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Guy Martin : Problèmes coloniaux

Article de Guy Martin paru dans Le Libertaire, n° 251, 12 janvier 1951

L’ETABLISSEMENT des grands empires coloniaux qui atteignirent leur apogée dans la seconde moitié du siècle passé obéit à des causes presque essentiellement économiques que le marxisme définit d’ailleurs valablement. Les puissances dites coloniales, une fois installées sur le sol conquis, qu’ont-elles fait ? Quelle sera la résultante de l’action divergente des colonisateurs et des colonisés ?

L’oeuvre colonialiste, après un démarrage souvent difficile, s’est effectuée en conformité avec les causes originelles dans un sens strictement économique. La mise en valeur a été plus ou moins active selon les lieux et les populations, mais dans l’ensemble, les métropoles s’enorgueillissent des résultats obtenus. L’historien classique distingue fort superficiellement, les colonies dites de peuplement et celles, bien nommées, d’exploitation. En fait, toute colonie est terre d’exploitation et dans la mesure où le climat le permet, se peuple rapidement de métropolitains. La colonisation a eu comme effet direct de faire passer, en brûlant les étapes, la population autochtone de la forme sociologique dite de tribu à celle de bas prolétariat. Ce bas prolétariat, exploité comme rarement le fut chair à travail, a permis les super-bénéfices coloniaux, et par voie de conséquence, a donné au colonialisme un esprit d’entreprise apte à promouvoir les rapides évolutions économiques. Cette évolution économique sert, bien entendu, le capitalisme local et métropolitain, et se trouve à la base d’une astucieuse propagande qui leurre jusqu’aux coloniaux eux-mêmes (à vrai dire, les fils du colon y sont plus sensibles que les fils du colonisé).

Chemins de fer, routes, assainissements, tunnels, barrages, usines, ports, la statistique, qui est le plus mathématique des mensonges, tire grand profit des « réalisations ». Or, les prétendues (et parfois effectives) réalisations sont l’habituel levier de propagande des capitalismes. (Consulter l’américain « Victory » et stalinien « France-U.R.S.S. »). Le capitalisme colonial ne faillit pas à la tradition. En 1830, la Mitidja était un vaste marécage malsain, aujourd’hui, elle est l’un des plus riches terroirs algériens. L’art hispano-mauresque n’avait cessé d’accélérer sa décadence depuis sa gloire du 12e siècle. Aujourd’hui, les écoles artisanales le font revivre, voyez ces céramiques, ces tapis, ces cuivres. En 120 ans, la population indigène a quadruplé, des hôpitaux, des dispensaires luttent contre la tuberculose et autres fléaux (mais ces institutions peuvent-elles lutter contre l’atavisme et la sous-alimentation, source de la plupart des maux populaires). On est presque tenté de croire à la « mission civilisatrice » de la France. Mais lorsque l’économiste n’est pas accompagné d’un humaniste, il n’est pire menteur (du point de vue social). Hormis la minorité européenne (qui possède son prolétariat équivalent à celui de la métropole) et quelques marionnettes en burnous rouge constellé pour cérémonies officielles, le fellah vit aujourd’hui comme il y a un millénaire, le gourbi arabe et la tente nomade sont ce qu’ils étaient au 12e siècle et au-delà. L’individu, il faut le dire, n’a pas évolué. L’évolution lui a même été refusée, car l’évolution de l’individu aboutit inexorablement à la Révolution des peuples.

Ainsi le colonialisme a tiré profit du sol et du sous-sol en tenant sous une étroite dépendance l’individu qui devait, avant tout, demeurer chair à travail et ne pas concevoir un autre destin.

Mais des « politiques » sont nés de la masse colonisée, assez semblables à nos bourgeois des révolutions communales. Une certaine agitation s’est créée et il a fallu actionner la soupape de sûreté. De là, l’octroi à la colonie d’un statut. De là, le terme de membre de l’Union Française ou d’état associé remplaçant le vocable injurieux : colonie ; de là, la création d’un Parlement-croupion local dont la plupart des « politiques » se satisfont. Et l’agitation se résorbe partiellement. La colonie, le colon, le militaire subsistent, l’exploitation demeure, le vocabulaire seul a changé. Mais alors surgit un nouveau facteur d’agitation, le nationalisme. La soupape de sûreté ne joue pas pour lui. Le Parlement devient une tribune, les revendications pleuvent. Un nouveau hochet ou épouvantail (selon le cas) est brandi : l’Indépendance. C’est-à-dire la constitution d’un état débarrassé de la tutelle métropolitaine, la constitution d’une nation politique et militaire. L’exploitation continuera ; le joug sera-t-il moins lourd ? La prétendue révolution nationaliste est-elle une étape ? Ce sont là d’autres questions auxquelles nous tâcherons de répondre.

MARTIN (M.L.N.A.).

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