Texte paru dans REFLEXes, n° 19, novembre 1988, p. 3
Le mutisme des intellectuels, resté inexpliqué, intervient à point à l’occasion d’un mouvement qui échappe de toute façon à leurs analyses comme à toute représentation.
Après s’être fait les portes-paroles et faire-valoirs de toutes les bureaucraties, ils confirment leur déroute et reçoivent de plein fouet une insurrection sur laquelle ils n’ont rien à dire.
Car celle-ci parle d’elle-même en attaquant avec une minutie exemplaire toutes les formes d’interventions de l’État et de l’économie dans la vie (sièges du FLN incendiés, supermarchés saccagés, usines en feu). La réaction de l’État français – à laquelle faisaient appel les ultimes résidus racornis du gauchisme – ne s’est pas fait attendre. « Nous sommes solidaires du peuple algérien et de ses autorités » Roland Dumas. Elle s’est manifestée concrètement sous formes d’aide logistique à la répression (livraison de fourgons anti-émeutes – voir « Le Dauphiné libéré » du 12 octobre), en conséquence logique d’une ligne déjà fixée lors de l’écrasement de la « révolte du pain » en 1984 (300 morts), ainsi que par la collaboration étroite entre la police française et la sécurité militaire algérienne représentée par « l’Amicale des Algériens », poste avancé de la surveillance et de la répression extra-territoriale. La marginalisation de toute forme de mouvement social se déroulant au sud de la Méditerranée réapparaît – après des décennies de défense de l’apartheid par la gauche française dans l’Algérie coloniale – par la mise en scène d’un leadership forcément intégriste. Une mise en scène laborieuse et ratée par l’absence opportune des olibrius islamisants comme dérisoire : Ben Bella et de sa clique fraîchement déstalinisée. Ces clowns médiatiques et religieux n’entretiennent plus le suspense, leur sagesse, leur dicte un silence mérité : prétendre à une quelconque représentation du mouvement revient à affronter ses acteurs. Seul l’État et ses complices s’engagent dans cette voie, l’armée les y accule.
Le pouvoir n’est pas à prendre et nul n’a la témérité de le ramasser.
En résumé : les dits intellectuels reprennent pour eux le mot de Maurice Papon au lendemain de Paris by night gaulliste, le 17 octobre 1961 (400 morts, 12 000 arrestations) : « la police a fait ce qu’elle devait faire. »
Tract distribué à la manif du 13/10