Extrait de l’article paru dans Jeune Taupe, n° 10, juin 1976, p. 17-18
Le Moyen-orient connait une crise grave à tous les échelons : crise économique, politique et sociale dont le Liban est la tragique illustration. Depuis quelques années, le mouvement ouvrier a fait une réapparition de plus en plus radicale sur son terrain de classe. C’est le moment qu’ont choisi des révolutionnaires arabes et israéliens, dont la radicalité est le produit de cette remontée des luttes prolétariennes, pour dégager une perspective communiste au Moyen-orient.
Réunis les 1 et 2 mai 1976, à Paris en conférence, ces révolutionnaires, pour la moitié représentants de groupes et organisations révolutionnaires, ont élaboré un manifeste qui est, à notre connaissance, la première adresse révolutionnaire publiée en commun par des arabes et des israéliens, ce qui est à souligner. Un de nos camarades y était invité à titre individuel. Ce premier pas vers le regroupement et le travail coordonné se place dans le mouvement de jonction des luttes prolétariennes et dans une période de déclin de l’illusion nationaliste. Il ne pourra en avoir que plus de force.
Cette adresse n’est cependant pas exempte d’une ambiguïté découlant d’une non-rupture totale avec la conception « léniniste » de l’auto-détermination nationale. En effet, alors que plusieurs fois est affirmé l’aspect caduque des luttes de libération nationale à notre époque, un passage contient le soutien à « l’auto-détermination du peuple palestinien et du peuple juif-israélien pour mettre fin une fois pour toutes à toute oppression nationale et sociale ». Ce passage – en fait un amendement au texte initial – dut être incorporé après un vote où la tendance la plus clairement anti-nationale fut mise en minorité. Notre camarade ne s’estime évidemment pas engagé par ce passage qu’il considère en flagrante opposition avec le contenu communiste de l’adresse. En attendant la prochaine publication de ce texte, nous publions ci-dessous un extrait particulièrement significatif du contenu révolutionnaire de l’adresse.
Au stade actuel de la lutte des classes, notre tâche, à nous, dont l’essentiel des activités révolutionnaires est orienté vers les pays arabes et Israël, est :
– d’apporter sa signification réelle, sa conscience radicale à toute pratique à visée révolutionnaire, si limitée dans le temps et l’espace soi-elle
– d’encourager tout dérèglement des institutions existantes, qui ne sont rien d’autre que la violence de classe organisée, toute résistance au conformisme, aux injustices et au pouvoir discrétionnaire des directions dirigeantes dont l’essentiel de l’activité a, de tout temps, consisté à surveiller et à punir
– de diriger l’arme de la critique contre toutes les institutions religieuses et idéologiques.
Dans l’Orient, venu au capitalisme moderne sous l’impact de l’époque, et non pas par une évolution intérieure que ses structures paralysantes excluent, la critique de tous les anachronismes du monde moderne, qui conservent en Orient une influence massive, telle la religion qui bloque encore l’intellect des larges masses, reste la condition préliminaire de toute critique, s’attaquant simultanément au capital, au pouvoir et à leurs justifications sacrées et profanes.
Face aux classes qui défendent partout et par tous les moyens la propriété privée et étatique, l’amour du travail salarié, l’ordre, la famille, la morale, la tradition, la religion, l’autorité, le patriotisme, le sacrifice, le service militaire, l’école, les partis et les syndicats à leur service, les révolutionnaires axeront le feu de leur critique sur toutes ces institutions et cette table des valeurs défendues par leurs ennemis :
sur le carcan familial répressif qui écrase, par son conservatisme patriarcal, la personnalité et la créativité des enfants et maintient la femme dans l’esclavage ;
sur la machine scolaire, lieu d’apologie des abstractions abrutissantes et des réalités mortelles, qui reprend les enfants, assagis, de la famille pour achever son œuvre, à savoir tuer en eux toute réflexion libre, leur laver le cerveau, les conditionner par toutes les médiocrités courantes, les plier aux exigences d’une société stupide et totalitaire, les destiner à être des ouvriers qualifiés et disciplinés ;
sur l’université qui, à son tour, récupère les élèves triés par des examens punitifs, pour les soumettre aux ravages des idéologies passéistes et modernistes qui se côtoient et se complètent dans la société même, pour en faire, dans le meilleur des cas, des petits cadres au service de l’Etat et des professeurs spécialisés incapables d’avoir des vues larges et profondes sur leur temps, et dans le pire des cas des chômeurs diplômés ;
sur l’essence de la culture dominante et les moyens audio-visuels qui la propagent dans le seul but de mystifier la conscience de la classe révolutionnaire en diffusant à satiété des faux problèmes, escamotant le vrai, celui de l’émancipation du prolétariat, par l’apologie du passé mort et de l’état théologique toujours en place ;
sur l’armée, dernier lieu de conditionnement de la jeunesse, qui est en passe de devenir – après la « paix » elle le deviendra pleinement – une force spéciale réduite en nombre et exclusivement destinée à se mesurer au prolétariat dans les guerres civiles à venir ;
sur les partis et les syndicats étatiques et para-étatiques qui sont déjà la principale force d’inertie pour la classe ouvrière et dont la tâche consiste, en tant que courroie de transmission du pouvoir, à neutraliser les pôles subversifs de la société, à perpétuer la soumission des exploités, à créer et entretenir la fausse conscience, enfin à mater le prolétariat.