C’est ainsi que M. Robert Kemp commençait un feuilleton consacré à un certain nombre de romans récents écrits en français par des écrivains d’Afrique du Nord.
Article de Marcel Moussy paru dans Demain, n° 4, 5 au 11 janvier 1956, p. 12
LA faim, la misère du peuple algérien, et la conscience qu’il prend de cette misère en cessant de croire à sa fatalité : ces thèmes majeurs de l’auteur de « La grande maison » et de « l’Incendie » (Ed. du Seuil) reviennent comme des obsessions dans son dernier recueil de nouvelles « Au café » (Ed. Gallimard).
Article de Maurice Nadeau paru dans France Observateur,septième année, n° 327, 16 août 1956, p. 13
LA publication par Esprit, l’an dernier, d’une pièce de Kateb Yacine : Le cadavre encerclé, avait attiré l’attention sur un jeune écrivain algérien qui ne ressemblait à aucun autre. Celle de Nedjma (1) confirme l’impression qu’on avait éprouvée à la lecture de la pièce et invite à considérer l’auteur de ces deux œuvres comme tout à fait singulier. Il écrit en français mais ne possède aucun autre point de référence avec notre littérature, avec nos conceptions traditionnelles du théâtre et du roman. Fort conscient de sa singularité, il a récemment montré (2) combien il était abusif de réunir sous la même dénomination d’« écrivains d’Afrique du Nord » des écrivains français comme Albert Camus, Jules Roy, Emmanuel Roblès, des « assimilés » qui s’insèrent naturellement dans une tradition qu’ils ont appris à connaître en même temps que notre langue : Mammeri, Memmi, Feraoun, Dib, Malek Ouary, et, enfin, de jeunes écrivains et poètes qui, comme lui, n’entendent utiliser la langue française que comme moyen d’exprimer un monde de pensées et de sentiments, une conception de l’univers profondément arabes. Pourquoi n’écrivent-ils donc pas en arabe ? Parce que, déclare Kateb Yacine, l’arabe est, littérairement, une langue morte, celle des « vagissements des Ulemas tombés en enfance » et que la littérature arabe (sauf la littérature de type oral), n’intéresse plus les nouvelles générations formées au désir de l’indépendance et de la liberté, ouvertes au monde moderne, par les colonialistes eux-mêmes.
Article de Daniel Guérin paru dans France Observateur, septième année, n° 302, 23 février 1956, p. 13
DEPUIS que Richard Wright a « choisi la liberté », en renonçant (tout comme Charlie Chaplin), à résider aux Etats-Unis, le romancier noir américain est devenu un grand voyageur. Après avoir rapporté un beau livre de sa visite à la Côte de l’Or, voici qu’il nous présente son témoignage sur l’Indonésie et sur la Conférence de Bandoeng (1).
Recension de Serge Brindeau parue dans La Revue socialiste, n° 93, janvier 1956, p. 101-102
WRIGHT (Richard). – Puissance Noire. Traduit de l’américain par Roger Giroux P., Corrêa, coll, « Le Chemin de la Vie », dirigée par Maurice Nadeau, 1955, 19.5 × 14, 400 p.
L’importance politique des problèmes africains, la personnalité de Richard Wright font de Puissance Noire un livre qui forcerait la sympathie même s’il devait décevoir. Empressons-nous de dire qu’il ne déçoit pas.
Article de Léon Steindecker alias Léon Pierre-Quint paru dans France Observateur, septième année, n° 318, 14 juin 1956, p. 15
Il n’y a pas tellement de façons de tomber. Si l’homme tombe, c’est qu’il a glissé, c’est qu’il est descendu, c’est qu’il a changé d’état, c’est qu’il a connu « l’Eden, la vie en prise directe », et qu’à présent, il ne connaît guère plus qu’une vie de malédiction. L’auteur n’évoque pas le passage de l’une à l’autre, mais il les oppose. Pour expliquer cette opposition, il ne recourt pas au péché originel, ni au rachat (ce serait trop facile, nous dit-il) ; il n’a par la foi, ou, du moins, pas encore … L’opposition est ; c’est la chute ; il faut que nous l’acceptions comme une donnée immédiate.
F. LOVSKY : Antisémitisme et mystère d’Israël. Paris, Albin Michel, 1955, 561 p., 1150 fr.
Les livres sur l’histoire de l’antisémitisme abondent actuellement. Il semble que soient venues à maturation les réflexions et les études inspirées à des esprits bien différents par l’abominable déchaînement de la bestialité nazie. F. Lovsky nous apporte un point de vue de théologien chrétien et plus précisément protestant, utilisant pourtant les travaux des théologiens catholiques et en somme ne se séparant d’eux sur rien d’essentiel.
Article de Kateb Yacine paru dans Demain, n° 47, du 1er au 7 novembre 1956, p. 8
Par KATEB YACINE
L’U.R.S.S., grande puissance réaliste, renoncera-t-elle à l’usage de la force contre la volonté d’indépendance du peuple hongrois ? La France est-elle encore une grande puissance ? Usera-t-elle longtemps de la force contre le peuple algérien ?
Article de Kateb Yacine paru dans Demain, n° 43, du 4 au 10 octobre 1956, p. 20
Après Memmi, Chraïbi, Dib, Ouary, l’Afrique du Nord vient d’apporter à la littérature française un nouvel écrivain de grande taille : Kateb Yacine.
Son premier roman, « NEDJMA » (Ed. du Seuil), demeurera l’un des événements marquants de cette année.
La tragédie d’une génération et d’une communauté se situe au cœur de son inspiration.
Mais ce jeune écrivain algérien, de culture française et de souche arabe parle de cette tragédie en fils d’une culture universelle qui ne se pose que les problèmes qu’elle a déjà résolus pour elle-même.
Article de Daniel Guérin paru dans France Observateur, sixième année, n° 298, 26 janvier 1956, p. 12
Le très intéressant livre que Colette et Francis Jeanson viennent de publier sur l’Algérie a déjà été l’objet d’assez vives critiques non seulement de la part des milieux réactionnaires mais aussi de la part d’un certain nombre de journalistes et de militants de gauche qui lui reprochent la manière dont il prend parti dans les conflits internes du nationalisme algérien.
Nous avons demandé à Daniel Guérin, auteur de Au service des colonisés, de rendre compte impartialement de ce livre et nous souhaitons que tous les adversaires du colonialisme fassent leur sa conclusion.
Texte collectif paru dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 4, 27 mai 1956
NOUS nous permettons, en qualité de spécialistes des problèmes arabes et islamiques, d’attirer l’attention sur l’évolution du problème algérien. On agite le spectre du panarabisme et du panislamisme pour déclarer qu’il est impossible de négocier en Algérie avec des gens qui adhèrent à ces doctrines. Nous ne nions pas l’existence de telles tendances, mais nous nions qu’elles soient déterminantes.
Textes parus dans Le Libertaire,n° 473, 5 avril 1956, p. 1
NOTRE camarade Pierre MORAIN, condamné à un an de prison pour sa lutte anticolonialiste, est sorti de la prison de la Santé. Pierre Morain a subi, dès son incarcération, le régime cellulaire, ce qui explique sa sortie, au bout de 9 mois de détention. Mais il ne fait aucun doute, camarades, que notre action a contribué à faire capituler la réaction : les initiatives du Comité de Libération P. Morain, qui nous ont attiré beaucoup de sympathie ; l’action dynamique et tenace du M.L.A. qui a secoué l’opinion partout, et à travers tout cela, la lutte journalière – la plus difficile à mener – de tous les militants et sympathisants de la F.C.L., chacun dans leur secteur.
Article paru dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 6, 24 juin 1956
TOUS les militants nationalistes algériens se réclament de deux organisations : le F.L.N. et le M.N.A.
Ces mouvements, qui ont pour objectif l’indépendance de l’Algérie, n’en poursuivent pas moins l’un contre l’autre une lutte souvent sanglante et qui paraît incompréhensible aux Français mal renseignés sur tous les aspects du problème algérien.
Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 398, 16 mars 1956, p. 1
PAR dizaines de milliers, sur un mot d’ordre du Mouvement National Algérien, les travailleurs algériens ont débrayé massivement. La surprise a été totale, tant chez les colonialistes et leurs agents que du côté de ceux qui d’un air entendu clamaient à la ronde : « Messali Hadj est dépassé ».
Article de Lucien Kiner paru dans Nouvelle Gauche,1ère année, n° 2, 30 avril 1956
DEPUIS plusieurs semaines, à tour de rôle, les travailleurs algériens en France débrayent dans les diverses régions.
Le branle a été donné par la manifestation du 9 mars à Paris, organisée par le MNA. Les deux mots d’ordre essentiels sont : « Indépendance de l’Algérie », « Libérez Messali Hadj ».
Discours de Daniel Guérin prononcé le 27 janvier 1956 à Paris, lors du meeting du Comité d’action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord, reproduit dans Guerre d’Algérie & colonialisme, Paris, 1956, p. 18-21, Correspondance Socialiste Internationale, n° 60, février 1956, p. 10-12 et partiellement dans Le Libertaire, n° 466, 16 février 1956, p. 1 et 2
Mes chers amis,
Mes chers camarades,
Et, si vous le permettez, mes Frères,
Nos gouvernants s’obstinent à prétendre que l’Algérie c’est la France. Robert Barrat, en se plaçant du point de vue du présent, vient de vous démontrer que ce mythe est un mensonge, un mensonge qui fait aujourd’hui couler le sang. Je voudrais, moi, au risque de paraître « académique », remonter avec vous dans le passé et vous convaincre que l’Algérie n’a jamais été la France, que la nation algérienne est un fait historique caché ou défiguré par les historiens à gages. Je voudrais aussi réfuter ceux qui soutiennent que la prise de conscience nationale du peuple algérien est de fraîche date.
NOTREami Daniel Guerin nous a fait parvenir une « lettre ouverte aux membres du Comité d’Action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord ». La nécessité affirmée par D. Guérin de servir avant tout la cause du peuple algérien, en lutte pour son indépendance, en dehors de toutes autres considérations ne peut que rencontrer l’adhésion de tous les anticolonialistes.
Article de Louis Houdeville paru dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 9, 9 septembre 1956, p. 2
Après deux mois et demi d’emprisonnement, Claude Gérard a été remise en liberté. Liberté provisoire d’ailleurs, car comme certains journaux se sont plus à le souligner, dès le mois de septembre le juge Pérez reprendra l’instruction.
DEPUIS le vingt-six mai – bientôt deux mois ! – Claude Gérard est détenue à la petite Roquette !
Que lui reproche-t-on ?
Atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat !
Plus exactement la publication, dans un journal marocain, « Al Alam » (1), d’un reportage sur les maquis algériens, et plus spécialement sur les maquis dirigés par le Mouvement National Algérien, dont le président est Messali Hadj.
L’internement de Claude Gérard est un nouvel exemple après beaucoup d’autres, de ce scandale : la détention préventive.
Article signé A. Amyot paru dans Nouvelle Gauche,1ère année, n° 8, 22 juillet 1956, p. 2
Claude Gérard est toujours emprisonnée. Voici sept semaines qu’elle est détenue à la Petite-Roquette. Nous avons protesté chaque fois que des journalistes avaient été inquiétés pour avoir informé objectivement le public des réalités qu’ils avaient été à même de constater.
Articles parus dans Nouvelle Gauche, 1ère année, n° 5, 10 juin 1956, p. 2 puis Nouvelle Gauche, n° 6, 24 juin 1956, p. 7
Militante catholique, Claude Gérard entra dans la Résistance en 1940, à Lyon, au mouvement « Combat » ; traquée par la police, elle passa dans le Limousin, où elle devint l’adjointe d’Edmond Michelet, responsable régional de « Combat ». En 1943, elle assura la coordination et le commandement des maquis de l’A.S. du Limousin. Arrêtée en 1944 par la Gestapo et horriblement torturée, elle fut sauvée au dernier moment par l’action de la Résistance et des troupes alliées.
Extrait des Notes d’économie et de politique de Robert Louzon parues dansLa Révolution prolétarienne, 25e année, n° 407, nouvelle série n° 106, juin 1956, p. 12-14
Ce que propose l’armée de libération
A l’occasion de la fête de l’Aïd-Seghir, l’armée de libération d’Algérie a libéré le premier prisonnier qui est tombé entre ses mains après la fin du Ramadan. A ce soldat, Roger Valle, du 1er régiment d’infanterie coloniale, fut remise une lettre adressée au commandement français, dont voici les principaux passages :
Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 413, 8 juin 1956, p. 1
CLAUDE GERARD est arrêtée pour avoir effectué un reportage dans les maquis messalistes. Les six-févriéristes d’Alger exigent qu’elle leur soit livrée. Claude Gérard a commis un crime inexpiable. Elle a rapporté que les maquis contrôlés par le MNA couvraient un large secteur de l’Armée de Libération Nationale, soutenu par le peuple algérien unanime. Elle a rapporté le programme politique des combattants de l’ALN.
Article de Gérard Bloch alias R. Monge paru dans La Vérité,n° 412, 1er juin 1956, p. 1-2
– Scandaleuse arrestation de Claude Gérard. – Nouvelles inculpations de Daniel Renard. – LA VÉRITÉ saisie pour la cinquième fois en huit semaines.
Inquiets du formidable mouvements contre la « sale guerre » qui se dessine chaque jour davantage dans les masses profondes du peuple, les milliardaires d’Alger et leurs porte-paroles politiques hurlent à la mort. Ils veulent, pendant qu’ils le peuvent encore, frapper à coups redoublés, non seulement les militants révolutionnaires d’avant-garde, mais les esprits libres, les personnes courageuses qui refusent de se laisser intimider par les insultes des chacals de la presse à gage, et continuent à dire la vérité, à informer honnêtement le peuple sur la situation en Algérie.
Article dePierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 411, 25 mai 1956, p. 1-2
ILsuffisait de suivre les informations contradictoires, le silence unanime d’une presse colonialiste et « néo-colonialiste », intéressée au plus haut point à nier l’influence déterminante de Messali Hadj, pour comprendre ! (1)
N’est-il pas remarquable de constater le black-out organisé par la presse « libre » de toute tendance sur le reportage accompli en Algérie par la journaliste française Claude Gérard ; reportage publié par l’hebdomadaire « Demain ». Pourtant, quand R. Barrat avait interviewé des dirigeants du FLN, Belkacem-Ouamrane (« France-Observateur » 15 sept. 1955), la presse alors en avait largement fait état. Instructive comparaison …
Claude Gérard confirme donc de façon éclatante un fait connu des autorités et volontairement dissimulé au grand public : l’existence de puissants maquis se réclamant de Messali Hadj et du MNA, intimement liés à la population algérienne :
Article de Claude Gérard paru dans Demain, n° 23, 17 mai 1956, p. 10-12
Pourquoi nous publions ce document
LORSQUE Claude Gérard est venue proposer à Demain ce reportage réalisé dans des maquis de «l’Armée de Libération Nationale (M.N.A.) », un grave cas de conscience s’est posé à l’équipe du journal. Avions-nous le droit de publier un récit vécu sur l’existence et les aspirations d’hommes qui se sont donne pour mission de combattre les Français dont les sacrifices quotidiens endeuillent la nation ? Avions-nous même le droit de donner la parole à ceux qui, les armes à la main mettent en doute les engagements d’un gouvernement décidé à apporter une solution politique juste au douloureux problème qui déchire le pays ?
Editorial paru dans Nouvelle Gauche,1ère année, n° 5, 10 juin 1956,p. 1-2
LA guerre à outrance en Algérie, tel est le choix auquel Guy Mollet, qui s’était engagé à négocier la paix, s’est laissé entraîner sous la pression de la pire réaction.
Ce choix, qui risque d’avoir des conséquences catastrophiques pour l’avenir, est un danger mortel pour la liberté.
Editorial de Claude Bourdet paru dans Nouvelle Gauche, organe du mouvement uni de la nouvelle gauche, 1ère année, n° 1, 15 avril 1956, p. 1
AU cœur même de la situation politique française se trouve la guerre d’Algérie. Elle n’est pas le seul objet d’intérêt, elle n’est même pas, pour beaucoup de salariés vivant difficilement et préoccupés de leur salaire insuffisant, de leur logement médiocre, elle n’est même pas le problème principal. Mais, tout compte fait, c’est d’elle que tout dépend. Le climat international est à la détente. Le Parti communiste soutient le gouvernement. Malgré l’absence du Front Populaire aux élections, la droite n’est pas ressortie de celles-ci assez puissante pour inquiéter sérieusement Guy Mollet, tant au moins que la situation algérienne n’est pas très aggravée. Dans de telles circonstances, il apparaît clairement que, sans la guerre d’Algérie, nous serions partis pour une longue période de stabilité, et peut-être de progrès. Mais il apparaît aussi qu’à cause de la guerre d’Algérie, tout peut changer : la logique de la guerre alimente le chantage de la droite et des militaires exigeant de Mollet des mesures toujours plus brutales, lesquelles doivent normalement provoquer la chute du gouvernement de Front Républicain et son remplacement par un gouvernement de guerre totale animé par Bourgès-Maunoury, Soustelle, ou tous les deux.
Article de Claude Devence paru dans Nouvelle Gauche, n° 8, 22 juillet 1956, p. 2
ALORS que la guerre d’Algérie trouble la conscience de nombreux Français, l’opinion d’un homme comme le Professeur Rivet ne peut manquer d’avoir une grande portée.
Or « Combat » vient de publier une interview du Directeur honoraire da Musée de l’Homme, intitulée : « Au nom de l’idéal de la Gauche, le professeur Paul Rivet condamne la rébellion algérienne » (1).
Article de Claude Devence paru dans Nouvelle Gauche, organe du mouvement uni de la nouvelle gauche, n° 5, 10 juin 1956
LE film de Resnais nous expose la réalité brute de l’horreur concentrationnaire. Ce n’est pas un cauchemar, c’est vrai.
Cela n’a pas seulement été vrai à un moment de l’histoire. Ce peut être encore vrai à tout moment, de la part de n’importe quel peuple, de n’importe quel groupe, parce que c’est le fait de l’homme. Il ne s’agit pas ici de l’Allemand ou même du nazi seulement. Resnais nous le montre clairement (1).
Article de Louis Chavance paru dans Le Monde libertaire,n° 23, décembre 1956, p. 4
SI la colère et le chagrin ne l’avaient emporté sur la curiosité, ce n’est pas sans amusement qu’on aurait pu assister aux contorsions des littérateurs distingués pour apaiser leur conscience, troublée par une atmosphère d’orage, après le coup de tonnerre de l’insurrection Hongroise. La tristesse serait d’ailleurs aussitôt revenue, devant les réactions de quelques honnêtes gens, asphyxiés par les nuages de confusion qu’ont répandus les faux penseurs.
C’est un livre court et qui va loin. Aux antipodes, d’abord, du lieu où se situait L’Étranger. A l’extrême pointe d’une hypothèse à partir de laquelle Camus distribue son œuvre.
Appel du Secrétariat international de la IVe Internationale paru dans La Vérité des travailleurs,n° 53, 15 décembre 1956, p. 10
A toutes les organisations ouvrières, à tous les travailleurs
Camarades,
Depuis plusieurs semaines déjà, les travailleurs hongrois luttent héroïquement pour la défense de leur pouvoir démocratique, des Conseils. Cette lutte est arrivée maintenant à un nouveau point crucial.
Déclaration du Secrétariat international de la IVe Internationale parue dans La Vérité des travailleurs,n° 50, 1er novembre 1956, p. 12
En Hongrie, la faillite économique et politique des dirigeants staliniens hongrois inféodes au Kremlin et leur refus bureaucratique jusqu’à la dernière minute d’accéder aux demandes et aux aspirations profondes des masses, ont provoqué un soulèvement populaire.
Quand le pouvoir totalitaire éclate, l’appareil d’État s’effondre d’un coup. L’illusion de la toute-puissance politique se dissipe et les forces populaires réelles se manifestent au grand jour. Le régime que l’on disait soutenu et plébiscité à chaque élection par la quasi unanimité des citoyens se retrouve sans base aucune. Le parti unique, censé représenter l’ensemble des populations laborieuses, s’écroule en quelques heures. La police « du peuple », perdant toute autorité, est immédiatement pourchassée, traquée et massacrée par ceux qu’elle prétendait défendre.
Article de Cyrille Rousseau de Beauplan alias Philippe Guillaume paru dans Socialisme ou Barbarie, n° 20, décembre 1956-février 1957, Volume IV (8e année), p. 117-123.
UNE RÉVOLTE DE TOUT UN PEUPLE, PROLÉTARIAT ET JEUNES EN TÊTE
Tout le monde sait maintenant comment cela a débuté. A la suite de l’avènement au pouvoir de Gomulka en Pologne, un grand espoir s’est levé sur la Hongrie. Tout le monde espère le retour de Nagy, le Gomulka hongrois, parce que, comme en Pologne, cela signifie un certain allègement de la contrainte économique et une petite indépendance vis-à-vis des Russes, moins d’ingérence ouverte de ceux-ci et moins de prélèvements sans contrepartie des richesses produites par le pays. Ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà énorme en comparaison d’un passé exécré, celui de Rakosi. Ces timides revendications viennent des écrivains communistes (cercle Petöfi) et des étudiants communistes. Ces écrivains ne sont pas des écrivains « bourgeois », ayant une situation indépendante, comme Mauriac ou Sartre en France. Ce sont tous de véritables fonctionnaires du parti communiste, des servants de son idéologie, comme le philosophe Lukacs et qui, tous, ont chanté les louanges des Rakosi et de son régime, même si ils l’ont fait parfois à contrecœur. Depuis la déstalinisation cependant, et plus particulièrement depuis les événements de Pologne, ils ont pris quelques libertés, se sont exprimés ouvertement, ont tenu des réunions. Les étudiants ne sont pas des étudiants bourgeois ; ce sont des fils de membres du parti, de dirigeants syndicaux, de fonctionnaires de l’État communiste et même d’ouvriers et de paysans, à qui le régime — qui a un énorme besoin de « cadres » — a donné, en échange de leur soumission, leur chance sur une échelle beaucoup plus grande que dans les pays capitalistes. Une manifestation est décidée pour le 23 octobre, mais peu après que les écrivains et les étudiants aient formé leur cortèges, toutes les autres couches de la population, dont essentiellement les ouvriers, se sont joints à eux jusqu’à former des cortèges s’élevant à plus de deux cent mille hommes, femmes et enfants.
Article paru dans Socialisme ou Barbarie, Volume IV (8e année), juillet-septembre 1956, n° 19, p. 116-120
Les ouvriers polonais viennent de répondre à leur manière au XXe Congrès. Tandis que dans le monde entier les dirigeants communistes rusent pour contenir les formidables remous que propage la déstalinisation, à Poznan, métallos et cheminots ont formulé sans qu’on les y convie leur propre critique qui est celle des armes : les ouvriers de l’usine Staline ont débrayé le 28 au matin, tenu un meeting monstre, appelé à leur aide les travailleurs des autres entreprises, et, après avoir défilé en scandant « c’est notre révolution. Du Pain. Démocratie. Liberté. A bas les bonzes » ils ont attaqué la prison et les Bureaux des services de sécurité. Le très libéral Cyrankiewicz peut bien insinuer que les révoltés sont des ouvriers arriérés et le sinistre Courtade les traiter de chouans, l’explosion de Poznan est trop forte pour qu’on puisse en dissimuler le sens : les ouvriers ne s’accommodent pas de la déstalinisation ; il ne leur suffit pas que les dirigeants sacrifient un ou deux de leurs anciens collègues terroristes et qu’ils affichent une soudaine horreur de la dictature stalinienne, ils veulent du pain, la liberté, la démocratie — bref ce qu’ont toujours voulu les ouvriers dans tous les régimes d’exploitation dès qu’ils sont entrés en lutte.
Fin Janvier, chaque membre du personnel de la Régie Renault a reçu à domicile, une lettre l’informant que prochainement serait institué un système de retraite pour tous.
Ceux qui sont déjà d’un âge avancé ont accueilli cette nouvelle avec beaucoup de sympathie, ceux qui sont plus jeunes l’ont accueillie avec beaucoup plus d’indifférence : « où serons-nous dans 25 ou 30 ans ? »
Depuis 1944 jusqu’au XIIe Congrès, la vie intérieure du P.C.F. fut plutôt sans histoire. Mais, à partir de 1952, elle devint mouvementée : exclusion d’André Marty puis d’A. Lecoeur qui publient leur défense, rétrogradation de Tillon, critiques publiques d’une violence inhabituelle d’Aimé Césaire à l’égard d’Aragon, polémique Lefèvre-Garaudy, et voici que paraît un livre de 200 pages de Pierre Hervé : « La Révolution et les Fétiches ».
Le livre de Danos et Gibelin sur Juin 36 (1) est une importante et sérieuse étude d’une période décisive et pour l’évolution du mouvement ouvrier et pour celle de la politique bourgeoise et des partis de masse. Ne serait-ce que pour mesurer le chemin parcouru depuis vingt ans, la réflexion sur les événement de 36 est féconde. Aujourd’hui le patronat commence à tirer profit de l’expérience d’avant guerre et n’hésite pas dans des secteurs clés à devancer la revendication ouvrière, comme l’illustrent les contrats de Renault et de la métallurgie. Poussé par les impératifs de la production en grande série, il cherche à intégrer toujours plus étroitement les ouvriers à l’entreprise et commence à comprendre, à l’instar du patronat américain, que certaines améliorations (concernant la retraite, les congés) peuvent seules lui assurer une stabilité provisoire. Aujourd’hui, les partis qui se réclament de la classe ouvrière se sont définitivement intégrés à l’appareil d’exploitation du capital, l’un en se subordonnant absolument à une bureaucratie qui, dans l’intervalle, s’est étendue de l’U.R.S.S. à une grande partie de l’Europe et de l’Asie, et en prenant conscience de ses fins (un nouveau rôle de gestionnaire grâce à l’étatisation de la production), l’autre en participant directement au régime d’exploitation bourgeois.
Article d’Abdou El Hadi paru dans Le Libertaire, n° 481, 31 mai 1956
De notre correspondant à Alger.
LE fait à remarquer cette semaine en Algérie est l’ordre de grève lancé par l’U.G.E.M.A. (Union Générale des Etudiants musulmans d’Algérie) et l’U.J.D.A. (Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne). Ces deux organismes, le premier uniquement d’étudiants musulmans, et le second de toute la jeunesse algérienne, incitent les étudiants, les lycéens, les collégiens et les élèves de cours complémentaires à faire grève illimitée des cours et des examens.
Article de F. Adbou El Hadi paru dans Le Libertaire, n° 480, 25 mai 1956
ALGER était dans la léthargie complète durant ce mois de ramadhan. Les années précédentes, les rues étaient animées le soir ; les music-hall et les cinémas regorgeaient de monde, les cafés accueillaient de nombreux veilleurs. Cette année, rien de tout cela, aucune préparation spectaculaire ni ornement dans les rues quasi désertes, les lieux de loisirs habituels ont fermé leurs portes. On n’entend plus comme à l’accoutumée le son des derboukas, les chants religieux des jeunes filles, les battements des mains et les yous-youx des femmes, on ne voit plus les enfants courir joyeusement en chantant.
Article paru dans Jalons, n° 14, décembre 1986, p. 22-29
Voici trente ans, le prolétariat hongrois se soulevait contre l’exploitation capitaliste imposée par la clique stalinienne de Géroé-Rakosy s’appuyant, elle-même, sur la police de sûreté de l’Etat, l’AVH, dont les pratiques de tortionnaire n’avaient rien à envier à celles de la Gestapo.
Extrait des études du Secrétariat Social d’Alger, La Cohabitation en Algérie. A la recherche d’une communauté, Alger, éditions du Secrétariat Social d’Alger, 1956, p. 187-188
VI. Cohabitation et standard de vie.
L’Algérie est un pays sous-développé, pauvre, et, ce qui est plus grave, en voie de régression économico-sociale. Les causes de cette situation sont nombreuses et ne tiennent pas toutes à l’homme ; dans la perspective de la cohabitation, il convient d’en relever deux principales :
Dans les trois semaines que je viens de vivre ici, j’ai eu l’occasion de me rendre compte qu’un choc terrible – entre les deux communautés : arabe et européenne – est inévitable.
L’insécurité est totale dans l’intérieur du pays. A quand le tour des villes, même côtières ? La pression des « rebelles » est si forte que les Européens seront obligés de se battre, s’ils ne veulent pas être jetés à la mer. Or les Européens, enracinés en Algérie depuis bien plus longtemps qu’en Tunisie et au Maroc, considèrent que l’Algérie est leur chose, sans aucune réserve. Ils se battront résolument, car le privilège n’exclut pas le courage. Quant à celui des Arabes, on le connaît ; il n’est pas inférieur.
Extrait de l’article paru dans Guerre de classes, n° 7, janvier 1974, p. 3.
C’est la quatrième fois en vingt-cinq ans que l’hostilité entre Israël et les pays arabes dégénère en guerre ouverte. Une fois de plus, c’est une véritable levée de boucliers dans le monde. Le concert des positions remet face à face pro-arabes et pro-israéliens. Les organisations de gauche et d’extrême-gauche se sont lancées dans la confusion générale, pour avancer des mots d’ordre tout aussi confus qui reviennent toujours, plus ou moins directement, à soutenir les pays arabes : « Soutien aux peuples arabes de Palestine, d’Egypte et de Syrie en guerre pour récupérer leurs territoires occupés… », « A bas l’agression israélienne ». « Lutte des peuples arabes contre le sionisme et l’impérialisme » … « Le Golan aux Syriens, le Sinaï aux Egyptiens »… Les révolutionnaires sont bien prompt au soutien, mais peu à l’analyse. Voilà qu’ils se mettent à soutenir sans broncher un camp capitaliste contre un autre ; voilà qu’ils mettent en avant leur internationalisme bâtisseur d’Etats en revendiquant « les droits légitimes » des peuples ou des nations.
Lettre parue dans La Voix du peuple, n°27 [novembre 1956] et diffusée sous forme de tract.
Monsieur le député,
L’Assemblée Nationale Française aura à débattre d’une très grave situation politique dominée par la guerre d’Algérie et les récents événements du canal de Suez. La paix a été sérieusement menacée et le monde a failli être entraîné dans un conflit dont les conséquences auraient été imprévisibles.
Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 11, octobre 1959, p. 1-2.
Il y a un an De Gaulle arrivait au pouvoir en promettant la paix en Algérie et depuis la guerre n’a fait quo s’intensifier. On aurait pu croire que la population travailleuse, qui en supporte les conséquences, serait mécontente et s’opposerait à cette politique. Non, De Gaulle continue la guerre et tout le monde se tait. Mais s’il l’arrête, tout le monde criera au miracle et prétendra qu’il est un homme génial et pacifique.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.