Article paru dans L’Algérie libre, 5e année, n° 64, 5 mars 1953

Chaque fois que nous avons parlé de discrimination raciale en Algérie, de nombreux Français n’étaient pas convaincus de l’authenticité de cette plaie colonialiste qui est à la base du maintien du régime que nous subissons depuis plus d’un siècle. Même certains représentants du gouvernement français dans notre pays, en réponse aux accusations étayées par des faits précis que nous avancions, se refusaient hypocritement d’en reconnaître la réalité.
Et pourtant, les faits sont là. Le racisme en Algérie est partout, dans la rue, dans le comportement des « maîtres » à l’égard de l’autochtone, dans la fonction publique, dans l’armée et même dans la justice, elle qui doit être au-dessus de tout.
Une preuve de plus vient de nous être donnée.
Par principe, nous sommes des antiracistes. Le subissant, par ailleurs, et le combattant pour avoir trop souffert de ses méfaits dans notre chair et notre esprit, nous ne pouvons être guidés par un tel sentiment dans l’affaire que nous allons exposer. Bien au contraire, c’est parce que nous avons horreur et dégoût de tout ce qui lui ressemble que nous nous faisons un devoir de dénoncer l’injustice dont a été victime une deuxième fois un homme.
En mars 1951, Laïchi, Algérien Musulman, est assassiné de trois coups de cric donnés par son associe Joseph Torino, fleuriste de Nice. Conscient de ce qu’il venait de faire, il décide de dépecer le cadavre en treize morceaux et l’enferme soigneusement dans deux caisses pour le jeter à la mer. Mais le lendemain, son odieux crime fut découvert. Arrêté, il avoua et donna les moindres détails de son geste. Une grande émotion s’était emparée de l’opinion publique. Après deux ans d’attente du châtiment, le 24 février, Torino comparaissait devant la Cour d’assises d’Alger, présidée par M. Bagard.
Aussitôt, la presse raciste et réactionnaire entreprit, sans aucune honte ni pudeur, une campagne orchestrée pour salir la mémoire de Laïchi, la victime coupée en treize morceaux, et pour présenter Torino, l’assassin-dépeceur, comme un ange. Tout fut mis en œuvre pour persuader et influencer magistrats et autres : la calomnie, l’insulte, le mensonge furent employés contre un homme qui, du fond de sa tombe criait justice. Tout simplement parce que Laïchi est un Arabe, donc un être pas cher, et Torino un Français, donc ayant droit à l’excuse, l’indulgence, la clémence, à l’occasion. Toutes les vertus et qualités lui furent décernées : « Bon, loyal, honnête, régulier. » Quant à la victime, elle fut dépeinte à tort comme un vulgaire vagabond, sans le moindre respect pour son âme.
Au cours du procès, l’opinion publique s’inquiéta de la tournure que prenaient les débats […]
tifiée, puisque Torino s’en tira avec cinq ans de travaux forcés.
Dans tous les coins d’Algérie, le verdict fut accueilli avec surprise et indignation. On ne pouvait mieux mépriser les droits et la justice de l’Arabe et mieux illustrer le racisme dont nous sommes victimes. Ah ! si Torino était la victime et Laïchi l’accusé, le verdict aurait été sans nul doute autrement plus lourd !
La justice à sens unique est la coutume dans ce pays. On a bien condamné Mabroukine Salah, de Bougie, candidat aux élections à l’Assemblée algérienne, à cinq ans d’emprisonnement et 120.000 francs d’amende pour avoir seulement exposé son programme électoral ; Abbane Ramdane, à six ans d’emprisonnement. 500.000 francs d’amende et vingt ans d’interdiction de séjour et de la privation de ses droits civiques pour avoir participé au complot policier d’avril 1950 ; Cheikh Zerrouki, de Mostaganem, à quatre ans d’emprisonnement et à 250.000 francs d’amende pour avoir soi-disant enseigné des chants « subversifs » à ses élèves. Récemment, le 12 février dernier, neuf Algériens de Colomb-Béchar étaient traduits devant la Cour de Mascara pour le meurtre d’un Européen survenu au cours d’une manifestation populaire. Au lieu de condamner le présumé assassin, la Cour a jugé que l’Européen valait plus : aussi tous les neuf inculpés furent condamnés à des peines variant de quatre ans de prison à quinze ans de travaux forcés. On peut énumérer d’autres cas à l’infini, mais nous conclurons que, s’il en était besoin, le racisme, arme chère au colonialisme, demeure plus que jamais l’une des lignes directrices de la politique française en […]
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