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Grande-Bretagne : Quelles perspectives ?

Article paru dans Courant alternatif, n° 11, décembre 1981, p. 26-27

La Grande Bretagne a été secouée par une vague d’affrontements. Combats de rue, cocktails molotov et barricades : telle était l’image du pays où l’on déclarait il y a peu : « de telles choses ne peuvent arriver chez nous …». Nous avons rencontré un membre de groupe de Londres de l’organisation communiste libertaire SOLIDARITY et lui avons demandé ce qu’il pensait des derniers évènements survenus dans le pays de la « loi et de l’ordre » de Mme Thatcher. Sa vision des conséquences politiques de ces évènements contraste avec la présentation un peu triomphaliste qui a été faite dans certaines publications libertaires.


Quelles sont les causes de ces affrontements ?

Il y a un facteur essentiel à mentionner : le chômage, résultat de la restructuration profonde du capitalisme britannique. A cause des possibilités d’importation à bon marché depuis les pays du tiers monde certaines firmes en Grande Bretagne ne font plus assez de profits. La stratégie du gouvernement Thatcher est d’éliminer les entreprises non rentables. Il en résulte que des secteurs entiers, des centre villes, qui se trouvent très dépendants de ce genre d’entreprises au niveau de l’emploi et de la stimulation de l’économie locale, se paupérisent de plus en plus. Dans de tels endroits, le taux de chômage est le double de la moyenne nationale, qui elle même tourne autour des 12 %. Les jeunes en sont les premières victimes et principalement les jeunes noirs, qui sont discriminés à tous les niveaux de la société.

Pollution, mauvaises conditions de logement, de santé, d’éducation, de protection sociale encore accentuées par le fait de se trouver sans travail et sans fric.

En même temps, les magasins sont remplis de biens de consommation que les gens rêvent de posséder mais dont ils savent qu’ils ne profiteront jamais. En plus, dans ces secteurs, les salaires sont si bas que même ceux/celles qui ont la « chance » d’avoir du travail, ne peuvent se permettre aucun « luxe ».

Mais cette situation n’est pas nouvelle… Quelles ont été les causes précises du déclenchement des émeutes ?

Ce qui a joué un rôle important, c’est l’attitude des flics qui a fini par déclencher l’explosion. Il faut comprendre le niveau de répression que la police fait subir aux jeunes noirs.

Les flics se considèrent comme les protecteurs des valeurs anglaises traditionnelles, et lorsqu’ils se trouvent confrontés avec une communauté dans laquelle une fraction importante des gens sortent en groupe, fument du hash, boivent de la bière et écoutent de la musique reggae qui sort à plein tube de la boutique du coin, ils sortent de leurs gonds. Ils se considèrent en état de guerre avec la communauté noire. Ils provoquent continuellement les noirs en les fouillant dans la rue pour « vol, possession de drogue… », en perquisitionnant leurs maisons, en les accusant d’affaires « montées » par ces mêmes flics. Il en résulte une attitude très hostile de la population noire, aussi bien des jeunes que des vieux, envers les flics. Tôt ou tard, les flics devaient dépasser la mesure. C’est ce qui est arrivé à Bristol lorsqu’ils ont fait irruption dans une fête noire. A Toxteth (Liverpool) c’est l’arrestation brutale d’un jeune noir qui a mis le feu aux poudres. A Brixton, l’atmosphère était très nerveuse depuis plus d’une semaine à cause des provocations intensives des flics embarquant et fouillant des membres âgés et respectés de la communauté noire pour « possession de drogues », et s’en prenant à des conducteurs de métro (beaucoup sont noirs) qui rentraient chez eux après leur travail. L’explosion eut lieu lorsque la police s’en prit à un groupe de jeunes noirs qui emmenait un des leur, blessé à coups de couteau, à l’hôpital.

Alors, les causes des émeutes étaient les mêmes dans les diverses villes ?

Pas forcément, à Southall par exemple, c’était un peu spécial bien qu’encore une fois les flics en soient la cause. Southall est peuplée en majorité par des asiatiques (beaucoup sont des petits commerçants) qui sont particulièrement victimes de groupes d’extrême droite. Certains ont été assassinés, d’autres ont eu leurs maisons ou magasins brulés… En plus, ils sont continuellement attaqués physiquement et psychologiquement par les partisans de groupes comme le National Front et le British Movement (on peut remarquer ici que plus ces groupes perdent de voix dans les élections locales et nationales, plus ils passent à l’action contre tout ce qui est de couleur et/ou de gauche). Malgré leurs demandes, la police n’a jamais bougé le petit doigt pour protéger les asiatiques et ne fait rien contre les fascistes responsables d’attentats. En conséquence, les asiatiques ont mis sur pied leur propre force de protection composée de plusieurs centaines de personnes se mobilisant à la première alerte.

Et c’est exactement ce qui s’est passé le 3 juillet lorsque quelques bus sont arrivés de l’East End (alors que Southall est à l’extrême Ouest de Londres) pleins de « skinheads » soit disant venus assister à un concert de rock dans un pub du quartier. L’« évènement » avait été annoncé à l’avance dans la presse fasciste comme une bonne occasion d’aller créer des troubles dans le coin. Ils se mirent donc à distribuer des tracts fascistes, à attaquer des maisons… avant que le pub où se trouvaient les fascistes ne soit rasé par les asiatiques furieux. Les flics arrivèrent alors pour protéger les fascistes et ce fut le début du soulèvement général.

En tout cas, quelles que soient les raisons locales, c’est bien la crise, ou comme tu le dis, la restructuration du capitalisme en Grande-Bretagne qui est à la source de cette situation. Nous savons tous qu’un taux élevé de chômage plus de mauvaises conditions de logement, plus la présence de fortes minorités de couleur forme un terrain fertile au développement d’activités à caractère fasciste et raciste. C’est donc bien un problème politique. Dans ce contexte, y a-t-il des groupes qui agissent avec une perspective politique précise ?

Les émeutes furent spontanées et non pas le résultat d’une offensive politique planifiée bien que les autorités, totalement paranoïaques, aient suggéré que tout cela était manipulé par le Revolutionary Communist Party (scission du Socialist Workers Party, Trotskystes). Bien sûr, toute la « gauche » s’est précipitée sur les lieux des affrontements pour essayer de vendre l’une des 36 variantes du léninisme, mais elle a été le plus souvent rejetée ou considérée avec ironie par la population locale, qui savait très bien elle-même ce qu’elle devait penser et faire.

Et les anarchistes là-dedans ?

Je dois hélas dire que le rôle joué par les anarchistes n’a pas été bien grand. Quelques uns venus de Worthing (côté sud) à Brixton ont trouvé moyen de se faire arrêter…

Il faut quand même mentionner le fait que, de toutes les boutiques pillées et brûlées dans Railton Road (Brixton) seule la librairie anarchiste s’en est sortie avec seulement la vitrine brisée. En règle générale, les biens détruits étaient ceux appartenant à des institutions ou des personnes contre lesquelles la communauté noire avait des griefs précis (par exemple des pubs dont les propriétaires étaient des racistes notoires). De plus, on n’a pas fait de différence entre les magasins tenus par des blancs et ceux tenus par les noirs.

En fin de compte, pas d’alternative politique …?

C’est difficile à dire. Il ne faut pas attendre trop du mouvement anar, trop faible et divisé pour avoir une influence sérieuse.

L’expérience prouve aussi que les gens sont longs à tirer les leçons et à développer de nouvelles initiatives, tandis que l’État va développer très rapidement la répression (par exemple l’utilisation pour la 1ère fois ici de casques spéciaux, de grenades C.S. …). La « perspective politique » des émeutiers consiste en général à se retrouver le soir à piquer ce qu’ils peuvent de biens de consommation dont ils n’ont jamais pu profiter.

Tout ça n’est pas très optimiste ! …

C’est bien quand même que des tas de gens défient massivement l’autorité, mais l’avancée que cela représente est limitée et de courte durée. Il faut s’attendre à une récupération rapide de la gauche réformiste qui demande déjà aux asiatiques de dissoudre leur organisation de défense et à la police de « mieux faire son travail » et qui voudrait résoudre les problèmes sociaux et économiques en revitalisant les secteurs déficitaires par une injection d’argent emprunté au FMI (Fonds Monétaire International).

Il reste un aspect intéressant, c’est l’irrespect de la classe ouvrière pour « la loi et l’ordre » qui est toujours très fort et se manifeste à la première occasion. Par exemple, bien que les pillages aient été le fait de jeunes noirs au tout début, il n’aura pas fallu longtemps pour que des familles entières, noires et blanches, remplissent leurs sacs et même leurs voitures du nécessaire.

GARY (Solidarity-Londres)

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