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Boumédiène est mort, mais la bourgeoisie reste

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, mensuel de l’Organisation communiste révolutionnaire internationaliste d’Algérie, n° 26, décembre 1978, p. 3-4.

 

 

Depuis son retour d’URSS, Boumédiène est dans un coma profond ; deux caillots de sang lui obstruent le cerveau, et il est atteint d’une maladie rare, la maladie de Waldenström, dans sa forme aiguë. Autant dire que, malgré sa survie artificielle, Boumédiène est mort, et physiquement et politiquement.

C’est donc là la mort d’un dictateur, et nous allons voir ce que sa disparition peut signifier pour les travailleurs.

– Un « Bonaparte ».

Il est d’abord important de voir quel a été le rôle de Boumédiène au sein de l’État algérien. Il a été le dirigeant bourgeois qui a réussi à remettre de l’ « ordre » en 1965, à la suite de son coup d’État du 19 juin, au sein d’une bourgeoisie en complète désorganisation, insuffisamment consciente de ses tâches et indisciplinée.

Il a été l’artisan de la construction d’un État fort susceptible d’unifier la bourgeoisie et d’en finir avec la précédente période caractérisée par les intrigues, les bagarres de fractions et de blocs, les dissidences de colonels dans les Aurès ou à Tizi Ouzou, etc…

Le calme rétabli, toutes les conditions étaient réunies pour tenter une accumulation forcenée de capitaux, sur le dos des travailleurs. Les bourgeois ont été mis en confiance (cette période ne durera cependant que quelques années), et 1968 a été l’année où le plus de sociétés privées ont été crées, entre autres dans le textile.

L’accentuation des nationalisations dès 1966 du pétrole et des ressources minières a permis une industrialisation beaucoup plus importante que dans nombre de pays sous-développés : ce qui a permis à Boumédiène d’acquérir une certaine popularité et donné à l’État algérien une apparence de progressisme pour la population.

L’Algérie a pu aussi à un certain moment jouer un rôle de premier plan en Afrique et au Moyen-Orient.

En définitive, toute cette réorientation par rapport à 1962 s’explique par les pouvoirs qu’avait le Conseil de la Révolution (armée, gendarmerie, etc.), et surtout ceux que concentrait Boumédiène entre ses mains : il cumulait en effet les fonctions de président du Conseil, de chef du parti, premier ministre, ministre de la Défense, et de chef d’État-major de l’armée (auxquelles celle de président de la République s’est rajoutée en 1977).

Tout cela lui a permis de jouer entre les différentes fractions de la bourgeoisie et leurs contradictions : l’épisode des affrontements sanglants entre les Frères Musulmans et les « volontaires » du PAGS en 1974, parce que les premiers n’acceptaient pas que seuls soient élus ceux qui étaient inscrits aux Comités de Volontariat de la Révolution Agraire (CVRA), en donne un exemple.

Les Frères Musulmans avaient ensuite manifesté à Alger, et les CNS (équivalent des CRS en France) avaient chargé en en blessant certains. Cela alors que par ailleurs, Boumédiène avait accepté que l’Islam devienne la religion d’État, que l’on construise des centaines de mosquées, et l’Institut des Etudes islamiques du Caroubier qui est le plus grand d’Afrique et dont le coût s’évalue en milliards de DA : toutes mesures qui satisfont les Frères Musulmans.

Aux libéraux, il a accordé une constitution, avec une Assemblée nationale et des élections présidentielles, tout en prenant la précaution de maintenir ses pouvoirs et de les renforcer.

Aux staliniens du PAGS, et à la fraction « sovietiste » de la bureaucratie, il a accordé l’hégémonie au sein de l’UNJA et quelques strapontins au sein de la direction de l’UGTA, afin de l’utiliser pour mobiliser les paysans et les étudiants dans le sens des objectifs du régime, et lui faire partager le discrédit du pouvoir.

Mais si Boumédiène s’est imposé à sa propre classe (la bourgeoisie), il était populaire dans d’autres classes sociales (petite-bourgeoisie, classe ouvrière). C’est entre autres sa popularité qui a permis au régime dont il était le chef, d’imposer l’austérité aux masses laborieuses. Il est bien connu que lors de certaines grèves (dockers, ESTA, …), c’est lui en personne qui est allé expliquer aux travailleurs qu’il ne fallait pas faire grève, etc..

– Et maintenant ?

Pour répondre à cette question , il faut d’abord rappeler que Boumédiène a été un facteur de stabilisation au sein de l’appareil d’État bourgeois. Sa disparition aura forcément pour conséquence un ravivement des luttes fractionnelles au sein de l’appareil d’État ; la bourgeoisie aura du mal à trouver un successeur qui fera « l’unanimité » autant que lui. Il y a donc tout lieu de croire malgré les déclarations officielles, que la course au pouvoir bat son plein.

Ce qui reste sûr néanmoins, c’est que ceux qui succéderont à Boumédiène seront des hommes qui appartiennent déjà à l’appareil politique de la bourgeoisie, des hommes en place, comme Bouteflika, Abdelghani, Draia et &.

Une incertitude persiste cependant quant à la politique que suivra la clique qui arrivera à s’assurer le pouvoir s va-t-il y avoir privatisation de l’économie, et une ouverture plus grande aux capitaux étrangers ? Va-t-on au contraire assister à un « changement dans la continuité », c’est-à-dire à la poursuite de la politique actuelle du régime le secteur d’État continuant , à avoir la prééminence politique et économique ? Répondre à ces questions nécessiterait une analyse que nous ferons dans le prochain numéro de notre journal. Mais d’ores et déjà, nous pouvons assurer que quelle que soit la clique qui parviendra au pouvoir, quelle que soit l’option qu’elle choisira, sa politique vis-à-vis des travailleurs restera la même. Les travailleurs et l’ensemble des masses opprimées n’ont rien à attendre d’un changement du personnel politique bourgeois, car quels qu’ils soient, les bourgeois au pouvoir continueront à faire une politique qui corresponde à leurs intérêts, c’est-à-dire à pressurer les travailleurs, à imposer la dictature et l’austérité. Pour les masses opprimées, la seule voie est la lutte jusqu’au bout contre la bourgeoisie (toutes cliques réunies) et contre le système capitaliste. Et c’est pour cela que pour les travailleurs, la construction d’une organisation est plus que jamais nécessaire !

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