il n’y a donc jamais eu de leur part un soutien massif à la cause de l’indépendance algérienne. Ils sont passés de la participation directe à la répression à la revendication de la « paix en Algérie » et au soutien platonique au FLN. Un point c’est tout.

Cependant, s’il n’y a pas eu un soutien de masse du prolétariat français à la révolution algérienne, du fait de la politique social-impérialiste de ses chefs, la guerre n’a pas été sans susciter des réactions dans des franges minoritaires, qui ont apporté un appui réel, montrant ainsi que la responsabilité de l’isolement des combattants algériens retombe entièrement sur les parti social-chauvins.

En septembre-octobre 1955, dans plusieurs villes de France, des manifestations opposent des rappelés du contingent qui refusent de partir, et qui sont parfois soutenus par des groupes d’ouvriers, à la police. Les affrontements, violents, durent plusieurs heures. Des comités se forment, regroupant des catholiques (y compris des prêtres), des communistes oppositionnels, des trotskystes et des membres de la « nouvelle gauche », qui s’est constituée en 1954 autour de Claude Bourdet et de Gilles Martinet et qui confluera plus tard dans le PSU et le nouveau PS. Il y aura surtout, à partir d’octobre 1957, le fameux réseau Jeanson-Curiel, qui s’occupera de fournir au FLN des planques, des voitures, et assurera le transport des fonds.

Ce réseau est formé surtout d’intellectuels, d’artistes, de quelques curés. De même le manifeste des 121, en septembre 1960, qui justifie la désertion et l’aide aux militants algériens, est signé par des écrivains, des universitaires, des gens du spectacle. On comprend qu’il se soit ainsi créé une habitude, dans la mémoire collective des Algériens de l’émigration, et que les travailleurs émigrés en lutte au cours de ces dernières années aient souvent été tentés de s’adresser à ces mêmes couches pour trouver un appui qui leur était refusé par les syndicats et les partis « ouvriers ».

Mais l’histoire n’a pas avancé en vain. La transformation bourgeoise de l’Algérie a engendré un prolétariat nombreux, vigoureux et combatif, dont l’élan dépasse largement son cadre national, le transmettant au cœur même l’Europe impérialiste. Ces dernières années, la classe ouvrière algérienne s’est portée à l’avant-garde de la lutte contre le capitalisme international.

C’est aux prolétaires de la métropole de ne pas laisser seuls encore
une fois leurs frères de classe dans la lutte contre l’ordre établi. Il s’agit
là d’une clé de voûte de l’émancipation internationale de la classe
ouvrière. Car la révolution communiste dans les métropoles sera l’oeuvre commune du prolétariat « autochtone » et immigré (qui constitue les 20% de l’ensemble de la classe ouvrière) ; et la révolution prolétarienne dans la périphérie capitaliste aura non seulement besoin de l’aide matérielle de la révolution dans les métropoles pour réussir les transformations socialistes, mais encore de la mobilisation ouvrière ici pour paralyser l’intervention criminelle de l’impérialisme.

Pour la mise en œuvre de ce programme international, le prolétariat européen et maghrébin doit retrouver la voie de son indépendance de classe. C’est à cela que nous travaillons internationalement.

(1) Cité par Hervé Hamon et Patrick Rotman. Les porteurs de valises (La résistance française à la guerre d’Algérie). Albin Michel, 1979, p. 21. Les autres données de fait de l’article sont tirées également de cet ouvrage.


Rassemblement devant l’ambassade d’Algérie

Appelé par le Collectif algérien d’unité d’action et par le comité RIPRA (Riposte à la Répression en Algérie), le rassemblement a commencé vers 18h30 sous le signe de l’hésitation. Au métro Kléber, une petite manifestation s’est formée pour se diriger vers l’ambassade d’Algérie, la marche était silencieuse et sans enthousiasme malgré les banderoles où l’on pouvait lire : « Libérez les détenus politiques en Algérie » ; « Libertés démocratiques en Algérie » ; « Egalité des droits entre les hommes et les femmes ».

Devant l’ambassade, il y avait à peine 100 personnes, essentiellement des militants du CTA (Comité de Travailleurs Algériens), du Comité de refus du code de la famille, de l’ASEAF (Association des Etudiants Algériens en France), de l’OST (Organisation Socialiste des Travailleurs), de l’ATAF (Association des Travailleurs Algériens en France) et des militants et contacts de RIPRA.

Il n’y eu aucune intervention du Collectif expliquant ce rassemblement, seul un appel à rejoindre ce Collectif en donnant l’adresse a été fait. Ce rassemblement, bien que parti d’une juste initiative a donc été assez peu combatif. Notons que lors du meeting du 3 juillet, le FFS n’a même pas appelé au rassemblement et que l’annonce du rassemblement n’a été faite qu’à la fin du meeting, qui a rassemblé jusqu’à 600 personnes, alors que de nombreux travailleurs avaient quitté la salle.

Nous avons toujours pris et soutenu des initiatives pour lutter
contre la répression en Algérie mais une fois de plus, cela justifie notre préférence pour des initiatives, même minoritaires, sur des bases claires, avec les méthodes de l’action directe, en ne comptant que sur la mobilisation des travailleurs et des jeunes dans l’immigration.

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