Textes parus dans Tout !, n° 10, 12 mars 1971, p. 2
« Devant la douleur, la fierté se cabre. On se défend alors avec exaspération contre tout pessimisme afin qu’il ne semble pas une conséquence de notre état et ne nous humilie comme des vaincus. » C’est sur cet appel à la survie de Nietzsche que je pousse mon cri, le cri d’un étranger, d’un travailleur immigré qui refuse d’être socialement et politiquement rejeté et qui ira chercher sa vérité dans la gauche.
Pour moi, la révolution à besoin d’être apprise, l’apprentissage vient de commencer et mon école s’appelle désormais « la Gauche révolutionnaire ». Je ne veux pas âtre seul dans ce combat qui doit être celui de toute une jeunesse en exil et en souffrance.
Pourquoi cette révolution ?
Issu d’un pays au régime du parti unique: le Bourguibisme, puisqu’il faut l’appeler par son nom : en Tunisie c’est la vérité qui est toujours sur l’échafaud ce qui m’a conduit à un sentiment déprimant d’inadaptation. Il fallait reconquérir les pouvoirs perdus de l’esprit : j’ai fait ma valise pour Paris : oh ma déception, aujourd’hui j’ai presque perdu ceux du cœur et de tout le reste, ça fait six mols que je souffre car j’ai acquis une vision terrifiante des choses : la condition du travailleur étranger en France pousse au désespoir.
Maintenant je m’adresse à vous Tunisiens qui surpris par l’exploitation du Patronat de part, le terrorisme des chefs et la froideur de certains qui vous entourent d’autre ne savez plus à quels saints vous vouez puisque l’hypothèse du retour immédiat au pays natal a été exclu avant même le départ pour celui-ci, je reconnais votre solitude, votre angoisse et votre douleur, je n’ai pas besoin de vous rappeler que ce n’est pas pour l’amour de vos cheveux frisés que les responsables français vous achètent à Bourguiba aux plus bas des prix. Je ne pense pas que vous avez déjà oublié les longs mois d’apprentissage, les stages de perfectionnement, les visites et contre-visites médicaux, les tests psychotechniques et surtout les attentes mortelles dans les couloirs de l’office d’émigration : l’Etat français contrôlait, délicatement sa marchandise (70 % de la main-d’œuvre tunisienne est hautement qualifié, personne ici n’y tient compte : le salaire est fixe sur le contrat) : j’irais pas plus loin, au gouvernement français je dirais Bravo : les affaires sont les affaires.
Notre problème est un problème humain pour ceux qui veulent y tenir compte, nous ne demandons qu’une bonne justice : devant la politique de coercition de terreur de Bourguiba et l’indifférence de cette affaire de famille qu’est son gouvernement vis-à-vis de notre sort nous avons besoin d’une revanche, l’on a pas besoin d’une formation universitaire poussée pour réaliser une vie d’homme et réussir cette révolution de survie. Ce n’est pas nous qui étoufferons la pression sociale en France.
J’ai saisi, et non sans surprise le sens du rôle qui nous a été confié traîtreusement : « On a beau se payer des immigrés comme en France ou en Allemagne ça risque de sentir la poudre », (Tout numéro 8). Moi je la sens déjà cette poudre, je ne veux plus continuer à être privé de vie, une sécheresse de cœur et un détachement total ont fait de moi pendant 4 ans de chômage en Tunisie un révolutionnaire complet, mon corps se nourrissait avec plus de haine que de biftecks et c’est cette haine qui est à l’origine de ma révolution : La mienne comme la vôtre a un sens, il ne reste plus qu’à agir c’est justement obéir à ses sentiments de révolté, d’opprimé, ça n’a rien à voir avec le parti communiste et dans aucun des cas vous ne serez endoctrinés. Cessez de penser à vos progrès matériels : La vie est très chère et le ticket de métro va bientôt augmenter. Ressentez comme moi la joie la plus animale en pensant qu’avec l’appui de la gauche, qu’avec cette messe ouvrière et estudiantine nous pourrions libérer notre patrie du néo colonialisme et découvrir à tout Jamais les parties cachées et pour que le travailleur immigré ne souffre plus de cette discrimination salariale, raciale et sociale.
Je ne considère dès maintenant que le but visé et c’est la recherche de cette fin qui constituera le centre de ma qualité d’être humain. Moi comme tous les autres immigrés nous avons un long chemin à parcourir pour sortir du noir et livrer une bataille ensanglantée à ceux qui ont marchandé notre peau au nom de la coopération si ce n’est pas au nom du Pèze, du Fric et du Saint Bénéfice.
Un camarade Tunisien m’avait écrit un jour : « Tragédie sans fin est la nôtre, combat sans arme, mais d’esprit, celui de sauvegarder la raison, rien n’empêche l’homme dans sa révolution et rien n’arrête la vertu dans ses fonctions sociales ». Si vous êtes capables de rester indifférents à ces plaintes continues alors à manger de la ratatouille afin que vous puissiez acheter la voiture de vos rêves et passer les plus belles vacances sur nos plages peuplées par les pédérastes allemands.
Je prie à tous d’excuser l’égoïsme et la brutalité qui ont dicté ma rédaction mais il faut revêtir mon corps et user de mes cinq sens pour pouvoir ressentir me souffrance.
« Notre salut et notre perte sont au dedans de nous-mêmes. »
EPICTETE
UNE LETTRE DES JEUNES DU BIDONVILLE DE NANTERRE
Nous sommes des immigrés arabes. Cher camarade, nous avons su que tu as été violemment matraqué.
Camarade, tes ennemis sont les nôtres aussi.
Camarade, rappelle-toi ce que disait Mao sur les différents sacrifices.
Camarade, ta lutte est juste et tu luttes pour que le monde change.
Au nom de tous les gens qui souffrent dans les taudis nous exprimons le dégoût et la haine pour les flics qui t’ont matraqué.
Camarade, nous sommes de plus en plus conscients et de plus en plus nombreux et nous briserons tous ceux qui se dressent entre nous et les flics.
Pour nous, un flic est toujours un flic.
Camarade, les gens des bidons qu’on a vus te souhaitent une bonne guérison et te disent : Camarade, ce n’est qu’un début, le combat continue.
Le groupe « l’ami Richard » te souhaite une bonne guérison et te dit : tu es notre monde et nous voulons que tu te dresses debout avec nous.
Tes assassins seront jugés, nous te vengerons.
Les gars du bidon.