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Vernon Richards : George Orwell, l’humaniste

Article de Vernon Richards paru dans Le Libertaire, n° 215, 10 février 1950, p. 3


GEORGE ORWELL, écrivain et socialiste, est mort dans un hôpital londonien, le 21 janvier, à l’âge de 46 ans. Né d’une famille de classe moyenne en Inde, il alla à Eton, et plus tard rejoignit les forces de police de Burma. Mais l’honnêteté de l’œil avec lequel il vit le rôle de l’Impérialisme britannique le repoussa — non seulement de la police de Burma, mais aussi de la classe dans laquelle il était né.

Ses livres disent la pauvreté matérielle qui l’accabla, et 1936 le trouva en Espagne, où il fut blessé dans les lignes républicaines.


J’ai appris la mort de George Orwell par une relation qui devait en faire l’annonce dans un journal du soir. Pour lui, le nom de George Orwell ne signifiait pas plus que l’information de la « National Press » : l’auteur qui devint fameux pour la première fois par un livre intitulé : Animal de ferme, suivi d’un autre : 1984, livres qu’il n’avait pas lu, mais il comprenait qu’ils étaient anti-communistes et, anti-socialistes. Le gagneur de dollars « qui mourut avant que l’argent puisse l’atteindre » était la sauce à laquelle le Daily Herald, du Parti travailliste l’accommoda.

Pour moi, et pour ses nombreux amis et lecteurs du mouvement anarchiste à travers le monde (ses livres furent commentés à travers la presse anarchiste internationale), Orwell était, avant tout, un humaniste. Il ne partageait pas notre point de vue, et beaucoup d’anarchistes sectaires auraient levé leurs bras vers le ciel, horrifiés par certaines des idées exprimées par Orwell dans ses écrits.

Pourtant, pendant les 12 années suivant la publication de Hommage à la Catalogne, j’ai senti grandir un profond respect et une amitié pour lui malgré les différences fondamentales sur les événements comme la dernière guerre (et cette qui vient), la conscription et la politique parlementaire.

Orwell l’écrivain, je le laisse à des mains plus compétentes, me limitant moi-même à l’étude pénétrante de George Woodcock sur Orwell, publiée d’abord dans le journal américain Pondes et plus tard incluse dans son volume d’essais : L’écrivain et Politics.

La principale raison pour laquelle Orwell ne fut jamais un anarchiste me semble qu’il pensait de lui-même qu’il était un « réaliste » et qu’il était sans valeur de parler de révolution sociale quand sa réalisation semblait si lointaine ; nous avions à faire face à des problèmes immédiats. Cela eut comme résultat qu’il se trouva lui-même dans la position d’avoir continuellement à choisir entre le plus petit et le plus grand mal. George Woodcock a décrit l’attitude d’Orwell comme étant « dans un sens plus général… opportuniste ». Ceci est vrai si l’on n’examine pas en même temps les raisons d’Orwell. Dans mes conversations avec lui, j’ai toujours eu l’impression qu’il était continuellement conduit par une urgence à faire quelque chose, à prendre sa part dans la lutte au jour le jour, plus que discuter dans l’abstrait. Cette attitude semble, en partie du moins, avoir été déterminée par la considération des philosophes intellectualistes de l’aile gauche, par Orwell. Ce que beaucoup d’entre eux n’ont pas oublié ou excusé, la seconde partie de La route de Wigan Pier, apparaît clairement dans les mémoires qui furent écrits jusqu’à sa mort. Quand je parlais avec lui pour la dernière fois, il était très amer dans sa condamnation de ces intellectuels français qui supportent l’U.R.S.S. en pensant que le système soviétique est préférable à la démocratie capitaliste. Il disait qu’il respectait la position anarchiste d’opposition aux deux systèmes ; que c’était une position solide à prendre. Mais pour ces intellectuels français, qui vivaient une vie de bourgeois et jouissaient d’une liberté relative qui ne leur serait pas donnés en U.R.S.S., soutenir celle-ci était la dernière des malhonnêtetés.


Mais je pense que les propres limitations d’Orwell contribuèrent aussi à son attitude politique. Son rôle était celui de « l’homme moyen » mais, comme l’a montré Woodcock, « l’homme moyen » a toujours des limitations, et plus grand est son échec à pénétrer sous la surface des événements et à voir les causes réelles des maux sociaux, les massifs désordres de la vraie structure de la société, dont les maux individuels sont les symptômes. Et il ajoute, plus significativement :

« Je n’ai jamais, par exemple, vu ou entendu Orwell donner une profonde analyse des tendances de l’Angleterre d’aujourd’hui et, sur d’aussi importants sujets que la monnaie, la propriété et l’Etat, il semble avoir une bien petite opinion à part les slogans usuels qui ont inspiré le Parti travailliste depuis des générations. »

Et on sent Orwell s’identifiant lui-même avec le « travailleur authentique » dont il pensait qu’il n’étreint jamais les profondes implications du socialisme.

« Souvent, à mon opinion », écrit-il dans La route de Wigan Pier, « il est un plus pur socialiste que le marxiste orthodoxe, par ce qu’il se souvient bien, ce que les autres oublient si souvent, c’est-à-dire que le socialisme signifie Justice et commune bienséance ».

Ce désir de faire quelque chose quelles que soient les limitations du milieu, fut aussi bien une qualité qu’une faiblesse. Je ne peux m’empêcher de penser que, dans le cas d’une situation révolutionnaire se présentant à lui dans notre pays, Orwell aurait été avec les Anarchistes, pour y trouver l’expression, en une telle éventualité, de son anarchisme, « éthique » et son « réalisme ».

Orwell n’était pas effrayé par la Révolution, au contraire. Mais, de même qu’il n’avait pas le temps comme les profonds penseurs qui voient toujours la révolution au coin de la rue, il méprisait les propagandistes qui essayaient de réduire les événements d’Espagne, en 1936, à un simple passage de « Démocratie contre Fascisme ».

La chose qui arriva en Espagne fut en fait, pas seulement une guerre civile, mais le commencement d’une révolution. C’est ce fait que la presse antifasciste étrangère hors de l’Espagne a fait tout pour obscurcir. L’événement a été réduit à « Fascisme contre Démocratie » et l’aspect révolutionnaire fut obscurci le plus possible.

Depuis longtemps il était anxieux de donner son nom à des initiatives pour défendre les libertés. Depuis 1938 surtout, il fut associé avec les anarchistes dans un certain nombre de publications comme Freedom, commençant à devenir un très actif membre de la S.I.A., lancée par les anarchistes espagnols et dont la section de Londres fut organisée par Emma Goldman. Et malgré notre fondamentale différence à propos de la dernière guerre, il fut un des premiers à protester publiquement contre les raids de la police contre les bureaux de « Freedom Press » (presses de la liberté), devenant plus tard vice-président du Comité de Défense de « Freedom Press », formé pour défendre les quatre anarchistes arrêtés sous les directives de défense en vigueur à cette date. Il continua son apport actif quand le Comité fut transformé en Comité de Défense de la liberté, et fit même deux de ses rares apparitions sur la tribune d’un meeting pour soutenir l’amnistie et défendre les déserteurs du temps de guerre et plus tard dans un meeting organisé pour défendre les Espagnols antifascistes internés dans le Lancashire. La dernière fois que je le vis, il était très actif mentalement et suivait les événements d’aussi près qu’auparavant.

Si, dans les années à venir, je l’avais interrogé sur sa place dans la lutte de l’humanité, il m’aurait montré ces lignes de Hommage à la Catalogne :

« La situation était claire à Barcelone en mai :

D’un côté, la C.N.T. et de l’autre la police. Je n’ai pas d’amour particulier pour les « ouvriers » idéalisés comme ils apparaissent à l’esprit bourgeois des communistes, mais quand je vois un travailleur suant sang et eau dans un conflit avec son ennemi naturel, je n’ai pas à me demander de quel côté de suis. »

(Traduit de Freedom.)

2 réponses sur « Vernon Richards : George Orwell, l’humaniste »

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