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Algérie : solidarité et pétrole

Interview de Saïd, membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs, réalisée par Cecilia Garmendia et parue dans Inprecor, n° 316, du 12 au 25 octobre 1990, p. 24


La crise du Golfe secoue toute la région arabe. La société algérienne est aussi percutée en profondeur. Nous avons interviewé Saïd, membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (PST) (1).

INPRECOR : Quelle est la position du gouvernement algérien face au conflit du Golfe ?

SAID : Le gouvernement algérien a une position extrêmement discrète ; il agit avec beaucoup de réserve et, en fait, se drape dans le « droit international ». Il demande à la fois le retrait des troupes irakiennes du Koweït et celui des forces militaires des Etats-Unis. Officiellement, Alger n’a pris aucune distance par rapport aux sanctions prises par les Nations-Unies à l’encontre de l’Irak. Dans des instances comme la Ligue arabe ou l’Union du Maghreb, l’Algérie ne s’est pas faite remarquer ; elle s’est même abstenue lors du vote à la Ligue. L’Algérie, le Maroc et la Jordanie ont soumis un projet de règlement du conflit aux autres pays arabes, sans grand succès. Ce texte coupait la poire en deux, il exigeait le retrait irakien du Koweït et proposait que l’Irak garde le contrôle d’un champ pétrolifère.

Le Front de libération nationale (FLN), en tant que parti aux traditions nationalistes, a-t-il une attitude plus nuancée que celle du gouvernement ?

Le FLN a effectivement une position nettement plus tranchée en faveur de l’Irak. Le sentiment nationaliste arabe qui l’a caractérisé a été ragaillardi par l’attitude de Saddam Hussein ; il a trouvé dans cette affaire un porte-parole pour la nation arabe. Le pouvoir FLN met des préalables au retrait des troupes impérialistes, mais sa base militante est tout simplement favorable à Saddam.

Le Front islamique du salut (FIS), lui semble louvoyer entre la nécessité de suivre le sentiment de sa base et ses bailleurs de fonds d’Arabie saoudite…

D’emblée, la position du FIS a été mitigée et sa direction s’est placée dans une impasse. Sa base soutenait très clairement Saddam Hussein. Lors d’un meeting que le FIS a organisé sur le thème du devenir de la nation arabe, on a vu des banderoles clairement favorables à Saddam Hussein et d’autres plus critiques.

Le FIS a besoin du soutien de régimes comme ceux du Koweït ou de l’Arabie saoudite. Par ailleurs, il espère jouer un rôle politique et s’est embarqué dans des histoires de bons offices, se présentant comme un interlocuteur valable.

Et l’ancien président Ahmed Ben Bella (2) ?

Il tient un double discours. En Algérie, il a développé une position de soutien à l’Irak très tranchée, très nationaliste, appelant même la population à aller se battre aux côtés des Irakiens. Ben Bella vise la même base populaire que le FIS et il se trace un chemin à coups de démagogie.

Comment réagit la population algérienne dans ce contexte ?

Le sentiment anti-impérialiste prédomine ; dans toute l’Algérie les gens soutiennent Saddam. Mais cet état d’esprit a aussi évolué. Jusqu’au début du mois de septembre, dans les stades, lors des matchs de football, Saddam était glorifié ; il apparaissait comme celui qui avait fait plier l’impérialisme. Dans les zones berbérophones qu’on ne peut sûrement pas soupçonner de pan-arabisme – le chef d’Etat irakien était aussi devenu un grand homme ; Saddam semblait lever la tête au moment où tout le monde plie l’échine.

Beaucoup d’Algériens regardent la télévision française ; le discours de l’ ‘ »Occident » sur l’Irak n’a fait qu’augmenter le sentiment national arabe. Il faut, en outre, placer ces événements dans le contexte algérien ; chez nous, le nationalisme s’est terminé avec Boumédiene.

La crise du Golfe est un sujet fréquent de conversation dans les rues. Elle a évidemment touché la base des intégristes qui a trouvé, enfin, un héros capable de remplacer les hésitations de sa direction.

Mais aujourd’hui le sentiment et l’intérêt de la masse des gens ont baissé ; nous avons connu une rentrée catastrophique, le coût de la vie a énormément augmenté et la guerre du Golfe est passée, en tout cas pour l’instant, au deuxième plan des préoccupations des Algériens.

Y-a-t-il eu des initiatives au sujet du Golfe ?

Le FLN a organisé une manifestation qui n’a pas rassemblé grand monde ; le Parti des travailleurs (ancienne organisation lambertiste) a réussi à rassembler 200 personnes devant l’ambassade des Etats-Unis ; et, enfin, le PST a organisé une réunion, à laquelle ont pris part environ 300 personnes, des représentants de l’Organisation des communistes révolutionnaires de Tunisie, des Palestiniens, des Libanais, etc.

Il existe un Comité de soutien au peuple irakien – auquel participe le PST fondé à partir du travail de solidarité avec la Palestine qui se fait depuis des années, où l’on trouve la gauche nationaliste qui est surtout motivée par le panarabisme. Mais le discours de ce comité est très pro-irakien ; il est difficile, dans ce cadre, de rappeler ce qu’est la dictature de Saddam Hussein.

Quelles sont les répercussions que peut avoir la crise du Golfe sur la situation intérieure algérienne ?

Il est encore prématuré de parler de cela, mais la hausse du prix du pétrole se fait déjà sentir. C’est une manne pour les gestionnaires et les « initiés » qui travaillent autour de la production algérienne de l’or noir. Des lignes de crédit s’ouvrent de nouveau pour l’Algérie ; une masse d’argent déferle.

Voilà ce qui permet de comprendre la position de réserve du gouvernement algérien, que la situation actuelle de guerre dans le Golfe arrange bien.

Propos recueillis par Cecilia Garmendia
8 octobre 1990


1) Voir Inprecor n° 305 et n° 312 des 23 mars et 15 juin 1990.

2) Premier président algérien après l’Indépendance. Déposé par Boumédiene, en 1965, puis emprisonné et exilé, il est rentré en Algérie dans les premiers jours d’octobre 1990.

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