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Mais qui se souvient du 17 octobre 61 ?

Dossier paru dans Sans Frontière, n° 32, du 16 au 22 octobre 1981, p. 5-7

Juste avant le carnage sur les grands boulevards, ils manifestaient pacifiquement (Elie Kagan)

Il y a 20 ans, le 17 octobre 1961, à Paris, 200 Algériens étaient assassinés par la Police

MAIS QUI DONC S’EN SOUVIENT ?

Ce soir-là, on se pressait sur les grands boulevards pour aller voir « Boeing Boeing » au théâtre Caumartin. Non loin de là à l’Olympia on faisait la queue pour aller voir Jacques Brel à ses débuts dans la chanson tout comme Johnny Hallyday qui l’avait précédé sur cette même scène. Au ministère de la marine, une grande réception est donnée en l’honneur du Chah d’Iran et de l’Impératrice Farah. Charles Trénet leur chante « Y’a d’la joie ». A Montparnasse, chez Régine la dernière boite à la mode, on danse le twist : « Cet air nouveau qui nous vient de là-bas »

Au même moment des dizaines de milliers d’Algériens manifestent contre le couvre-feu qui leur était imposé. La répression fut sanglante : 200 morts, 400 disparus, des centaines de blessés. Mais qui donc s’en souvient ?


En ce mois d’octobre 1961, la guerre d’Algérie n’en finit plus de finir. A Alger et à Oran, l’OAS multiplie les attentats aveugles contre la population aveugle contre la population musulmane, cependant qu’à Évian des pourparlers s’engagent entre le GPRA et les autorités françaises. Nous sommes à cinq mois du cessez-le feu.

A Paris, le préfet de police, M. Maurice Papon, vient de décréter le couvre-feu de 20h à 5h du matin, à toute la communauté algérienne. Là, pas besoin de porter l’étoile, hein, M. Papon ? Les arabes eux, se reconnaissent à la gueule ! Et puis M. Papon, connait bien les algériens puisque de 1956 à 1958, il a été inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire à Constantine ; autrement dit, « Super Flic ». La première mesure ouvertement raciste depuis la fin du régime de Vichy est prise dans l’indifférence quasi-générale. Les partis de gauche et les syndicats se taisent honteusement, ainsi que le MRAP et la LICRA, et les associations des rescapés des camps de la mort. Alors, pour protester contre le couvre-feu, le FLN va organiser une manifestation de masse la date est fixée pour le 17 octobre. Le 17 octobre 1961, qui s’en souvient ? Personne ! L’histoire interrogée répondra que l’on a rayé ce jour de l’histoire de France. Quant à la presse, elle répondra que la censure taillada les articles. Les autres eux, ne répondront jamais ! Pourtant, l’épilogue de la guerre est dans cette mémoire et dans cet oubli.

Il y a vingt ans donc, la police française (harkis compris), allait s’illustrer par un haut « fait d’armes » en réprimant dans le sang et avec une violence sans précédent, une manifestation pacifique. Car c’est à une manifestation pacifique qu’appela ce jour-là le FLN, la consigne était stricte : pas d’armes, pas de bâtons, ni même un canif. « Nous allons manifester pour notre dignité ». La consigne fut respectée, des vingt quartiers de Paris et des banlieues, dès 18 heures, des cortèges se formaient, des hommes, des femmes, et des enfants marchaient en silence, la plupart avaient revêtu leurs habits du dimanche. « Il fallait être digne, non » ! Mais la police ce soir-là, ne l’entendra pas ainsi ; la dignité des « bougnoules » elle s’en foutait et puis elle en avait vu d’autres lorsqu’elle rafla les juifs en 1942. Il n’y eut pas ce soir un seul blessé parmi les forces de l’ordre au nombre de 7000 répartis en CRS, gardes mobiles, harkis et agents de la police parisienne qui se distingueront par leur sadisme.

A la Goutte d’Or, la police tira à la mitraillette sur les manifestants. A St Michel et à l’Étoile, des dizaines de manifestants furent matraqués à mort par les flics déchaînés, aveuglés de haine raciste. Au pont de Neuilly, les harkis ouvraient le feu à la mitraillette sur un cortège composé d’hommes et de femmes tenant des enfants par la main. Dans la cour de la préfecture de police 50 prisonniers furent massacrés par de braves agents de police ivres de meurtre.

Plusieurs dizaines de manifestants furent abattus sommairement dans les rues, ou dans les commissariats de police. D’autres furent jetés à la Seine ou pendus dans le bois de Boulogne. 12 000 algériens seront arrêtés cette nuit-là et conduits dans les centres de triages de Vincennes ; manquant de places le palais des sports sera réquisitionné, le concert que devait faire Ray Charles sera annulé. Le parc des expositions de la porte de Versailles sera aussi réquisitionné par la police ; des milliers d’Algériens y seront parqués pendant plusieurs jours. Les cars de police ne suffisant plus, c’est à la RATP que reviendra la basse besogne d’auxiliaire de police. Combien de syndiqués, de chrétiens. de communistes ou de socialistes, ont transporté des Algériens mains sur la tête vers les stades avec leur outil de travail ?

Les jours suivants, la chasse aux « bicots » se transforma en pogroms mot encore intraduisible en français jusque là.

Il le devint par la volonté du préfet de police, M. Papon, cela s’appellera désormais ratonnade. M. Roger Frey, ministre de l’intérieur de l’époque couvrira Papon. A l’Assemblée nationale, il assurait qu’il n’y avait eu que deux morts du côté algérien. Mais l’inspection générale des polices annoncera 140 morts chez les Algériens.

Le FLN quant à lui recensera 200 Morts et 400 disparus. Il n’y eut aucune protestation de la part des syndicats et des partis de gauche sinon quelques communiqués timorés. C’était il y a vingt ans, les responsables de ce massacre sont toujours là ; M. Debré était premier ministre, M. Roger Frey était ministre de l’intérieur, M. Maurice Papon était préfet de police. Au regard de l’Histoire, ils sont des criminels de guerre, et au regard du droit, ils sont amnistiés, couverts par la loi du silence, et de la honte.

Une page d’histoire a été occultée, qui osera la tourner ? Gageons que demain, l’on commémorera toutes les victimes de la haine raciale quelles qu’elles fussent. On ne peut aller se recueillir à la mémoire de telles ou telles victimes et oublier celles qui dérangent. Il est abominable rien que d’y penser, que l’on puisse hiérarchiser le racisme. Quelle est la différence entre Darquier de Pellepoix et Maurice Papon ? L’unification du mouvement anti-raciste réside aussi dans la mémoire et dans l’oubli de cette nuit sanglante.

Farid Aïchoune


Le témoignage d’une journaliste et d’un photographe

LA BASSE CAPITULATION D’UN PEUPLE IRRESPONSABLE

Ce soir-là comme tous les soirs je sortais de mon travail, je travaillais alors place du marché St Honoré j’empruntais la rue de Rivoli pour aller prendre mon métro à Concorde. Il y avait beaucoup de policiers puis tout d’un coup une charge des gens qui couraient partout. Des français qui rentraient du boulot, apeurés et pressés d’échapper au matraquage s’engouffraient dans le métro, ce que je fis aussi moi-même. Sur le quai, il y avait une cinquantaine d’algériens mains sur la tête tenus en respect par des policiers en armes. L’un d’entre eux était blessé à la tête et il saignait abondamment. Je me suis alors approchée lui ai pris la main et sorti un mouchoir.

Un policier aussitôt:

« Que faites-vous là »

« Vous ne voyez pas que cet homme perd son sang ? »

« Que vous importe »

« Il m’importe que c’est un homme et que je suis infirmière et je peux le soigner »

J’ai été brutalement rejetée et mise de force dans la rame qui passait. Ne pouvant plus rien faire, la rame s’ébranlait, je regardais par la vitre, jamais je n’oublierai le visage pathétique de cet algérien.

Pas plus que je n’oublierai les réactions des gens dans le métro. « On en a marre, on est plus tranquille, t’occupe pas, s’ils veulent leur indépendance, qu’ils la prennent. Comme ça on ne sera plus emmerdés. »

C’était la basse capitulation d’un peuple irresponsable. Je sus seulement les jours suivants l’ampleur du massacre de cette nuit du 17 octobre 1961.

Cette nuit du 17 octobre, que la plupart des français ont oubliée ou même jamais sue, « je ne savais pas, on n’avait pas la télé, je ne lisais pas les journaux ».

Cette nuit « gommée de l’histoire de France », il faut pourtant la rappeler, car comme le déclarait M. Claudius Petit à l’assemblée Nationale au ministre de l’intérieur M. Roger Frey, 12 jours plus tard :

« Nous vivons ce que nous ne comprenions pas que les Allemands vivent après l’avènement d’Hitler »

Il faut rappeler que le racisme est une absurdité, une honte, un contre-sens. Il faut rappeler le droit des peuples et de chaque homme à se déterminer.

Il faut surtout rappeler aux français que le peuple le plus « démocratique » qui le proclame depuis sa propre révolution, n’est pas à l’abri d’une telle hystérie collective.

Madeleine Trébous
Journaliste

1 200 Algériens furent parqués pendant plusieurs jours au Palais des Sports à la Porte de Versailles. Ici au Stade Pierre de Coubertin.

« LES ARABES ÉTAIENT DEVENUS LES NOUVEAUX JUIFS »

Le gouvernement français prit la décision d’instaurer un couvre-feu à partir de 20h pour tous les « nord-africains ». Pour répondre à cette mesure raciste qui empêchait les travailleurs d’Afrique du Nord et leur de mener une vie normale – exemple : aller chercher des aliments dans une épicerie, ou aller au cinéma. La Fédération de France du FLN appela à une manifestation pacifique sur les grands boulevards. Les dirigeants du front prirent la précaution, afin de parer à toute provocation de fouiller les participants, afin qu’ils n’aient pas de couteaux sur eux.

Je me trouvais au Métro Opéra quand les premiers manifestants arrivèrent, fiers et inquiets à la fois (vue l’atmosphère régnante à l’époque). Ils ne réclamaient que le droit, la justice, d’être considérés comme des hommes. Quand les premiers coups pleuvèrent, les charges, les cris, la peur. Je me sou viens, rue de Rivoli sous les arcades, près du ministère de la marine, les mitraillettes dans le dos, les bras levés contre une palissade, les insultes et les cris. Et puis, rue de Lille, rue de Solférino, la charge des gardes mobiles, sauvage, haineuse. J’eus si peur à mon tour que je suis rentré dans la vespasienne au bd St Germain. Je me disais Élie, « s’ils te trouvent là, ils vont te piquer la pellicule » comme cela se faisait souvent. J’étais caché là. Des bruits de bottes, un ordre guttural « Revenez, il y en a encore de ce côté là » et le groupe de policiers qui venait de passer dans un sens devant mon urinoir, repassa une seconde fois. Je voyais déferler les casques brillants, j’étais mort de peur, les battements de mon cœur semblaient s’accélérer à me faire éclater les veines.

Je me disais tout à l’heure, il va y avoir un flic qui va avoir envie de pisser et qui va rentrer me trouver, se demander ce que je fais avec mon appareil et mon flash suant, les cheveux mouillés. J’avais un moment pour me calmer, pour refouler ma peur. J’ai mis ma tête dans l’eau qui coulait du haut de la vespasienne. Quand le groupe d’hommes armés passa enfin, j’étais seul sur cette portion du boulevard St Germain, j’avais sauvé la pellicule. Maintenant, il me fallait aller un peu plus faire mon métier et mon devoir d’homme. Vers le métro Solférino, j’entendis des cris de nouveau. Un groupe d’algériens dévala tes marches, les visages ensanglantés terrorisés. Je vis un jeune français un étudiant sans doute acheter des billets de métro et les distribuer aux algériens blessés. L’un d’entre eux criait « maman », en arabe, une balle dans l’épaule, deux autres plus loin essuyaient leurs blessures sur le quai du métro au robinet. Un quatrième s’était adossé sur un banc et geignait sous les regards indifférents des français qui passaient dans les rames bondées. Je me livrais à quelques réflexions à quoi peuvent-ils penser fatigués et indifférents à la fois.

« On s’en fout, c’est pas nous », superbe égoïsme des masses. Sur le quai j’allais ressortir quand la contrôleuse me dit : « Savez-vous qu’il est interdit de prendre des photos sur les quais du métro ». Alors là, je bondis je lui hurlais à la figure :

« Quelle femme êtes-vous donc ? Chrétienne, syndiquée, communiste ? Indifférente, vous n’intervenez pas quand vous voyez des hommes qui souffrent, l’idée ne vous viendrait pas d’aller prendre votre mouchoir pour éponger leur sang et vous venez me dire à moi, qui faisais mon métier, que c’était interdit. Et interdit de tuer, vous vous ne l’avez pas dit aux bêtes immondes habillées en noir qui tout à l’heure hurlaient en tapant, en tirant, en tuant ».

Je comprenais maintenant le petit David les bras levés et personne ou presque ne venant à son secours.

Le palais des sports bondé d’algériens pour moi c’était devenu clair, la même chose que le Vel’ d’hiv et ses grandes rafles le 16 juillet 42. Même peur même haine et même indifférence. Vingt ans plus tard les arabes étaient devenus les « nouveaux juifs ». Je me souviens Pont de Neuilly, les autobus bondés d’algériens les mains en l’air et sur la plate-forme des policiers en armes. Je me souviens la rue des pâquerettes à Nanterre, des blessés et des morts sur un petit muret et les tâches de sang. Quelle peur j’ai eu en faisant ces photos avec le « tacata » des mitraillettes non loin. Quelle peur j’ai eu mais il fallait que je le fasse pour montrer au monde ma haine de la guerre stupide et meurtrière. Et l’algérien, blessé ramené dans une voiture à l’hôpital de Nanterre et l’infirmier qui criait « Et un raton, un ! » sous les quolibets des policiers qui notaient les entrées.

Mais je me souviens aussi le lendemain les familles, les mères, chargées d’enfants à la recherche des blessés et des disparus.

Huit jours plus tard, on distribuait des pâtes à la mairie de Nanterre. Vingtième siècle, civilisation, Auschwitz, Midanek, toujours présent sur d’autres lieux, sous d’autres cieux.

Élie Kagan
Reporter-photographe


Le récit publié par l’Humanité du 18 octobre 1961 malgré la censure du pouvoir

Les agents de la RATP exprimant à leur façon leur « solidarité » avec les travailleurs algériens (Elie Kagan)

CHRONOLOGIE D’UNE NUIT SANGLANTE

Un long cortège de 200 à 300 mètres de long composé d’hommes et de femmes, portant parfois un enfant dans leurs bras, un cortège où les jeunes étaient en majorité, a fait son apparition à 21 heures sur le boulevard Poissonnière, à la hauteur de l’immeuble de notre journal. Depuis un quart d’heures, il avait quitté la place de la République, et remontait les grands boulevards en empruntant le côté droit de la chaussée.

PLACE DE L’OPÉRA FACE AUX CRS

Jusqu’à la place de l’Opéra, par le boulevard de Montmartre, et le boulevard des Italiens, ils ont manifesté en scandant, tour à tour : « Algérie algérienne », « Le FLN au pouvoir », « Les racistes au poteau » et « Libérez Ben Bella ». Dans les premiers rangs du cortège, une jeune femme brandissait un parapluie blanc entouré d’une écharpe verte.

De temps à autres, le cortège s’arrêtait et les manifestants se mettaient à applaudir longuement. Puis les femmes poussaient des « you-you » qui se répercutaient d’un bout à l’autre du long défilé de manifestants parmi lesquels on reconnaissait même un militaire.

Souvent, on voyait deux, trois Algériens quitter brusquement les trottoirs ou ils circulaient pour se joindre au cortège, un cortège qui avançait en bon ordre sur le côté droit dirigé par son propre service d’ordre qui facilitait lui-même la circulation des voitures.

Pendant ce temps, place de l’Opéra, où avaient pris position d’importantes forces de police, et plusieurs cars de CRS, des groupes d’Algériens qui sortaient du métro étaient systématiquement arrêtés. On a vu des hommes et des enfants de 7 à 8 ans avancer, les mains croisées au-dessus de la tête.

Puis à 21h15, le cortège arriva à hauteur de l’Opéra et stops, faisant face aux CRS, qui arrivaient le mousqueton à la main. Quelques mètres seulement séparaient le cortège des policiers et ils restèrent ainsi face à face pendant une dizaine de minutes.

Soudain, un mot d’ordre circula parmi les manifestants qui firent brusquement demi-tour et reformèrent leur cortège de l’autre côté du boulevard des Italiens qu’ils remontèrent en sens inverse, scandant à nouveau leurs mots d’ordre. Il était 11H30, la manifestation recommençait. Occupant les deux trottoirs et la chaussée, les CRS suivaient à une dizaine de mètres. Ils s’arrêtèrent peu après et prirent position à hauteur du cinéma « Le Berlitz ».

COUVRE-FEU SUR LE BOULEVARD BONNE-NOUVELLE

Les manifestants, eux, continuaient à redescendre les grands boulevards, et, débouchant de la rue Vivienne, on vit même un groupe important d’Algériens opérer sa jonction avec le cortège qui repassait, une seconde fois, le carrefour de la rue du Faubourg Poissonnière.

A quelques dizaines de mètres de là, le drame sanglant allait se jouer. En effet, arrivée à hauteur du restaurant « Le Gymnase », sur le boulevard Bonne-Nouvelle, la tète du cortège se heurta à un car d’agents de police,. il y eut un moment d’hésitation puis le chauffeur du véhicule descendit sur la chaussée et tira un coup de feu en l’air. Ce fut le signal. Aussitôt, les agents descendirent du car et vidèrent les chargeurs de leurs revolvers sur les manifestants qui tentaient de trouver refuge à l’intérieur du restaurant et dans l’immeuble contigu.

Pendant quelques secondes, au milieu des bruits de vitrines brisées, on entendit s’élever des cris de douleur. Des centaines de manifestants se dispersèrent par les rues voisines. Bientôt, il ne resta plus sur le boulevard que des chaussures et des vêtements épars. Mais, sur le trottoir devant le restaurant, sept corps étaient allongés. Combien de morts ? Un à coup sûr, tué d’une balle dans la tête, deux peut-être et des blessés graves. En haut des marches, d’une ruelle adjacente, un huitième algérien gisait sous une voiture, grièvement atteint au genou.

De longues minutes s’écoulèrent et aucune ambulance, aucune voiture de police ne vint prendre les blessés. Ce sont des passants qui se chargèrent de transporter à l’hôpital les plus gravement touchés. Les Algériens qui s’étaient réfugiés dans un immeuble étaient attendus à la sortie où les agents les matraquaient.

LA TACHE DE SANG

La seconde partie du drame se déroulait pendant ce temps devant le cinéma REX. Le cortège fut brusquement rejoint par plusieurs cars de police et aussitôt pris à partie par les policiers casqués, mousquetons au poing. Ceux-ci chargent à coups de crosse. Bientôt, plusieurs corps jonchèrent le sol. Des corps sur lesquels on s’acharnait à coups de pied. Tout près de la sortie du métro, un algérien était étendu, assassiné, brutalement jeté par les coups de crosse contre la grille. Un, deux, trois policiers retournèrent le corps, à coups de pied. Les Algériens blessés, allaient rester là sans soins, entourés d’un cercle de policiers. C’est là qu’on rassembla les manifestants arrêtés dans le voisinage. Et jusqu’à plus de 11 heures, ils demeurèrent assis sur le trottoir, toujours surveillés par un fort contingent de policiers.

Devant le groupe des Algériens, une flaque de sang barrait le trottoir.

A grands seaux d’eau, un policier s’efforça de la faire disparaître. Mais après le départ de la police, la trace du sang était encore visible.

BOULEVARD Saint-Michel

Boulevard Saint-Michel, venant de la place Saint-Michel et de l’île de la Cité, et remontant vers le Luxembourg, plusieurs centaines d’Algériens défilent. Il est 20h30.

Le cortège, calme et tranquille, comprenant des femmes, conduit par un service d’ordre, explique aux passants les raisons de cette manifestations. Soudain, venant de la place de la Sorbonne, les agents longue matraque à la main, se précipitent vers les manifestants.

Des blessés gisent, la tête en sang. Un homme couché gémit à côté d’un groupe d’agents qui discutent et s’occupent de lancer dans le caniveau les chaussures et objets divers que des manifestants ont perdus.

BOULEVARD SAINT-GERMAIN

Place Maubert, 1 500 à 2 000 manifestants se déploient en silence sur les trottoirs. Leur défilé s’ébranle sur le boulevard Saint-Germain, traverse la place de l’Odéon. Il se dispersera deux cents mètres avant l’Assemblée nationale. Là aussi la police charge

SCÈNES DE VIOLENCE GARE SAINT-LAZARE

Des scènes de violences se déroulent dans la cour de Rome, gare Saint-Lazare. Les policiers en très grand nombre scrutent les visages. Dès qu’ils en aperçoivent un plus basané que les autres, ils se précipitent. Papiers ou pas, l’homme est entraîné au loin sans ménagement.

Des Algériens accompagnant leur famille sont brutalement séparés des leurs. Et les enfants, aux visages angoissés, voient leur père soudain disparaître, traité comme un malfaiteur.

La presse dans son ensemble restera aux ordres. Les rares journaux qui hurleront seront tailladés par la censure.

PONT DE NEUILLY

Traversant La Garenne et Courbevoie, plus de 5 000 travailleurs algériens, des femmes, des enfants, passent par le Rond-Point de la Défense et le pont de Neuilly pour se diriger vers l’Étoile.

Les policiers gardent et veulent empêcher les Algériens de passer. Des coups de feu sont tirés.

D’autres travailleurs algériens manifestent sur les Champs-Élysées où la police arrêtait et matraquait dès 18 heures.

LES MUSETTES DE L’ÉTOILE

Vers les 21 heures, le nombre d’Algériens parqués sur la place de l’Étoile est supérieur au millier. Les uns ont les mains en l’air, les autres les mains sur la tête.

Les CRS gardent les trottoirs, les policiers sont en chasse, aux bouches des métros, mais à l’intérieur également. Les manifestants, plusieurs milliers, continuent longtemps à défiler, pourchassés, matraqués.

Vers 23 heures, lorsque les policiers enlèveront les blessés et les prisonniers, il restera sur les trottoirs de l’Étoile, un amas de gamelles, de morceaux de pain, de musettes, tout ce qu’un travailleur ramène chez lui après sa journée.

Au métro Concorde, les policiers sur les quais. Les voies sont gardées par des agents mitraillettes au poing. Tous les Algériens descendant de la rame sont immédiatement arrêtés et alignés contre le mur du couloir de la correspondance.

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