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Les travailleurs doivent écraser le FIS et renverser le FLN. Pour un gouvernement ouvrier et paysan en Algérie !

Article paru dans Le Bolchévik, n° 112, juillet-août 1991, p. 12 et 11


Depuis le 5 juin à 0 heure, l’armée algérienne (ANP) exerce ouvertement la réalité du pouvoir en Algérie. Le gouvernement Hamrouche, nommé après la répression sanglante des « enfants d’octobre » 1988, est remplacé par un cabinet Ghozali qui cache son extrême faiblesse derrière l’état de siège. Un couvre-feu a été imposé sur une grande partie des villes. Les élections législatives, qui devaient « approfondir » la « démocratie », ont été reportées à une date indéterminée à la fin de l’année.

Le président Chadli Bendjedid, lui-même ex-colonel de l’ANP, a décrété l’état de siège pour mettre un terme à la grève politique insurrectionnelle lancée par le FIS, le parti islamiste algérien, et « garantir le processus constitutionnel », en fait comme dernier recours d’un régime honni et à bout de souffle.

Malgré les fusillades nocturnes, les morts tombés sous les balles de l’armée et les chars occupant le pavé d’Alger, une partie de l’opinion « libérale » bourgeoise et petite-bourgeoise a accueilli avec soulagement la répression contre les islamistes qui veulent imposer la charia (loi islamique). Pourtant, c’est cette même armée qui a massacré par centaines les jeunes des quartiers populaires poussés par la misère et la « perspective » d’une vie sans avenir. Pourtant, c’est ce même régime failli qui aujourd’hui négocie avec le FIS par l’intermédiaire d’une frange soi-disant modérée. De fait, l’armée, ou un secteur de celle-ci, pourrait bien appliquer tout ou partie du programme réactionnaire du FIS. Les forces de répression pourraient ne pas se limiter à emprisonner les dirigeants et agitateurs du FIS et se retourner contre, en particulier, le mouvement ouvrier. A bas l’état de siège !

Depuis octobre 1988, et surtout depuis la victoire électorale des islamistes aux élections municipales du 12 juin 1990, le pays est au bord de la guerre civile. Au-delà des péripéties du « multipartisme », de l’« établissement de la démocratie », la question de qui va gouverner est posée : soit les islamistes, soit l’armée (ou une combinaison des deux), soit le pouvoir ouvrier. La classe ouvrière algérienne doit rentrer dans la lutte sous son propre drapeau et, en entraînant les femmes, les paysans sans terre, les ouvriers agricoles, les masses de jeunes chômeurs, doit renverser le régime ANP/FLN et balayer le FIS réactionnaire.

L’échec de la grève du FIS

En pleine campagne électorale pour les législatives prévues le 27 juin, où pas moins de quarante partis étaient en compétition, Abassi Madani, n° 1 du FIS, appelait à une « grève illimitée » à partir du samedi 25 mai pour, disait-il, forcer le régime à abroger la loi électorale et à appeler à des élections présidentielles anticipées. En fait, tout indique que le FIS, dont l’influence est loin d’être aussi forte que ce que montrent ses résultats électoraux de juin 1990, cherchait à provoquer un bain de sang par les forces de répression du FLN afin de prendre la tête de la jeunesse désespérée dans une épreuve de force avec le régime. Tout en dénonçant habilement un découpage électoral favorisant, tout au moins sur le papier, le FLN vis-à-vis du FIS, les agitateurs islamistes lançaient les mots d’ordre : « A bas la démocratie ! Un Etat islamique sans vote ! »

Dès les premiers jours de la « grève illimitée », il est clair que celle-ci est un échec, même si, comme à Alger par exemple, les ordures ne sont plus ramassées et les transports en commun perturbés. En fait, le FIS ne peut imposer partiellement la grève qu’aux employés municipaux, là où il contrôle les APC (mairies), et ce par l’intimidation et la force. La grande masse des travailleurs a tout simplement ignoré les appels des gangsters en khamis à substituer la dictature sanglante au bout du rouleau du FLN à celle, agressive et militante, d’une théocratie islamique.

Ce n’est que quand la répression s’est faite plus dure et surtout avec les premiers morts que les manifestations se sont gonflées des jeunes des quartiers populaires d’Alger et que les affrontements avec les forces de répression sont devenus quotidiens, puis se sont étendus à d’autres villes telles que Constantine, Annaba ou Mostaganem. Ces jeunes, visiblement pas des militants du FIS, qui ont érigé des barricades de fortune et résisté aux soldats, l’ont fait plus par haine d’un régime qui ne leur offre que chômage qu’en soutien à l’établissement d’un Etat islamique.

Pourtant, parce que l’opposition démocratique bourgeoise s’est réfugiée derrière les baïonnettes du FLN/ANP et surtout parce que le mouvement ouvrier organisé n’est pas intervenu indépendamment dans la bataille, le FIS apparaît comme la seule vraie opposition au régime. Ces manifestations ont fait tomber le gouvernement Hamrouche ; les élections législatives ont été repoussées et les présidentielles avancées. Et même s’il est affaibli par la répression, l’arrestation des dirigeants, les dissensions internes plus ou moins manipulées par le FLN, même si l’échec de sa « grève générale illimitée » a montré sa perte d’influence, le FIS et les autres partis islamistes restent un danger mortel pour la classe ouvrière, les femmes, les Kabyles et en général tous ceux qui refusent, trente ans après la victoire sur la barbarie du colonialisme, de tomber dans la barbarie moyenâgeuse de la charia.

La clé de la situation est dans le prolétariat

La puissance du parti islamiste plonge ses racines dans la crise économique profonde qui ravage le pays et dans la faillite du nationalisme petit-bourgeois du FLN. L’agriculture est ruinée et ne peut absolument pas nourrir la population. Si en 1967 l’agriculture couvrait approximativement la demande, aujourd’hui l’Algérie importe quelque 80 % de ses produits alimentaires. Dans le même temps, les impérialistes étranglent l’économie par la dette. Ainsi le seul service de la dette absorbe les trois quarts des recettes à l’exportation (dont 98 % proviennent des hydrocarbures). L’industrialisation a créé une puissante classe ouvrière, mais aujourd’hui son avenir est menacé par les mesures de « libéralisation » de l’économie qui se traduisent par des licenciements et une augmentation sauvage du coût de la vie. Si une fine couche de bourgeois et de potentats du FLN ont réussi à accumuler des fortunes, l’immense masse des Algériens est plongée dans une paupérisation chaque jour plus profonde. Plus de la moitié des jeunes est aujourd’hui sans emploi. Le petit trafic et le marché noir sont bien souvent leur seul moyen de survivre. Et bien entendu, les femmes sont dans leur grande majorité exclues du monde du travail.

Si en juin 1990 le FIS a pu exploiter le désespoir des masses de chômeurs pour rafler, hors des régions kabyles, la majorité des municipalités, dans les usines et les chantiers, là où réside la puissance de la classe ouvrière, les agitateurs intégristes sont marginalisés. Les premiers mois de l’année ont connu une série de grèves, parfois longues et militantes, contre les licenciements et l’austérité. Des ouvriers ont chassé de leurs entreprises les organisateurs du FIS qui cherchent à construire des « syndicats » islamistes. Devant la montée des grèves, les bonzes de l’UGTA, la confédération syndicale caporalisée, ont été obligés en avril d’appeler à une grève générale qui fut un succès massif. La classe ouvrière algérienne a besoin de forger dans la lutte une confédération syndicale. Chassez les agents du FIS, virez les bureaucrates achetés par le FLN ! Contre les attaques anti-ouvrières des Hamrouche-Ghozali à la solde du FMI, la classe ouvrière doit se mobiliser pour imposer l’échelle mobile des salaires et la répartition du travail entre toutes les mains existantes. Aucun licenciement ! Une politique de grands travaux est à l’ordre du jour. Contrôle ouvrier sur la production. La classe ouvrière doit se doter des organes de son pouvoir : comités, conseils ouvriers, et préparer son armement.

Seule la classe ouvrière a la puissance sociale de renverser le régime corrompu du FLN qui ne tient que par les fusils de l’armée et d’écraser les aspirants-dictateurs théocrates du FIS. Pour cela, elle doit entraîner derrière elle l’énorme masse non seulement des chômeurs, mais aussi des femmes, sur lesquelles pèse le joug du patriarcat et qui sont directement menacées par la terreur islamiste, ainsi que les Kabyles qui détestent les « arabisateurs » du FLN et les nervis du FIS qui ne leur promettent qu’oppression nationale.

Contre l’arabisation forcée qui est une attaque chauvine contre les Berbères et qui, à brève échéance, ne peut que provoquer l’acculturation, il faut opposer la revendication des droits égaux pour toutes les langues usitées en Algérie, y compris le français ! Le prolétariat algérien doit défendre pied à pied le droit des Berbères à parler et à écrire leur langue, le tamazight.

Les différents courants qui se réclament de la classe ouvrière capitulent à un degré ou un autre devant la campagne démagogique d’arabisation forcée. Si le français a été imposé par la colonisation, trente ans après l’indépendance il est encore une langue véhiculaire et constitue un lien précieux avec le monde industrialisé. C’est d’une amère ironie et d’une hypocrisie certaine que le « débat » sur l’arabisation se fasse dans une grande mesure, du moins par l’écrit, en français ! L’expérience désastreuse de Lanka est à méditer : les chauvins cinghalais ont imposé le sinhala comme langue unique contre le tamoul et l’anglais qui était la langue commune aux deux peuples de l’île, aujourd’hui plongée dans la guerre inter-communautaire.

La question de l’émancipation des femmes est stratégique dans la lutte pour l’émancipation du prolétariat et des masses opprimées. Contre les campagnes d’intimidation et de terreur contre les femmes qui refusent de porter le hidjeb, des brigades ouvrières doivent disperser les commandos et équipes de surveillance du FIS et garantir la libre circulation des étudiantes à la sortie des cités universitaires. Contre le FLN et son Code de la famille, contre les intégristes qui veulent imposer la réclusion des femmes, les exclure totalement du travail, les confiner dans la prison domestique du domaine « privé », le prolétariat doit lutter pour la stricte séparation de la religion et de l’Etat. Il faut, sans peur d’être momentanément à contre-courant, lutter contre les préjugés, les attitudes sociales arriérées qui, sous prétexte de religion, oppriment les femmes au sein de la famille.

Il faut une direction révolutionnaire

Alors que la question du pouvoir est ouverte, le prolétariat algérien a désespérément besoin d’un parti révolutionnaire. Les traîtres staliniens du PAGS, comme toujours à la traîne du FLN, soutiennent l’état d’urgence. Quant aux sociaux-démocrates lambertistes du PT, ils ont été jusqu’à soutenir la « grève » du FIS ! Le PST, affilié au Secrétariat unifié (SU) de Mandel, n’apporte aucune alternative de classe non plus et est même comme paralysé par le brusque changement de situation. Il avait tout misé sur la voie électorale et « démocratique ». Par exemple, trois semaines avant l’appel à la grève politique du FIS, il tenait un congrès (de trois jours), largement médiatisé, où la principale question abordée était de déterminer son attitude… aux premier et second tours des législatives à venir ! Et sur le second tour, ce congrès n’a même pas réussi à prendre une position de vote, divisé entre ceux qui rechignaient à appeler à voter pour un candidat de la bourgeoisie et ceux qui voulaient reporter leurs voix sur des candidats « démocrates » pour faire barrage au FIS – comprendre le FFS bourgeois de Aït-Ahmed qui, malgré quelques déclarations de pure forme, est lui aussi soulagé par l’instauration de l’état de siège.

Pendant la campagne pré-électorale, le PST a martelé deux idées : le meilleur moyen de « faire barrage » aux intégristes était d’avoir… des élections à la proportionnelle intégrale ! L’autre étant le « front ouvrier et populaire » – une version de gauche de la traditionnelle vision étapiste de la révolution socialiste des stalino-menchéviks – qui exprime les appétits opportunistes de la direction du PST à constituer un bloc de collaboration de classes avec des formations bourgeoises, et au premier chef avec le FFS. La revendication maximum censée couronner le programme du PST est l’assemblée constituante !

Le PST réduit la nécessaire lutte pour les revendications démocratiques à l’exigence d’un parlement bourgeois et repousse la propagande pour le pouvoir ouvrier aux calendes grecques. Mais le programme avancé par Trotsky pour les pays capitalistes arriérés comme l’Algérie est l’exact opposé du parlementarisme bourgeois : « Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes » (la Révolution permanente).

La tâche urgente, en Algérie aujourd’hui, reste de construire un parti qui luttera sur le programme de la révolution permanente de Trotsky, pour l’avènement d’un gouvernement ouvrier et paysan, dans une fédération socialiste du Maghreb.

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