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Racisme

Dossier paru dans Le Monde Libertaire, n° 176, décembre 1971

Le bouc émissaire

Ils s’appellent Mohamed, Mario, Djamila, José ou Hocine. Leur nombre s’accroit sans cesse et, de jour en jour, leur situation s’aggrave. Attirés en France par les promesses mirobolantes de trafiquants sans scrupules, véritables marchands d’esclaves du siècle de l’atome, ou bien simple marchandise d’échange entre les gouvernements de leur pays d’origine et celui de ta « nouvelle société », ils fournissent au patronat une main-d’œuvre à bon marché, surexploitée et paralysée par la crainte de l’expulsion, menace brandie aussitôt que l’un d’eux ose élever une timide protestation contre ses conditions de vie ou de travail, ou bien tente de s’organiser.

Ils ont tout quitté, leur village, leur famille, leurs amis, leur misère, croyant ainsi pouvoir améliorer leur sort et celui des êtres qui leur sont chers. Hélas ! le beau rêve d’un bonheur paradisiaque s’estompe bien vite au terme du grand voyage vers l’inconnu. Je prendrai un exemple parmi des dizaines, des centaines de semblables – ou même de pires, parfois. Je rappellerai donc ce qui s’est passé à Oyonnax, dans l’Ain, voici deux mois.

Le centre d’hébergement des Algériens : là, des hommes vivent, souffrent et s’entraident. Le 8 octobre, tard dans la nuit, des cars de police font une irruption soudaine. Ces fidèles « serviteurs de l’ordre » (nouveau ?) viennent, disent-ils, « protéger ceux qui veulent nettoyer le ‘foyer’ des clandestins ».

Arme à la main, sans ménagement, il va sans dire, ils filtrent les locataires, afin de découvrir ceux qui sont en surnombre. Résultat : trente gars sont jetés à la rue.

Prévu pour moins de cent personnes, le centre louait pour 80 francs par mois, à 180 Algériens qui, par un jeu de rotation (les lits, aussi, faisaient les 3X8) étaient 270 à y vivre. Les gérants du foyer (la municipalité et la caisse d’A.F.) y ont casé 64 lits supplémentaires (soit 500 000 A.F. de plus chaque mois), les vieilles paillasses ont été remplacées par des lits superposés : 5 au lieu de 3 dans les chambres de 10 m2 et 9 au lieu de 6 dans les 15 m2 des cuisines transformées en dortoirs.

Dès le lendemain de l’intrusion flicarde, c’est la révolte : les 400 Algériens qui travaillent pour les patrons d’Oyonnax se mettent en grève.

Alors, naturellement, ceux-ci se lamentent :

« Nous n’y sommes pour rien, ce n’est pas notre faute si ça s’est détérioré au Centre … ».

Pourtant, ça faisait un sacré bout de temps qu’un comité de soutien aux immigrés multipliait les interventions, les démarches pour dénoncer cette situation scandaleuse, ainsi que les déplorables conditions de travail. Sur 22 000 travailleurs à Oyonnax, on compte 6 500 Immigrés. Il en faut bien pour fabriquer les petites saloperies en plastique des paquets de lessive (les cadeaux Bonux, vous connaissez ?)

Des semaines de 70 heures (sans compter les fleurs – en plastique – pour occuper les veillées !), des cadences infernales, l’insécurité permanente, des brimades quotidiennes, et toute cette peine pour ramener un salaire bien maigre.

Après le bagne industriel, il faut regagner cet univers concentrationnaire que les rédacteurs corrompus de la presse du fric, les fesses bien calées dans leur fauteuil, ont l’audace d’appeler « foyer », eux qui ont toujours ignoré ce qu’est la pauvreté, le froid, l’angoisse, la peur du lendemain.

Les patrons d’Oyonnax ont promis que les trente gars vidés du Centre seraient relogés par leurs soins (dans quelle immonde cave ?) , et qu’ils allaient se pencher sur le problème de l’hébergement des émigrés. Un des leurs, le PDG d’lnjecta-Plastique, lui, est sorti comme un diable de son usine, le flingue à la main, cherchant ceux qui voulaient « empêcher ses ouvriers de travailler ». Et, d’un seul coup, il a licencié cinq Algériens, considérés comme « meneurs ».

Pensez-vous que la population autochtone ait réagi, qu’elle ait pris conscience de l’exemplarité de la lutte des Immigrés du Centre ? Malheureusement pas, et ce n’est pas surprenant, car les moyens d’information, entièrement aux mains (et au service) de la classe possédante, attisent le racisme, parfois inconscient, mais toujours dégradant, de ces « braves et honnêtes gens », qui détournent pudiquement le regard quant ils croisent sur leur route un « étranger ».

« Ils nous envahissent, monsieur … , et puis ils ne sont pas comme nous… je ne suis pas tranquille pour ma fille, ils la dévisagent… ils sont sournois… on en les comprend pas … ils sont sales … »

Et c’est ainsi que l’on assiste à une recrudescence d’actes racistes ou xénophobes. Hitler n’est pas mort.

Et « Minute », écœurant torchon, sème la haine, imité en cela par des mouvements néo-fascistes comme Ordre nouveau ou Jeune Révolution.

Deux accusations, principalement, sont portées contre les immigrés : criminalité élevée et mauvais état sanitaire. Diverses enquêtes ont cependant prouvé que, pour la criminalité, dans la région parisienne, le nombre des Algériens présentés au Parquet en 1970 représente seulement 0,01 % de la population algérienne de cette région.

Quant à l’état sanitaire, c’est après un séjour d’une année dans la douce France qu’il commence à se détériorer en raison des détestables conditions d’habitat et des travaux pénibles et insalubres auxquels sont astreints ces hommes.

Défendre les travailleurs immigrés, exiger l’égalité absolue des droits entre eux et nous, des avantages sociaux identiques, combattre sans faiblesse toute manifestation de racisme, voilà qui relève, à n’en pas douter, de la responsabilité des organisations syndicales.

Il faut mettre en œuvre une réelle solidarité, constituer des groupes de soutien, encourager l’alphabétisation, mener des campagne d’explications, informer, démystifier. Cela s’inscrit dans le cadre de l’action quotidienne pour la sauvegarde des libertés acquises, pour la conquête de libertés nouvelles, contre toutes les discriminations.

Le capitalisme exploiteur a tout intérêt à faire de nos frères immigrés des boucs émissaires. A la division des classes, il essaye de substituer celle des races, celle des nations.

Ne cherchons surtout pas à exercer une direction (politique ou autre) – comme certains professionnels de la Révolution – sur les foyers de travailleurs émigrés, ne faisons pas preuve d’un naïf et irritant paternalisme, mais lançons un appel au cœur et à la raison de chacun. Aidons-les à résoudre leurs problèmes, à découvrir par eux-mêmes, la réalité de leur situation face à l’exploitation et à l’oppression.

Appelons à l’union de tous les travailleurs. La fraternité ouvrière sera le premier pas vers la fraternité universelle, fruit d’une société de justice et de liberté.

Je ne veux pas désespérer de l’Homme ; en dépit de tous les prophètes de malheur, la longue marche vers l’émancipation se poursuit.

Bernard LANZA


Le racisme en question

Le quartier de la Goutte d’Or est le lieu de résidence de nombreux nord-africains qui s’y retrouvent en famille pour vivre selon leurs coutumes, leurs habitudes, leurs traditions. Dans ce même quartier vivent « quelques petits blancs » plus ou moins isolés chez lesquels le racisme prend parfois des allures de meurtre. C’est le cas de ce 25 octobre dernier où un concierge européen a tué d’une balle dans la tête un garçon de 15 ans et demi- qu’il ne pouvait pas supporter parce qu’il était arabe, et un peu encombrant, comme le sont les enfants de cet âge-là, dont la famille est désunie et pauvre dans une société où la vie est dure et le clinquant de rigueur. Il s’agit là de racisme, mais aussi de misère, tant morale qu’économique. Un Européen très fortuné ne tuera jamais le fils d’un haut dignitaire arabe, même si ce dernier est un peu gênant ou convoite une de ces filles, il n’y a pas de racisme véritable chez les maîtres du Pouvoir, ou tout du moins, il est feutré, c’est alors le racisme de tout homme qui se croit plus important que son voisin, il rejoint l’orgueil.

Ici, nous sommes dans un quartier pauvre, musulman, qui tourne parfois au ghetto des travailleurs étrangers qui forment au sein de la ville une caste à part et veulent défendre leurs règles particulières. Il ne fait pas de doute, non plus, qu’un pareil rassemblement permette de posséder une masse de manœuvres aux multiples organisations politiques qui s’y implantent pour leur but particulier. Dès lors, une sombre tragédie comme celle du meurtre de ce jeune garçon, qui était sans doute loin d’être un ange, par un homme qui semble être, lui, un raté de la société plus ou moins cocufié par-dessus le marché, ce drame prend des proportions exemplaires.

Alors, le racisme est vivant, toujours vivant et virulent, il est partout dans les couches les plus pauvres de notre société, car il est toujours plus facile de hurler contre son voisin, qui est différent mais proche économiquement et moralement, que de hurler contre son patron, qui tient le pouvoir et est très loin là-haut, à la direction, le racisme touche l’Arabe, le Noir, le Portugais, l’Espagnol, le Turc, le Yougoslave, et tous ceux qui vivent en France dans des positions difficiles. Le drame n’éclate pas toujours, mais l’on entend souvent des grincements de dents au zinc des cafés. Il est plus facile et moins compromettant d’être raciste que d’être révolutionnaire, et puis, si ça ne résout rien cela défoule. Au fait, il n’y a qu’en

France que l’on est raciste, il est un certain nombre de pays africains où l’on trouve la situation inverse de celle de la Goutte d’Or, là, ce sont les Noirs ou les Arabes qui sont racistes. Tout cela pour dire que le racisme en question tient moins à des couleurs de peau qu’à une origine sociale et des conditions économiques bien particulières.

Lorsque à ces mauvaises conditions de vie et au désordre actuel, une meilleure et juste rétribution des hommes succédera, le racisme se diluera, disparaîtra de lui-même et les hommes ne s’enfermeront plus dans leur ghetto respectif.

Il n’y aura alors plus de meurtre idiot. Mais avant, il faut changer la société.

Paul CHAUVET