Article de René Cavanhié alias R. Cavan paru dans Le Libertaire, n° 248, 22 décembre 1950, p. 3
Si l’action se déroule dans le même cadre et le même milieu que « Fontamara » (1) nous n’avons retrouvé que par éclairs l’âpreté et la vigueur de ce dernier roman. Là, des personnages taillés à la cognée évoluaient sur de la lave, ici ils sont ciselés par un poète. Nous préférions le bûcheron, et la première manière convenait mieux à ce peuple de « cafoni », véritables serfs du XXe siècle, à ces régions dures et hostiles.
D’autre part, la « traduction définitive » ne nous a pas paru excellente. Elle gagnerait à devenir provisoire.
Dans « Le Grain sous la Neige », (2) Silone nous conte l’histoire d’un militant révolutionnaire traqué découvrant la fraternité et faisant de cette fraternité, de cet amour du prochain, sa vie même. Ce saint laïque prêchera donc l’amour aux pauvres, mais aussi la révolte et l’orgueil. Quittant le refuge sûr et confortable assuré par sa famille, il partagera la vie de deux « cafoni » des plus humbles. Pour finir, méprisant la grâce que lui offre le régime fasciste, il se chargera volontairement du crime d’un innocent de village, son ami. Voilà pour l’action.
Il faut bien comprendre ce curieux mélange de chrétien et de socialiste que nous semble être Silone après la lecture de son roman : son héros ne partage pas le pain de la misère par devoir, par résignation ou par humilité comme le ferait un chrétien, ni par foi militante comme l’aurait pu faire un socialiste (3), il le fait parce que là seulement il trouve l’amour et la paix.
Cette fraternité, c’est le grain qui germe sous le linceul glacé de la misère du monde, c’est la vie ; et quand son héros se livre à la police du « Duce » pour un crime commis par un autre, ce n’est pas seulement le Rédempteur rachetant les crimes de la terre, c’est surtout l’espoir, l’espoir en l’homme.
Silone, faux chrétien aux conceptions pas très catholiques de la chose sociale, mise sur l’homme comme bien peu de ses pareils l’ont fait. Là, il est près de nous, avec nous.
S’il fait confiance à l’homme, il le juge aussi : nous sommes tous responsables, peu ou prou, de la misère et de la bassesse humaine, mais il ne faut pas désespérer, car si ce sont les pauvres qui portent la croix, c’est en eux que se sont réfugiés tous les espoirs de la Rédemption, tous les espoirs d’une amélioration de la condition humaine.
Silone, c’est le socialiste d’il y a une génération, et c’est aussi l’humaniste chrétien. Dépêchons-nous de le lire tant qu’il n’est pas définitivement gâté par la politique. Il n’est que temps, Silone vient de prendre la direction d’un parti politique italien. Le socialiste et l’humaniste sont donc bien malades, nous surveillerons l’évolution qui ne va pas manquer de se produire chez ces moribonds.
R. CAVAN.
(1) Fontamara. En vente au quai de Valmy (315 fr. ; franco 340 fr.).
(2) En vente à la Librairie.
(3) Deux suppositions toutes gratuites. En connaissiez-vous des socialistes ou des chrétiens qui partagent volontairement le sort des humbles ?