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Brixton ou quand la rue n’appartient plus à la police ni à la marchandise

Article paru dans Jeune Taupe, n° 37, juillet-août-septembre 1981, p. 5-7

11 April 1981, during the 1981 Brixton riot in London, police with riot shields line up outside the Atlantic Pub, on the corner of Atlantic Road and Coldharbour Lane, Brixton. The photographer wrote: « In April 1981, around lunchtime, I stepped out of a shop in Brixton and a car burst into flames some 20 yards up the street, marking the start of the worst episode of civil disobedience Britain had seen in over 100 years. These are some of the pictures from that day. » « Police with riot shields block the access to the main area of rioting. Up to this point they’d been using dustbin lids, sheets of ply, anything they could lay their hands on for protection. These riot shields had only just arrived. » (Source)

Durant les semaines précédant les émeutes, la police ne cessait d’investir les rues de Brixton. Le vendredi 3 avril le quartier est bouclé. Pendant toute la semaine « l’opération Swamp 81 » (I) s’était déroulée avec pour conséquence l’arrestation et la fouille systématique d’environ 1 000 personnes – surtout des jeunes noirs.

Le vendredi 10, après un incident à Railton Road, réglé par les gens du quartier, la police arrive et commence à foutre sa merde. Le samedi la police occupe le quartier. La réponse est soudaine, brutale et spontanée. La population du district attaque vers 17 h et déroute complètement les forces de l’ordre. Cette action de masse dirigée d’ abord contre l’ennemi immédiat (la police), s’oriente ensuite vers les magasins pour détruire les vitrines et s’approprier les biens nécessaires aux besoins et désirs. La police est absolument dépassée, l’enclave de Brixton lui est interdite. Débordée et stupéfaite, elle concentre ses efforts pour circonscrire le « mal », son problème le plus crucial étant la défense du commissariat… La flicaille dont le boulot est en général de protéger les choses plutôt que les gens, se voit forcée de changer de politique ; il faut d’abord sauver sa peau ! L’inquiétude se fait tellement grandissante qu’un conseiller militaire et les Special Patrol Group (II) sont appelée. Le lendemain dimanche les mêmes événements se répètent. Entre temps la police avait recruté 1 000 extras. Brixton est à nouveau bloqué et occupé.

Les « autorités » se sont empressées de parler « d’émeute raciale ». Mais ce mouvement n’a rien à voir avec l’affrontement d’une race contre une autre. Durant les émeutes indiens, (III), asiatiques, noirs, blancs, se sont révoltés ensemble contre la police. Les « autorités » ont alors parlé « d’agitateurs extérieurs », « d’anarchistes blancs », comme si les gardiens du pouvoir et les prolétaires de Brixton filaient une entente si cordiale que l’émeute ne pouvait avoir été fomentée que par des « provocateurs » extérieurs.

Cette vision n’est développée que pour faire diversion et cacher les vrais problèmes. A Brixton la plupart de la population vit dans la misère et/ou est au chômage. Le chômage et la misère sont des effets du capitalisme et non des choix de la population ! ! Le prolétariat subit le système, celui de la dictature des lois de l’économie sur ses besoins, son activité et sa vie ; le salariat est un mode d’exploitation. En période de crise, et la Grande-Bretagne est un des pays occidentaux le plus touché depuis bien des années, qui conduit à l’ endettement, l’inflation, etc… l’unique moyen de retarder une catastrophe financière est d’accomplir des transferts d’argent pris sur le capital variable, ce qui signifie accentuer toujours davantage la surexploitation du prolétariat. La crise crise et le chômage montrent toute l’absurdité de la société du salariat, à la fois exploitation exacerbée et gâchis incommensurable. Le chômage n’est qu’une catégorie du travail salarié : il n’est pas là négation du travail mais le travail au degré zéro. En tant que marchandises concurrentes sur le marché du travail, le prolétariat peut exprimer son refus du travail mais le facteur dominant, à Brixton et ailleurs, c’est précisément la crise économique qui implique le recours au chômage, la baisse du niveau de vie, etc…

Et voilà que l’encadrement économique est complété par l’encadrement social grâce à la police représentante du pouvoir, qui harcèle perpétuellement la population. En effet l’accroissement du chômage amène des fractions de la population à se procurer des revenus et à mettre en pratique des modes de vie extra-salariaux qui relèvent de la « délinquance » intolérable pour le bon ordre bourgeois. Ces modes de vie « forcés » sont le symptôme de la faillite de la société capitaliste et en même temps une menace.

Ces émeutes n’ont pas été mises en acte par quelques uns mais ont rassemblé le quartier hommes et femmes, jeunes et vieux, noirs et blancs, communautés raciales et culturelles en une même communauté d’intérêt contre la militarisation des rues de Brixton ainsi que contre la société qui engendre exploitation et soumission. Ces émeutes, produit du ras-le-bol provoqué par la dégradation des conditions de vie, et déclenchées par l’ilotage policier, ont bouleversé les rapports légaux, les rapports de pouvoir, et les rapports marchands. La classe s’est révoltée pour résister d’une part à la dégradation des conditions économiques, de façon très ponctuelle et éphémère mais de façon générale, par l’autoréduction, et d’autre part à la dégradation des conditions sociales par l’affrontement direct à la police.

Ainsi les prolétaires de Brixton, face à la légalité et à l’ordre répressif, s’imposent en tant que classe par la négation de cet ordre. Ce qui est frappant c’est ce radicalisme en acte par rapport aux campagnes politiques des idéologues bourgeois (syndicats, partis, autogestionnaires) qui ne font que dénoncer les excès ou les abus de pouvoir. C’est que le degré atteint par l’aliénation implique le niveau de violence déployé. A Brixton la classe ouvrière a trouvé des réponses immédiates à une situation insupportable.

Isolé, exploité dans son travail, le prolétaire se trouve aliéné dans ses rapports quotidiens, envahi par la marchandise, l’ argent, la publicité, la valeur d’échange, et oppressé par les chiens de garde du capital. C’est pourquoi cette révolte prolétarienne s’est exprimée dans un premier temps par la « réappropriation » de biens. Le système de l’échange que tous les idéologues veulent faire passer pour naturel ou pour le moins indépassable, ne tient que dans un rapport de force militaire et policier. Qu’on se rappelle du pillage d’ une bonne partie de la ville de New-York suite à une panne d’électricité qui neutralisait les systèmes d’alarme, de surveillance électronique, etc…

Les leçons de Brixton c’est que la crise du capital impose des privations, intimidations, répressions, contrôles, que la classe ouvrière combat dès l’instant où le rapport de force tourne en sa faveur. Ces explosions spontanées, exemptes de toute direction occulte, ne datent pas d’hier ; qu’on se rappelle Bristol l’an dernier, et cette année New-Cross-Fire où des affrontements longs et brutaux ont opposé la police et les communautés immigrées. Brixton n’est donc pas un cas particulier ; après ces événements, à Finsbury Park, à Lewisham, dans les quartiers pauvres de Londres, d’autres affrontements ont (eu) lieu, pas toujours de façon aussi spectaculaire mais de façon endémique, entre la population et la police. Signes du refus de l’ordre existant.

La violence n’est pas toujours une garantie de radicalisme, mais à Brixton et ailleurs, c’est par le biais de l’action directe et massive que les prolétaires remettent en cause le système qui les accule à la marginalisation et au ghetto. Déshumanisation capitaliste qu’ils combattent grâce à l’action jointe de communautés ordinairement divisées.

Actuellement le gouvernement de Londres part en campagne contre les skinheads (IIII), boucs émissaires tout trouvé et prétexte à augmenter les effectifs de police dans ces quartiers (on voit bien trop souvent les skinheads lutter avec les communautés immigrées contre la police !).

Si les travailleurs précaires, les chômeurs de Londres choisissent comme terrain de lutte la rue, utilisent la violence contre la police, pillent les magasins, ils n’exposent pas toujours clairement les objectifs de cette lutte. La volonté consciente de détruire l’ordre dominant, les perspectives communistes ne sont pas toujours exprimées mais contenues en germe ; derrière le mépris des notions de propriété, de sécurité, l’affrontement direct avec l’état et la police, pointe la négation du monde existant.

D’autre part nous pouvons tabler sur le fait qu’avec l’aggravation de la crise, donc la montée du chômage, la paupérisation généralisée, la recrudescence de la délinquance, ce type d’affrontements entre les forces répressives et le prolétariat, deviendront « monnaie courante ». En fait monnaie rendue à la violence que le capitalisme fait subir à l’humanité.

C’est aussi ce qui pend au nez des technocrates rocardiens dans la mesure où l’ampleur de la crise économique du capitalisme annule leur projet de pilule idéologique – la drôlement nommée « convivialité ». Un consensus social entre des classes aux intérêts opposés est peut-être possible quand il reste des miettes à distribuer aux plus exploités. Mais deux millions de chômeurs et autant de smicards ne verront pas leurs problèmes résolus par une animation de quartier, un ciné-club ou quelques rues piétonnes…

Gageons que Brixton n’est qu’un début…


(I) Ratissage policier – Swamp = bas-fond

(II) C.R.S.

(III) West Indianas

(IIII) « Têtes rasées » que la rumeur associe souvent aux troupes fascistes du National Front, en fait Lumpen prolétariat.

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