Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 93, octobre 1968, p. 1 et 3
Les événements qui, depuis le début de l’année secouent la Tchécoslovaquie, ne peuvent se comprendre que replacés dans leur contexte, à savoir : les difficultés économiques et la pression des classes qui sévissent depuis plusieurs années dans les pays de l’Est européen.
Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 89, mars-avril 1968, p. 5-8
Le remplacement de Novotny par Dubcek à la tête du P.C. tchécoslovaque s’est rapidement transformé en une vaste épuration de tout l’appareil dirigeant la société. Les bastions des « novotnyens » sont tombés l’un après l’autre. Limogeage de Chudik, président du Conseil National de Slovaquie, révocation du ministre de l’Intérieur Kaudna et du procureur général Bartuka, du ministre de la Défense Lomsky, du vice-président du Conseil Simunek. Finalement, c’est un nouveau gouvernement qui va être formé sous la présidence de Cernik remplaçant le stalinien Lenart. Quelques « bavures », bien sûr : fuite aux U.S.A. du général Sejna emportant des fonds et les plans militaires de l’Est, « suicide » du vice-ministre de la Défense Janko, « suicide » du vice-président de la Cour Suprême Brestransky, spécialiste en procès de haute trahison. Dans le parti lui-même, remaniement tout aussi radical : sur les dix membres du présidium du comité central, trois seulement sont restés en place : Dubcek, Cernik et Kolder.
Pour ceux qui pouvaient encore en douter, l’invasion et la mise au pas de la Tchécoslovaquie confirme, s’il en était besoin, le caractère impérialiste de l’État russe. Rappelons quand même qu’en 1939-40, à la suite de l’accord avec Hitler la Russie occupa les États Baltes, une partie de la Pologne, la Bucovine et la Bessarabie. L’agression contre la Finlande suivit. Puis à la fin de la seconde guerre mondiale ce fut le partage du monde de Yalta qui assurait à la Russie la domination de l’Europe de l’Est et d’une partie des Balkans. Depuis, l’impérialisme russe réagit brutalement lorsque ses conquêtes sont menacées. La répression de l’insurrection hongroise en 1956 est encore dans toutes les mémoires, au moins pour ceux qui ne sont pas trop jeunes. En Hongrie la bureaucratie russe défendait au surplus sa domination de classe contestée par les conseils ouvriers. Rappelons enfin que dans son affrontement avec l’impérialisme américain, l’impérialisme russe apporte un soutien mesuré aux bureaucraties nationales du Nord-Vietnam, d’Égypte, de Syrie, d’Algérie, de Cuba, etc.
Article paru dans Socialisme ou Barbarie, Volume IV (8e année), juillet-septembre 1956, n° 19, p. 116-120
Les ouvriers polonais viennent de répondre à leur manière au XXe Congrès. Tandis que dans le monde entier les dirigeants communistes rusent pour contenir les formidables remous que propage la déstalinisation, à Poznan, métallos et cheminots ont formulé sans qu’on les y convie leur propre critique qui est celle des armes : les ouvriers de l’usine Staline ont débrayé le 28 au matin, tenu un meeting monstre, appelé à leur aide les travailleurs des autres entreprises, et, après avoir défilé en scandant « c’est notre révolution. Du Pain. Démocratie. Liberté. A bas les bonzes » ils ont attaqué la prison et les Bureaux des services de sécurité. Le très libéral Cyrankiewicz peut bien insinuer que les révoltés sont des ouvriers arriérés et le sinistre Courtade les traiter de chouans, l’explosion de Poznan est trop forte pour qu’on puisse en dissimuler le sens : les ouvriers ne s’accommodent pas de la déstalinisation ; il ne leur suffit pas que les dirigeants sacrifient un ou deux de leurs anciens collègues terroristes et qu’ils affichent une soudaine horreur de la dictature stalinienne, ils veulent du pain, la liberté, la démocratie — bref ce qu’ont toujours voulu les ouvriers dans tous les régimes d’exploitation dès qu’ils sont entrés en lutte.
Une nouvelle fois l’apparence vient d’être renversée : le dernier bastion de la « stabilité » policière dite socialiste s’est écroulé, sous les coups de boutoir du prolétariat polonais.
Gomulka est allé rejoindre Khrouchtchev, Dubcek, Rakosi, Gero et consorts dans les geôles « socialistes » déguisées en maisons de repos.
Les événements de Pologne de décembre 1970, ceux de Gdansk et de Lódz en janvier et février de cette année, démontrent que nous nous trouvons en présence d’un mouvement de fond de la classe ouvrière polonaise à l’échelle nationale. Loin d’avoir été brisé dans l’œuf par les fusillades dans les premiers jours, il a pris une ampleur croissante et de ce fait a posé des problèmes extrêmement difficiles en premier lieu aux dirigeants polonais, et a porté en outre la crise du stalinisme international à un niveau plus élevé que jamais.
Comme dans les explosions passées de la lutte de classe dans les pays capitalistes d’État (branche orientale du capitalisme), les travailleurs polonais viennent de marquer les limites du pouvoir de la classe dominante (que ce soit l’ancienne classe du parti — dirigeants politiques — ou les nouvelles classes de technocrates — dirigeants de l’économie).
« Toute révolution nouvelle commence non sur la base où débuta la précédente, mais en partant du point où la révolution antérieure a subi un enrayement mortel »
Ciliga – L’insurrection de Cronstadt – La Révolution Prolétarienne, sept. 1938
Article de Claude Lefort paru dans Jeune Révolution, Revue des étudiants communistes internationalistes, n° 2, juin 1946, p. 1-9
LE stalinisme n’avait pas besoin de l’existentialisme pour instiller son double jeu. A ce qu’il paraît M. Merleau-Pontv (1) tient un troisième jeu plus subtil à la seule portée des philosophes. Il s’agit pour lui de rejoindre la politique effective du P.C. sans en assumer la vulgarité.
La crise des intellectuels compagnons de route soulève, en premier lieu pour ceux-ci, des problèmes de la plus grande importance, tels les rapports des écrivains, artistes, etc…, et de leurs œuvres avec les masses et leurs luttes émancipatrices, avec les formes d’organisation qu’elles prennent (partis, États…).
Dans le n° 6 de l’année. 1949 de la revue théorique du P.C.Y., « Communiste », a été publié un long article d’un jeune théoricien dalmate, Makso Bace, membre du C.C. du P.C. croate et ancien chef des partisans slovènes, où sont analysées minutieusement les manifestations de l’emprise bureaucratique sur le Parti bolchévik russe dans l’ère stalinienne. Cet article est presque inconnu hors de Yougoslavie, puisque la seule langue étrangère dans laquelle il a été traduit est l’italien. (Makso Bace: Alcuni Aspetti della Critica e Autocritica nell’ U.R.S.S., Editoriale Periodici italiani, Milan, 1950.) Constituant une des contributions les plus importantes du P.C.Y. à la critique marxiste sur le phénomène de la bureaucratie soviétique, il mériterait d’être largement connu de l’avant-garde révolutionnaire internationale.
Après la philosophie, voici la sociologie « scientifique » qu’on enseigne en Sorbonne, armée de logique cartésienne solide et de keynesisme à fortes doses. Ayant en 1946 jugé « le parlementarisme tel que le pratique la France » « inadapté à la guerre froide, à la dissidence communiste, aux exigences d’une économie à moitié dirigée » et choisi le R.P.F., Mr. Aron réduit maintenant en poussière les « mythes » de la « gauche », de la « révolution », du « prolétariat » et s’efforce de désintoxiquer les intellectuels de l’opium de toutes les Églises, surtout de celle du marxisme. Du reste, peut-on maintenant accuser le R.P.F. d’avoir été une formation d’extrême-droite, presque fascisante ?
Article de Léon Steindecker alias Léon Pierre-Quint paru dans La Lumière, 12 mai 1939, p. 6
VOICI un témoignage hallucinant, simple, vrai, dénué de cynisme et de fausse pudeur (1) Arthur Koestler, correspondant du News Chronicle, de Londres, a parcouru les deux camps espagnols dès le début de la guerre civile. Il fut le premier journaliste libéral qui réussit à pénétrer au grand-quartier général nationaliste. Son interview de Queipo de Llano, les infractions au pacte de non-intervention qu’il observa et qu’il publia, enfin un livre sur l’Espagne qu’il fit paraître en Angleterre le rendirent célèbre dans son pays, mais irrémédiablement suspect aux nationalistes.
Article d’Albert Ollivierparu dans France, n° 5, 24 novembre 1944, p. 6
PARMI les livres publiés en France au cours de ces quatre ans, « L’étranger » de M. Albert Camus a tout particulièrement attiré l’attention. Nous avons demandé à un jeune critique de talent de préciser pour nous les raisons qui ont valu à cette première œuvre d’un romancier d’être si chaleureusement accueillie.
« La Gauche » s’honore de publier dans ce numéro un article écrit pour nous par Albert Camus. Nul n’ignore, en France et à l’étranger, le talent et la qualité d’esprit du romancier, de l’auteur dramatique et du moraliste de « L’Étranger », « La Peste », « Caligula », « Le Mythe de Sisyphe ».
Qu’Albert Camus adhère ou non au R.D.R., cela importe peu. Il est de ces hommes libres qui sont d’accord avec nous sur la nécessité d’ouvrir des voies nouvellesà la pensée de gauche, d’engager des débats entre tous ceux qui n’acceptent ni le pourrissement ni le conformisme. Nous avons l’ambition dans ce journal de donner la parole à tous ceux qui par leur œuvre, par leur position politique, philosophique ou morale ont marqué leur volonté, avec toutes leurs nuances et divergences de pensée, de travailler à le transformation profonde d’un monde mal fait, de lutter contre l’injustice et l’oppression sous toutes leurs formes.
L’AUTEUR de ce livre, Arthur Koestler, était correspondant du News Chronicle de Londres.
Journaliste et libéral, il se rendit dès le début de la guerre civile dans les deux camps espagnols. Il y apportait cette curiosité, cette fraîcheur, cette aptitude à capter le document humain qui sont en notre profession vertus essentielles. Il y apportait aussi la révolte du gentleman qui, sans se soucier des étiquettes politiques, n’a jamais admis qu’il soit forfait à l’honneur.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis, camarades et lecteurs la tenue d’une nouvelle rencontre autour de mon dernier ouvrage, Histoire algérienne de la France, qui vient de paraître aux Puf.
NOUS n’en aurions rien dit, s’il s’agissait seulement d’être étonné qu’un homme comme Sartre, dont nous n’oublions pas l’amical sourire, offre à présent le visage crispé du « sectarisme de l’incertitude ».
Article de Jane Albert-Hesse paru dans Franc-Tireur, 8 novembre 1951, p. 4
BOURREAU ou victime, tels sont les termes de l’alternative qui s’offre à l’homme d’aujourd’hui. On sait que Camus a dès longtemps refusé de se laisser emprisonner dans ce dilemme. Mais nul écrivain n’a entrepris avec une plus implacable patience de refuser les travestis, et de replacer ses contemporains devant la question nue ; au sommet de la tragédie contemporaine, écrit-il aujourd’hui, nous entrons dans la familiarité du crime. Avec « L’Homme révolté », c’est à l’examen même de la culpabilité de notre temps que s’attache Camus puisque toute action aujourd’hui débouche sur le meurtre direct ou indirect, nous ne pouvons pas agir avant de savoir si, et pourquoi, nous devons donner la mort.
ALLONS-NOUS vers l’âge d’or ou vers une nouvelle barbarie ? Le régime de demain sera-t-il un capitalisme rénové sous la forme d’un capitalisme d’État, sera-t-il le socialisme, ou bien quelque chose d’entièrement original ?
ARTHUR Koestler est connu chez nous par « Un Testament espagnol », paru en 1939 et passé de ce fait inaperçu. Depuis cette date, l’ouvrage a toutefois trouvé des lecteurs fanatiques.
ON se souvient de l’émotion que provoquèrent les procès de Moscou. S’évadant malaisément des analogies historiques, ceux qui pensaient à Thermidor se rappelaient Robespierre, Saint-Just, Couthon et Lebas gravissant l’échafaud en silence. Les condamnés russes, eux, non seulement se vantaient d’avoir voulu poignarder la révolution, assassiner son chef, vendre le pays à une puissance étrangère, mais enchérissaient sur l’accusation :
Article de Jane Albert-Hesse paru dans Franc-Tireur, 5 juillet 1951, p. 4
L’auteur du « Zéro et l’Infini » pose ici le problème de la démission de l’intelligence
L’IMAGINATION se refuse à distancer le présent : elle ne consent guère à s’adonner à des exercices propitiatoires que si elle cingle vers le fabuleux ; le fabuleux n’a pas d’âge et n’appartient pas plus à l’avenir qu’au passé. Les hommes acceptent malaisément d’anticiper, sauf à s’y donner un vertige de démiurge, et l’illusion d’une condition dominée : rien de plus aisé que de se représenter un miracle. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les grands délires scientifiques firent la vogue du roman d’anticipation. Aujourd’hui l’ère de l’optimisme est close ; l’anticipation a passé au service de la satire.
Article de Gilbert Sigaux paru dans Combat, 3 août 1950, p. 4
DANS le dernier volume d’Albert Camus, Actuelles, qui réunit, outre un certain nombre d’éditoriaux de Combat, des articles parus dans Caliban, le texte d’un exposé fait au couvent des Dominicains de La Tour Maubourg et trois interviews, on peut voir plusieurs choses. D’abord le journal, sinon involontaire, du moins non prémédité d’un esprit lucide, de 1944 à 1948. Pour la biographie intellectuelle de Camus, Actuelles constitue donc un document capital. Les mouvements d’une sensibilité, ceux d’une intelligence s’y inscrivent dans un style d’une pureté et d’une précision irréprochables (cela compte, quand il s’agit d’idées) style constamment conforme à son sujet, sans « drapé », sans opéra — mais avec une sobre, une constante résonance humaine.
Article signé G. S. paru dansForce ouvrière, n° 119, 8 avril 1948, p. 14
Ce titre étrange reflète, à y regarder, un contenu d’une profondeur extraordinaire. En effet, nous avons lu, dernièrement, toute une série d’ouvrages qui nous ont dévoilé les dessous des sociétés totalitaires.
Richard Crossman, député aux communes et rédacteur en chef du New Statesman and Nation, nous explique que ce livre est issu du feu de discussions qui eurent lieu, un certain soir, chez Arthur Koestler, dans le Nord du pays de Galles.
Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 48, 21 novembre 1946, p. 11
Nous nous débattons tous, il faut en convenir, dans un chaos intellectuel indescriptible. Une immense supplication, comme une prière, monte des foules inquiètes vers ceux qui mènent le monde. « Dans votre sillage, messieurs, où allons-nous ? Où nous conduisez-vous ? » Telles sont les questions que, sourdement, se pose l’énorme majorité des hommes qui n’ont pas encore cessé de penser ni de réfléchir.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis, camarades et lecteurs la parution, aujourd’hui, du Dictionnaire de la guerre d’Algérie (éditions Bouquins), sous la direction des historiens Tramor Quemeneur, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault.
Article signé G. S. paru dans Force ouvrière, n° 50, 5 décembre 1946, p. 11
Albert Camus, l’éminent écrivain, dans une série d’articles publiés par Combat, définit notre siècle comme le « Siècle de la Peur ». Quoi de plus juste, de plus véridique ? Ferrero, dans ses grands ouvrages d’histoire, invoque le sentiment de la peur comme un des facteurs les plus puissants qui aboutissent à la guerre.
CE n’est pas autre chose qu’un roman de la vie russe d’avant la dernière guerre mondiale.
Écoutez la voix de Victor Serge. C’est un de ceux qui savent et qui va vous parler de ce qui se passe de l’autre côté, là-bas, en terre russe. Au moment où il écrivit ce livre, il revenait de Russie.
VOICI l’ouvrage qu’il faut recommander à tous les jeunes qui se demandent quelle signification peut prendre honnêtement la vie d’un révolutionnaire dont l’histoire a été trahie et qui survit aux multiples désastres sans aliéner son espoir ni même altérer son action. L’exemple est fantastique en notre temps de confusion : une pointe de platine.
Je suis très heureux d’annoncer à mes amis et lecteurs que je serai l’invité de l’émission « En sol majeur », diffusée ce samedi 11 mars à 15h10 sur RFI (89,0 MHz FM à Paris).
Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 103, 18 décembre 1947, p. 12
The delegates to the IInd Congress of the IIIrd International, at Pavlovsk. In the middle of the group, Comrade Lilina. On her left, Mutzenberg’. Zlata (or Zinaida) Ionova Lilina (1881-1929) was Grigori Zinoviev’s wife. Involved in children care and education, she was People’s Commissar for Social Planning to the Northern Commun (organ of the Petrograd Soviet). Victor Serge (1890-1947) described her as ‘a small crop-haired, grey-eyed woman (.) sprightly and tough’. She stands in the middle of the group, with German delegate Willi Münzenberg (1889-1940) on her left. The man with a hat and a pipe may be Karl Radek (1885-1939). The man on the left, behind the woman in a white dress, may be Manabendra Nath Roy (1887-1954), delegate to Mexico, commissioned by Lenin to write the theses on national and colonial questions during the IInd Congress. (Photo by: HUM Images/Universal Images Group via Getty Images)
LES restrictions de papier, supprimant nos chroniques, nous font vous parler de la disparition de Victor Serge avec un certain retard.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis et lecteurs la tenue d’une nouvelle rencontre autour du très beau livre collectif, Boubaker Adjali l’Africain : un regard tricontinental, qui vient de paraître aux éditions Otium.
Discours de David Roussetà la Rencontre internationale de la salle Pleyel, paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p. 1-2
Conférence de presse de David Rousset et Rémy Roure au siège de la ‘Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes’, le 16 novembre 1949, à Paris. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)
TOUT récemment, l’opinion publique a été singulièrement impressionnée par l’affaire Lyssenko. Voilà un symptôme curieux de notre situation. Qu’il ait fallu cette affaire pour qu’une large zone de l’opinion s’émeuve, voilà qui montre combien la politique est dévalorisée, combien le sens de nos responsabilités s’est perdu, comment le sens de notre action s’est obscurci. Car, enfin, la politique telle que nous l’entendions dans le passé et telle que nous l’entendons quant à nous aujourd’hui encore est l’expression la plus achevée dans le domaine de la pensée et de l’action de tout ce pour quoi nous voulons, vivre, de tout ce qui fait la justification véritable de notre existence.
L’ŒUVRE de Benjamin Péret, auteur surréaliste, militant révolutionnaire, est assez connue — et appréciée — de tous ceux qui suivent l’actualité sociale de ces quelque vingt dernières années, pour qu’il soit inutile de présenter notre ami à nos lecteurs.
Nous sommes heureux de pouvoir, aujourd’hui, insérer un texte de B. Péret sur « l’indépendance des pays arriérés » écrit spécialement à l’intention du « Libertaire ».
Entretien avec André Breton réalisé par Francis Dumont paru dans Combat, le 16 mai 1950, p. 1 et 4
French writer and poet André Breton (1896 – 1966, right) at a press conference, circa 1955. (Photo by Keystone/Hulton Archive/Getty Images)
Cette enquête tend à définir la position des intellectuels français devant le communisme : mais, pour reprendre une expression de Richard Crossman, « il ne s’agit pas de grossir le flot de la propagande anticommuniste, ni de frayer la voie à des plaidoyers pro domo« .
NOUS : Qu’attendiez-vous exactement du communisme vers 1925, époque à laquelle vous vous en êtes rapproché — à l’occasion de la guerre du Maroc ?
CHACUN de nous garde présent à l’esprit des noms d’individus qui, un beau jour, se sont éveillés « pensant » le contraire de ce qu’ils proclamaient la veille en se mettant au lit. Un tel comportement entraîne à juste titre le mépris des trahis et la suspicion provisoire des bénéficiaires de la trahison, si bénéfice il y a, obligeant le traître à multiplier le nombre et la qualité des preuves de sa brusque évolution. S’il a trahi une fois, pourquoi ne recommencerait-il pas ?
Conférence de presse de David Rousset et Rémy Roure au siège de la ‘Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes’, le 16 novembre 1949, à Paris. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)
IL est banal de dire, mais toutefois pas tout à fait, que nous vivons non une crise de conjoncture, ni même de régime, mais un de ces phénomènes singuliers qui se produisent assez rarement, semble-t-il, où toute une société s’abandonne, où toutes les classes se défont de telle sorte que, la perspective rétablie, c’est une structure historique séculaire qui se trouve détruite, un type d’humanité qui se présente définitivement refermé sur lui-même.
TANDIS que la nationalisation des moyens de production s’accommode fort bien, comme on peut le voir dans le monde entier, de l’État existant — capitaliste partout — la socialisation implique sa destruction préalable et totale. Celle-ci peut uniquement être l’œuvre de la couche sociale qui, de nos jours, subit le plus lourdement l’oppression politique et économique. Cette dernière se manifeste par une répartition monstrueusement inégale des biens de consommation et de la culture.
Once a prisoner of war himself, David Rousset, famed French writer, is shown as he staged the first rally of his one-man crusade for the investigation of Soviet prison and work camps, where thousands of prisoners of war are still held, many at forced labor. (Photo by Bettmann/Corbis/Getty Images)
AU cœur de la crise morale et intellectuelle de la gauche se trouve cette question à deux faces : pourquoi la révolution socialiste n’a-t-elle pas eu lieu ? Demeure-t-elle possible ?
Albert Einstein (right), and Mme. Irene Joliot-Curie, French nuclear physicist, sit in the sun on the back porch of Einstein’s home in Princeton, New Jersey, USA. Mme. Joliot-Curie, who was detained overnight at Ellis Island when she arrived in the U.S. March 18th, was Prof. Einstein’s guest.
Dans ce grand débat d’idées que suscite l’irrésistible mouvement des peuples contre la guerre, notre ami David Rousset exprime le point de vue de ceux qui voudraient déjà que l’on apporte à la formule du « gouvernement mondial » un contenu économique et social susceptible d’en hâter la réalisation.
LORSQUE Garry Davis déclare : « Ancien pilote de bombardement, je ne tiens pas à le redevenir », nous sommes tous, j’imagine, d’accord avec lui. Mais ensuite ? Car, enfin, s’il suffisait pour que la paix soit de crier son nom dans la sincérité du cœur, le problème serait depuis fort longtemps résolu. Nous pouvons répéter à satiété et avec toutes les transes exigées : « Paix sur la terre et aux hommes de bonne volonté », il n’arrivera rien d’autre que ce qui est. Nous n’aurons pas fait le moindre pas en avant, mais par contre perdu beaucoup de temps précieux.
Discours d’André Bretonà la Rencontre internationale de la salle Pleyel et paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p.3
Conférence de André Breton et Garry Davis à Paris, circa 1950. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)
EN invitant à s’exprimer ici tel d’entre nous dont je suis, nos amis du R.D.R. montrent assez que la conception démocratique dont ils se réclament n’est pas un vain mot de leur part. Ils jugent tolérable, voire souhaitable, que la présente réunion manifeste entre ceux qui y participent d’appréciables divergences de points de vue. Ils font voir par-delà ces divergences à la sincérité et à la solidité de nos objectifs communs, éprouvés dans la personne de chacun d’entre nous. Ils font passer cet accord essentiel par-dessus tout ce qui pourrait tendre à nous séparer sur le plan de la méthode, cette méthode elle-même fonction de nos formations d’esprit et de nos déterminations individuelles très dissemblables.
FRANCE – MARCH 20: Trotskist Militant David Rousset At An Existentialist Meeting In Parism On March 20Th, 1948. (Photo by Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)
LES hommes de ce siècle sont rassasiés de mensonge. L’Histoire, dans son ironie profonde, révèle le mensonge comme la moralité supérieure de la société. Il accompagne les hommes depuis les origines avec obstination. Il exprime l’intensité des contraintes, la violence des contradictions. Il est tout à la fois le compromis sur le dos de l’esclave, mais aussi en un certain sens la duperie du maître. Il résout et il accommode. Il peut être l’arme la plus cynique et la plus brutale dans la violence déchaînée. Il est l’aveu permanent de l’exploitation de l’homme, de sa meurtrissure sociale. Son triomphe aujourd’hui dépasse de loin toutes les apothéoses du passé. Il nous enseigne ainsi notre place dans l’Histoire.
Discours d’Albert Camus à la Rencontre internationale de la salle Pleyel et paru dans La Gauche, n° 10, 20 décembre 1948, p. 3
FRANCE – DECEMBER 01: Paris. Salle Pleyel. Albert Camus Speaking. December 1948. (Photo by Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)
NOUS sommes dans un temps où les hommes, poussés par de médiocres et féroces idéologies, s’habituent à avoir honte de tout. Honte d’eux-mêmes, honte d’être heureux, d’aimer ou de créer. Un temps où Racine rougirait de Bérénice et où Rembrandt, pour se faire pardonner d’avoir peint « La Ronde de nuit », courrait s’inscrire à la permanence du coin. Les écrivains et les artistes d’aujourd’hui ont ainsi la conscience souffreteuse et il est de mode parmi nous de faire excuser notre métier. A la vérité, on met quelque zèle à nous y aider. De tous les coins de notre société politique un grand cri s’élève à notre adresse et qui nous enjoint de nous justifier. Il faut nous justifier d’être inutiles en même temps que de servir, par notre inutilité même, de vilaines causes. Et quand nous répondons qu’il est bien difficile de se laver d’accusations aussi contradictoires, on nous dit qu’il n’est pas possible de se justifier aux yeux de tous, mais que nous pouvons obtenir le généreux pardon de quelques-uns, en prenant leur parti, qui est le seul vrai d’ailleurs si on les en croit. Si ce genre d’argument fait long feu, on dit encore à l’artiste : « Voyez la misère du monde. Que faites-vous pour elle ? » A ce chantage cynique, l’artiste pourrait répondre : « La misère du monde ? Je n’y ajoute pas. Qui parmi vous peut en dire autant ? » Mais il n’en reste pas moins vrai qu’aucun d’entre nous, s’il a de l’exigence, ne peut rester indifférent à l’appel qui monte d’une humanité désespérée. Il faut donc se sentir aimable, à toute force. Nous voilà traînés au confessionnal laïque, le pire de tous.
Appel paru dans Gavroche, n° 169, 24 décembre 1947, p. 1-2
French philosopher and author Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) during an interview in which he denies ‘founding’ the new philosophy of Existentialism, describing it as the present day current of thought. Original Publication: Picture Post – 4411 – A New Philosophy Or Is It Only A New World? – pub. 1947 (Photo by Charles Hewitt/Getty Images)
NOUS publions aujourd’hui le texte intégral du premier appel adressé par un groupe d’intellectuels français à la conscience internationale. Soucieux de préciser publiquement leurs positions intellectuelles, morales et politiques devant les événements et décidés à résister à la poussée de forces qui, dans l’univers et à l’intérieur de chaque nation, aveuglent aujourd’hui les esprits, préparant ainsi des catastrophes que certains considèrent comme fatales, quelques hommes de gauche, qui croient encore à la liberté et à la responsabilité, ont choisi de préciser leurs accords sur le plan de la vie internationale, comme sur celui de la vie nationale.
Article d’Yves Dechézellesparu dans La Gauche, n° 12, 11 février 1949, p. 1-3
Le témoignage de Louis Martin-Chauffier lors du procès de Viktor Kravchenko contre le journal ‘Les Lettres françaises’, le 25 février 1949, à Paris. (Photo by Keystone-France/Gamma-Rapho via Getty Images)
Ce n’est pas assez du fracas des armes et des invectives homériques que les diplomates se lancent à la figure en pleine tribune de l’O. N. U., pour exprimer les conflits entre les grands. La justice s’est aussi mise de la partie.
Joseph stalin, around 1939, in his office in the kremlin, moscow, ussr. (Photo by: Sovfoto/Universal Images Group via Getty Images)
Ce n’est pas un mince sujet d’étonnement pour l’observateur que de constater la singulière vitalité dont fait preuve dans les pays les plus divers le bolchevisme dégénéré, sous ses aspects sans cesse mouvants, et les succès indéniables qu’il a remportés ici et là, en dépit et peut-être à cause de son caractère essentiellement fugace, changeant, de son habileté à varier, de son opportunisme et de son adaptivité. Ces succès ne s’expliquent évidemment pas par une adhésion consciente de masses sans cesse accrues, à un principe révolutionnaire. En premier lieu, le communisme officiel de notre époque ne cèle même plus qu’il ne se donne pas pour but la révolution ; en second lieu, c’est précisément cet abandon de ses buts initiaux qui lui permet de séduire des couches beaucoup plus larges qu’a l’époque où il faisait profession d’intransigeance.
Article de Robert Petitgand alias Robert Delny paru dans Masses, n° 1, janvier 1939, p. 12-18
German troops parade through the state stadium in Prague, during the German occupation of Czechoslovakia, on the occasion of Adolf Hitler’s 50th birthday, 20th April 1939. The troops were reviewed by General Viktor von Schwedler, Commander of the 4th Army Corps. (Photo by Ceteka/Pix/Michael Ochs Archives/Getty Images)
Une révolution profonde est toujours précédée d’un vaste mouvement d’idées qui bouleverse de fond en comble les conceptions morales de l’ancienne société. A l’image idéale que l’on se faisait de l’homme se substitue une éthique nouvelle née des rapports originaux que la vie a introduits dans le corps social et dont la pression irrésistible fait éclater l’enveloppe des institutions arriérées. La brusque rupture d’équilibre qui fait chanceler l’ancienne organisation, se traduit d’abord par la démoralisation du vieil homme, incapable de contenir plus longtemps l’afflux des tendances juvéniles, endiguées jusque là par une contrainte aussi avisée que tyrannique. La philosophie des Lumières au 18e siècle ne se borna pas à dénoncer les privilèges ; elle entreprit également la critique des vertus séculaires de l’homme bien né, railla l’honneur aristocratique, réduisit la gloire féodale à la mesure d’un simple et parfois chimérique appétit. Le Jacobinisme n’aurait jamais pu accomplir sa tâche historique, si préalablement la doctrine philosophique n’avait précipité de leur piédestal, pour les faire rentrer dans la commune nature, les personnes héroïques des potentats féodaux.
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