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Bernard Lecache : Musulmans, nos frères…

Éditorial de Bernard Lecache, Le Droit de vivre, 18 juillet 1936.

 

 

Je vous ai vus, et bien vus, mardi dernier, quand vous défiliez en rangs serrés.

Je vous ai vus, les uns et les autres, pressés derrière vos chefs, tendant le poing, saluant passionnément les foules passionnées. Et j’ai compris que nous étions, vous les Musulmans et nous les hommes de la L.I.C.A., des sots.

Nous étions quelques milliers, nous autres. Vous étiez quelques milliers, de chez vous. Quel bel « ensemble » nous aurions composé, si nous avions su, à l’avance, nous fondre en un seul mouvement!

*

Je pensais, vous voyant, que, déjà, dans cette Afrique du Nord pour laquelle vous luttez, la soudure aurait pu se faire. Ce journal s’honore de la collaboration de vos frères. Cette organisation s’honore d’avoir été la première à demander, pour vous, les justes droits dont vous êtes encore privés. Les démarches que nous avons tentées avec les vôtres, les accords que nous avons passés avec les vôtres, les efforts que nous conjuguons avec les vôtres prouvent notre volonté de soutien, notre sentiment de fraternité. Et les vôtres l’ont si bien compris en Tunisie, en Algérie, au Maroc, qu’ils n’attendent pas les mots d’ordre des dirigeants pour réaliser le front unique, pour coordonner leurs énergies.

Quand la maison brûle, on ne s’occupe pas de savoir comment on se sauvera. On se sauve, et l’on se sauve ensemble. A Oran, à Constantinople, à Alger, ailleurs encore, vos frères musulmans ont vu que le pogrome préparé contre leurs frères juifs les atteindrait, qu’ils en seraient eux-mêmes les victimes. Ils ont vu, dans le même temps, l’iniquité de l’antisémitisme, l’ignominie politicienne qui se masquait sous la doctrine raciste. POUR LA PREMIERE FOIS DANS L’HISTOIRE JUDEO-MUSULMANE, ILS ONT MARCHE DE CONCERT AVEC LES JUIFS, SOUTENU LES JUIFS, DEFENDU LES JUIFS. De cela, camarades arabes, camarades kabyles, camarades chleuhs, nous vous seront éternellement reconnaissants.

Mais nous aurions dû suivre l’exemple magnifique de ceux de là-bas.

Je sais bien que vous étiez près de le faire. Je sais bien que nous brûlions du désir de le faire. Cependant, nous avons défilé chacun de notre côté, sans nous décider aux gestes espérés par tous. Nous défilions en réclamant l’union des rades. Vous défiliez en réclamant la paix entre les races. Le peuple acclamait nos cris, les reprenait en chœur. Il n’y avait plus de « youpins », ni de « sidis ». Il n’y avait plus de « sales Juifs », ni de « sales Bicots ». Les Parisiens, c’est-à-dire toute la France – car les Parisiens viennent de toutes les provinces françaises – comprenaient allègrement que nous étions, vous et nous, semblables, que nous en avions assez, vous et nous, de souffrir injustement, que nous étions, vous et nous, faits à leur image.

*

Je m’adresse publiquement à toi, Messali Hadj. Je m’adresse publiquement à tous ceux qui, dans les autres groupements, portent la responsabilité de la direction et de l’initiative. Il est arrivé que nous nous soyions combattus. Il est arrivé que nous nous soyions dressés, naguère, les uns contre les autres. Mais tous les malentendus ont été, les uns après les autres, éliminés. Mais tous les heurts se sont effacés devant la nécessité de la défense commune.

Une main loyale se tend vers vous. Sachez la prendre comme ont su, déjà, la prendre vos frères d’au-delà les mers! Sachez nous comprendre, comme ont, déjà, su nous comprendre les élus musulmans, les chefs respectés des ulémas, les conducteurs de foules indigènes.

Séparés, nous sommes quelques milliers. Unis, nous serons des millions. Unis, nous imposerons cette loi contre le racisme qu’on tarde un peu à voter. Unis, nous imposerons à l’usure, à l’exploitation odieuse de la plèbe, à l’analphabêtisme social et politique, à la haine des races, aux factions « latines », la loi de notre masse, la décision de nos forces.

Musulmans (et, dans ces Musulmans, je fais leur place à tous les vôtres, sans en excepter aucun, depuis les Arabes jusqu’aux Mozabites actuellement brimés par des passions mauvaises), frères musulmans, plus rien ne nous sépare. Sachons nous retrouver!

Bernard Lecache.

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