Recension de Michel Auvray parue dans Agora libertaire, n° 29, décembre 1985, p. 23
Il est des silences qui ressemblent à des complicités. Prompte à célébrer la mémoire de ses morts du métro Charonne, la gauche française a pratiquement « oublié » les victimes des ratonnades d’octobre 1961. Il y avait bien un document cinématographique réalisé à chaud (« Octobre à Paris »), quelques articles de presse et, depuis peu, un polar (Didier Daeninckx, « Meurtres pour mémoire »). Bien peu en 25 ans, et pour cause : le souvenir de ces centaines d’Algériens assassinés par les policiers parisiens mettait à nu la faiblesse des réactions des partis et syndicats compromis dans la guerre d’Algérie.
Le livre que Michel Levine a consacré à la relation de la manifestation du 17 octobre 1961 et à ses suites manque certes de relief. Très, trop actuel, il ne situe guère les responsabilités, et c’est bien dommage. Son ouvrage est pourtant à lire de toute urgence, en ces temps de racisme montant. Les témoignages et documents d’archives ici rassemblés pour la première fois sont terribles, accablants. La répression fut d’une violence inouïe, féroce : 12 000 Algériens arrêtés, parqués au Palais des Sports et au Parc des Expositions ; tabassages, sévices, tortures, assassinats… Des dizaines de cadavres de Maghrébins seront retirés de la Seine ou découverts dans les bois de la banlieue. Un sinistre crime collectif, couvert par les autorités, impuni… et qui ne souleva que de bien rares protestations de la part des progressistes de service.
L’évocation de ces oubliés de l’histoire, officielle ou « populaire », vient à son heure. Ne serait-ce que pour accuser la passivité et l’indifférence qui accompagnent, ici et maintenant, la montée des thèses et pratiques racistes.
M. A.
• Michel Levine, « Les ratonnades d’octobre, un meurtre collectif à Paris en 1961 », Ramsay, 92 F