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La rivalité s’accentue entre les dirigeants du F.L.N. et du M.N.A.

Article de Philippe Herreman paru dans Le Monde, 8 septembre 1956.

 

 

Depuis un an les dirigeants du Front de libération nationale (F.L.N.) et ceux du Mouvement national algérien (M.N.A.), ancienne fraction du M.T.L.D. (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) restée fidèle à Messali Hadj n’ont cessé de rivaliser auprès des masses algériennes et de s’accuser mutuellement de trahison. Le F.L.N. souhaitait élargir son audience, le M.N.A. entendait conserver la sienne. Un tract diffusé par le Mouvement national algérien montre que cette concurrence n’a rien perdu de sa violence. Il y est dit :

 » Tandis que Messali Hadj levait à la tête du peuple les couleurs algériennes, il était d’autres gens qui criaient dans l’euphorie de l’assimilation:  » Il n’y a pas de nation algérienne, (1)  » Et ce sont ces hommes qui prétendent être les interlocuteurs valables ! Au nom d’un rassemblement artificiel où se disputent les intérêts personnels et les ambitions, ils dénient au M.N.A. et à son chef Messali d’avoir une influence en Algérie. Ils offrent et veulent jouer le rôle de Bao Dai et de sa clique !  »

A ces accusations, le F.L.N. se contente de répondre :

 » Le M.N.A. n’existe plus en Algérie et tend à disparaître en France. La tentative du gouvernement français de diviser le peuple algérien en opposant au F.L.N. le contre-révolutionnaire Messali a totalement échoué.  »

Quelle est au juste actuellement, dans la mesure où on peut l’évaluer, l’influence de ces deux mouvements ?

Avant la scission de 1954, le M.T.L.D. avait déjà plus d’audience en France qu’en Algérie, et dans les villes que dans les campagnes. Aujourd’hui Messali conserve une indéniable influence à Paris – la manifestation du 9 mars dernier l’a montré – et dans les grands centres industriels de la métropole. Les vieux militants du parti, qui revendiquent depuis plus de trente ans l’indépendance et ont fait l’objet de poursuites ou de condamnations, n’admettent pas que des  » jeunes « , brusquement apparus sur le devant de la scène, récoltent aujourd’hui ce qu’eux-mêmes ont semé, ou se présentent comme les  » libérateurs  » de l’Algérie, alors que, disent leurs aînés, la rébellion n’aurait pas été possible sans la longue maturation, qui fut l’œuvre de l’Etoile nord-africaine, puis du P.P.A.. puis du M.T.L.D. A ces mêmes jeunes il est fait grief d’abuser de leur situation pour évincer Messali Hadj en résidence surveillée et les leaders du M.N.A. dont beaucoup sont en prison.

Inversement les hommes du Front national reprochent à Messali de ne pas s’être associé au déclenchement de la rébellion et de s’être livré depuis lors à un travail fractionnel pour préserver son pouvoir personnel.

Chacun des partis en présence affirme qu’il multiplie les efforts pour réaliser l’unité, mais qu’il se heurte à l’intransigeance de l’autre De sorte que chacun reste sur ses positions : les dirigeants du F.L.N. réfugiés au Caire exigent la dissolution du M.N.A. en tant que formation, le ralliement individuel de ses membres, la  » mise à la retraite  » du vieux leader et la dénonciation du  » culte  » dont il s’entoure. Messali propose l’alliance, mais refuse la fusion. Tout au plus consent-il à accepter, aujourd’hui, la pluralité des partis.

Toutefois, une intéressante tendance à la conciliation se fait jour actuellement au sein du Front national : certains hommes, qui ont tiré la leçon de l’expérience Ben Youssef en Tunisie, estiment qu’il ne faudrait pas refuser de voir les messalistes associés à une éventuelle consultation sur l’avenir politique de l’Algérie, sous peine de favoriser une dissidence qui, dans le cas d’un  » cessez le feu « , pourrait avoir de graves prolongements. De plus, font-ils remarquer, la maturité politique des messalistes, indéniablement supérieure à celle de la majorité des membres du Front, doit être utilisée pour la cause commune plutôt que dans des querelles intestines.

En Algérie même, l’évolution a été différente. Les combats entre maquis frontistes et maquis messalistes, les règlements de comptes dans les villes entre partisans rivaux, ont provisoirement au moins cessé. Les bandes qui se réclament de Messali, en Kabylie et dans l’Oranais, et celles, les plus nombreuses certes, affiliées au F.L.N., paraissent intégrées de la même façon dans l’ « Armée de libération nationale ». Il semble que dans l’action les divergences politiques, les querelles de préséance, se soient estompées à la base. Les messalistes d’Algérie seraient plus disposés à un rapprochement avec les délégués du Caire que ceux de la métropole, et il faut prévoir que si le nationalisme algérien réalise un jour son unité, ce sera essentiellement sous la pression des maquis.

(1) N.D.L.R. – Allusion évidente au fameux article de Ferhat Abbas en 1936.

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