NOUS l’avons dit et c’est notre fierté : Le R.D.R. entend être le régulateur de la vie démocratique en France, le forum de toute la pensée libre et révolutionnaire. C’est dans cet esprit qu’il accueille fraternellement ce bel article de notre ami l’écrivain et auteur dramatique Albert Camus, par lequel l’auteur de La Peste entend clore un dialogue qu’il eut avec M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie, député de l’U.R.R., apparenté au P.C.
« La Gauche » s’honore de publier dans ce numéro un article écrit pour nous par Albert Camus. Nul n’ignore, en France et à l’étranger, le talent et la qualité d’esprit du romancier, de l’auteur dramatique et du moraliste de « L’Étranger », « La Peste », « Caligula », « Le Mythe de Sisyphe ».
Qu’Albert Camus adhère ou non au R.D.R., cela importe peu. Il est de ces hommes libres qui sont d’accord avec nous sur la nécessité d’ouvrir des voies nouvellesà la pensée de gauche, d’engager des débats entre tous ceux qui n’acceptent ni le pourrissement ni le conformisme. Nous avons l’ambition dans ce journal de donner la parole à tous ceux qui par leur œuvre, par leur position politique, philosophique ou morale ont marqué leur volonté, avec toutes leurs nuances et divergences de pensée, de travailler à le transformation profonde d’un monde mal fait, de lutter contre l’injustice et l’oppression sous toutes leurs formes.
Discours de David Roussetà la Rencontre internationale de la salle Pleyel, paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p. 1-2
TOUT récemment, l’opinion publique a été singulièrement impressionnée par l’affaire Lyssenko. Voilà un symptôme curieux de notre situation. Qu’il ait fallu cette affaire pour qu’une large zone de l’opinion s’émeuve, voilà qui montre combien la politique est dévalorisée, combien le sens de nos responsabilités s’est perdu, comment le sens de notre action s’est obscurci. Car, enfin, la politique telle que nous l’entendions dans le passé et telle que nous l’entendons quant à nous aujourd’hui encore est l’expression la plus achevée dans le domaine de la pensée et de l’action de tout ce pour quoi nous voulons, vivre, de tout ce qui fait la justification véritable de notre existence.
Discours d’André Bretonà la Rencontre internationale de la salle Pleyel et paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p.3
EN invitant à s’exprimer ici tel d’entre nous dont je suis, nos amis du R.D.R. montrent assez que la conception démocratique dont ils se réclament n’est pas un vain mot de leur part. Ils jugent tolérable, voire souhaitable, que la présente réunion manifeste entre ceux qui y participent d’appréciables divergences de points de vue. Ils font voir par-delà ces divergences à la sincérité et à la solidité de nos objectifs communs, éprouvés dans la personne de chacun d’entre nous. Ils font passer cet accord essentiel par-dessus tout ce qui pourrait tendre à nous séparer sur le plan de la méthode, cette méthode elle-même fonction de nos formations d’esprit et de nos déterminations individuelles très dissemblables.
LES hommes de ce siècle sont rassasiés de mensonge. L’Histoire, dans son ironie profonde, révèle le mensonge comme la moralité supérieure de la société. Il accompagne les hommes depuis les origines avec obstination. Il exprime l’intensité des contraintes, la violence des contradictions. Il est tout à la fois le compromis sur le dos de l’esclave, mais aussi en un certain sens la duperie du maître. Il résout et il accommode. Il peut être l’arme la plus cynique et la plus brutale dans la violence déchaînée. Il est l’aveu permanent de l’exploitation de l’homme, de sa meurtrissure sociale. Son triomphe aujourd’hui dépasse de loin toutes les apothéoses du passé. Il nous enseigne ainsi notre place dans l’Histoire.
Discours d’Albert Camus à la Rencontre internationale de la salle Pleyel et paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p. 3
NOUS sommes dans un temps où les hommes, poussés par de médiocres et féroces idéologies, s’habituent à avoir honte de tout. Honte d’eux-mêmes, honte d’être heureux, d’aimer ou de créer. Un temps où Racine rougirait de Bérénice et où Rembrandt, pour se faire pardonner d’avoir peint « La Ronde de nuit », courrait s’inscrire à la permanence du coin. Les écrivains et les artistes d’aujourd’hui ont ainsi la conscience souffreteuse et il est de mode parmi nous de faire excuser notre métier. A la vérité, on met quelque zèle à nous y aider. De tous les coins de notre société politique un grand cri s’élève à notre adresse et qui nous enjoint de nous justifier. Il faut nous justifier d’être inutiles en même temps que de servir, par notre inutilité même, de vilaines causes. Et quand nous répondons qu’il est bien difficile de se laver d’accusations aussi contradictoires, on nous dit qu’il n’est pas possible de se justifier aux yeux de tous, mais que nous pouvons obtenir le généreux pardon de quelques-uns, en prenant leur parti, qui est le seul vrai d’ailleurs si on les en croit. Si ce genre d’argument fait long feu, on dit encore à l’artiste : « Voyez la misère du monde. Que faites-vous pour elle ? » A ce chantage cynique, l’artiste pourrait répondre : « La misère du monde ? Je n’y ajoute pas. Qui parmi vous peut en dire autant ? » Mais il n’en reste pas moins vrai qu’aucun d’entre nous, s’il a de l’exigence, ne peut rester indifférent à l’appel qui monte d’une humanité désespérée. Il faut donc se sentir aimable, à toute force. Nous voilà traînés au confessionnal laïque, le pire de tous.
Article d’Yves Dechézellesparu dans La Gauche, n° 12, 11 février 1949, p. 1-3
Ce n’est pas assez du fracas des armes et des invectives homériques que les diplomates se lancent à la figure en pleine tribune de l’O. N. U., pour exprimer les conflits entre les grands. La justice s’est aussi mise de la partie.
Article paru dans le quotidien Le Monde, le 5 septembre 1957
Comme les couches de charbon qu’ils arrachent au sous-sol, on rencontre les musulmans de part et d’autre de la frontière.
C’est dans ce paysage au crayon noir, sous ce ciel que strient de toutes parts, dans un hallucinant graphisme, les câbles des treuils, les lignes à haute tension et les filins d’acier, qu’est venu se déverser le trop-plein de la misère méridionale.