Article de Jean Rous paru dans La Pensée socialiste, n° 19, 1er trimestre 1948, p. 1-2
Dans la crise actuelle du Socialisme et de la démocratie, ce qui est, peut-être, plus grave que les échecs et les défaites, c’est le doute et le désespoir qui commencent à s’emparer des meilleurs combattants.
Déclaration de Léon Boutbien et Jean Rous parue dans La Pensée socialiste, n° 18, novembre 1947, p. 1-3
A l’occasion du Conseil National du 14 décembre, Léon Boutbien et Jean Rous ont adressé cette déclaration aux militants socialistes :
La gravité des événements impose comme devoir à chaque socialiste d’étudier la situation, en toute objectivité, sans se laisser entraîner par des passions partisanes ou de tendances, sans se laisser dominer par des considérations sentimentales ou de caractère personnel, afin de dégager la meilleure ligne de conduite pour le Parti Socialiste. L’heure n’est pas de rechercher des formules, de prendre des attitudes spectaculaires, mais d’avoir le courage de définir et d’imposer une politique nette.
Article de Jean Cotereau paru dans La Pensée socialiste, n° 6, juillet 1946, p. 20-23
LE but du socialisme est la libération de l’homme. Libération économique mais aussi intellectuelle. Ce but s’accommode de tout idéal philosophique et religieux. A deux conditions toutefois : d’abord, que cet idéal ne mette pas en cause l’opportunité de cette libération, en prétendant par exemple qu’elle est contraire aux desseins d’une Providence, que la destinée de l’homme est de gagner le bonheur du ciel par sa résignation devant ses épreuves terrestres, ensuite que cet idéal ne jette pas l’anathème comme entaché de perversité à un quelconque autre idéal.
Articles d’Yves Dechézelles et de Lucien Weitz parus dans La Pensée socialiste, n° 9, octobre 1946, p.19-22
Les réformes ne peuvent plus attendre
Les résultats du référendum en Algérie démontrent qu’une évolution extrêmement rapide s’y est produite depuis le 5 mai dernier.
Alors qu’à cette date, 175.000 suffrages s’étaient prononcés en faveur du premier projet de constitution, cette fois-ci, on ne retrouve plus que 118.000 « oui ». Par contre, les « non », au nombre de 189.000, ont augmenté de plusieurs milliers.
Article de Jean Rous paru dans Socialisme et Liberté, n° 1, février 1948, p. 22
LOIN de se constituer comme une union fédérative des peuples sur la base démocratique, à la manière du Commonwealth britannique, l’Union française devient chaque jour davantage la pure et simple couverture du colonialisme.
Article de Jean Rous paru dans La Pensée socialiste, n° 13, mars-avril 1947, p. 17-18
A l’occasion d’un bref séjour sur la magnifique terre d’Algérie, nous n’avons pu que recueillir des impressions et des suggestions générales, et nous n’allons point, après tant d’autres, nous donner le ridicule de résoudre en quelques lignes un problème infiniment complexe, aux lieu et place des intéressés eux-mêmes, c’est-à-dire de 1 million d’Européens, de 7 millions de musulmans et de leurs meilleurs représentants.
A la Conférence de San Francisco, en 1945, un mot singulier a été prononcé au cours des débats : « le colonialisme est mort ! »
Depuis, huit ans se sont écoules. Imaginons ce qui se passerait aujourd’hui, huit ans après, si à San Francisco ou ailleurs se tenait une conférence analogue. Nul doute que des voix désillusionnées s’élèveraient et clameraient : « le colonialisme est loin d’être mort… »
Le Cercle décide tout d’abord d’adresser à la presse une protestation contre l’arrestation de Masmoudi et son transfert en Tunisie. En voici le texte :
Sur mandat d’un tribunal militaire de Tunis, Masmoudi, président de la Fédération du Néo-Destour en France, est arrêté et aussitôt extradé. Aucun motif valable n’est donné pour justifier cette procédure expéditive.
La presse française fait toujours le plus grand silence sur ce que pensent et disent les leaders des mouvements nationaux d’Afrique du Nord. Cependant, pour savoir ce que ceux-ci pensent et ce qu’ils veulent, le mieux est de les écouter. C’est pourquoi nous avons publié il y a quelques mois une lettre du Tunisien Bourguiba à son fils et que nous reproduisons ci-dessous la lettre ouverte adressée par Ferhat Abbas, le principal représentant de l’un des deux mouvements nationaux algériens, à Martinaud-Deplat, lors du récent voyage de ce dernier en Algérie.
Notes de lecture sur « EROS et CIVILISATION », de H. Marcuse et « EROS et THANATOS », de O. Brown
Un biographe de Freud raconte que celui-ci, débarquant aux États-Unis, aurait déclaré à un ami qui l’accompagnait : « Nous leur apportons le poison ». Paroles qui semblent prophétiques quand on découvre les ravages que fait aujourd’hui la psychanalyse dans ce pays. Elle a échappe aux psychiatres, à qui elle était primitivement destinée, pour tomber entre les mains de tous, y compris de gens dont on peut se demander en quoi cet instrument peut leur être utile, tels les sociologues marxistes ou les théologiens protestants, — ce qui nous a valu les deux ouvrages traduits en français qui sont l’objet de la présente critique.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis, camarades et lecteurs la parution, dans le 59ème numéro de ContreTemps. Revue de critique communiste (octobre 2023), de la troisième et dernière partie de mon article intitulé : « Notes sur la « crise » de la gauche ».
Article de Joseph Gabel paru dans Arguments, n° 2, février-mars 1957, p. 1-5
La publication en 1929 d’Idéologie et Utopie a été un événement de grande importance dans la vie intellectuelle « progressiste » de la République de Weimar et sa sphère d’influence à l’étranger (1). Sa parution récente en français (2) ne semble pas avoir provoqué beaucoup de remous jusqu’à présent. Et pourtant, en relisant ce livre, on n’a pas l’impression qu’il ait vieilli. Certes Mannheim ne pouvait préfigurer ni le nazisme ni le développement récent de la superstructure communiste qui confirme d’ailleurs l’exactitude de ses prévisions. Le problème de la pensée idéologique est aujourd’hui plus actuel que jamais.
A group of Soviet advisors in Egypt – 1972 (Source)
La chaîne des « luttes de libération nationale » est longue : des charniers du VIET-NAM aux maquis palestiniens, la guerre continue ses ravages, écrasant sous son feu infernal les soldats dressés les uns contre les autres par leurs bourgeoisies respectives qui sont parvenues à les entraîner dans le bourbier de la guerre impérialiste.
Pour « héroïque » qu’elle soit, comme la qualifie la presse d’une prétendue « extrême gauche », cette lutte ne participe en rien à la Révolution Mondiale, ainsi que nous allons le voir dans cet article. Il ne se passe guère de jours sans que l’ « opinion publique » ne reçoive, à jets continus, les slogans anti-impérialistes dont, extrême-gauche et gauche sont si prolixes, mais peu nombreuses sont les voix pour s’élever contre ce carnage, non pas en pacifistes, mais en révolutionnaires internationalistes.
Une soirée est organisée pour fêter la sortie du troisième numéro de la revue Brasero, demain, samedi 11 novembre, à partir de 19h, à la librairie Quilombo : 23, rue Voltaire 75011 Paris.
Déclaration de l’Organisation socialiste israélienne (Matzpen), datée du 22 mars 1968, parue dans Partisans, n° 43, juillet-septembre 1968, p. 194-196 puis dans Quatrième Internationale, 27e année, n° 36, mars 1969, p. 32-35
Picture from Eran Torbiner’s film about Matzpen (source)
La guerre de juin 67 a révélé et exprimé de façon succincte les contradictions et les processus internes de développement des pays du Moyen-Orient.
Ce numéro de Partisans ne serait à mon avis très utile si quelqu’un ne semait pas un peu d’inquiétude entre tant de certitudes affirmées. C’est cette tâche un peu ingrate qui m’incombe ici. Nos lecteurs sont des militants de la gauche révolutionnaire, et c’est leur orthodoxie que je mets ici en question. Je ne doute pas en effet qu’ils ne soient très largement prévenus contre la propagande israélienne et sioniste qui, en France, rencontre un écho qu’il est devenu inutile de décrire. Une chose est de combattre une idéologie et une propagande néfastes, une autre est de prendre conscience d’un certain nombre de réalités gênantes.
Nous avons estimé intéressant de publier un extrait d’un débat qui s’est tenu en juillet 1967 à Berlin et auquel participaient notamment, outre Marcuse, Rudi Dutschke et Wolfgang Lefèvre. Au cours de ce débat, le philosophe américain a été amené à préciser sa position sur le problème du Moyen-Orient.
Article d’Albert Memmi paru dans Eléments, revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, n° 1, décembre 1968, p. 3-4
Albert Memmi, droits réservés, collection du MAHJ (source)
PARMI les carences et les erreurs de la gauche européenne, pendant ces dernières décades, l’Histoire retiendra probablement sa méconnaissance du renouveau, ou de la solidité, du fait national ou ethnique, principalement chez les peuples opprimés.
Le Comité International de la Gauche pour la Paix au Moyen-Orient a organisé à Paris au Théâtre Hébertot un grand débat public sous la présidence du peintre Marek HALTER, entre Uri AVNERY, député israélien, auteur de l’ouvrage « Israël sans sionisme » qui vient de paraitre en traduction française (1) et Lotfallah SOLIMAN, journaliste et écrivain égyptien, sur le thème : « Les voies de la Paix au Moyen-Orient ».
Article de Pierre Vidal-Naquet paru dans Éléments, revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, nos 5-6, 2e et 3e trimestres 1970, p. 49-50
Pierre VIDAL-NAQUET : Né à Paris en 1930, agrégé d’Histoire, a enseigné au lycée d’Orléans et aux facultés des Lettres de Caen, de Lille et de Lyon. Actuellement, enseigne l’histoire grecque à l’École pratique des Hautes-Études. Pendant la guerre d’Algérie, a milité au comité Maurice Audin et à Vérité-Liberté. A publié, outre des travaux d’histoire grecque ancienne, l’Affaire Audin, la Raison d’État, Torture, Cancer of Democracy. Collaborateur d’ « Esprit » (depuis 1951), du « Nouvel Observateur », de « Partisans », de « Raison Présente », du « Monde ».
Article signé Armin paru dans le Bulletin communiste, n° 45, 8 novembre 1923, p. 813-814
Communist-era memorial of the September Uprising in Pazardzhik (Source)
Tous les militants conscients, tous les ouvriers révolutionnaires sérieux doivent lire attentivement les matériaux que nous publierons sur la défaite communiste en Bulgarie. Quand un mouvement ouvrier est vaincu, c’est un devoir pour les communistes de tous les pays d’étudier les circonstances et les conditions de la défaite pour en tirer les enseignements dont profiteront les partis révolutionnaires, pour éviter le renouvellement des fautes commises, pour y puiser des raisons de continuer la lutte et des moyens de vaincre.
L’insurrection de septembre des ouvriers et des paysans bulgares a été vaincue. De cruelles représailles ont commencé. Déjà elles ont coûté, à la classe ouvrière et à la paysannerie bulgares, des milliers de vies de combattants. Et elles continuent. On ne peut comprendre la signification de ces événements qu’en les rattachant à ceux de juin dernier.
Si l’on veut étudier les possibilités de développement de la « République des Soviets », proclamée à Munich dans les premiers jours d’avril, la question qui surgira en premier lieu sera : « Comment sont organisés ces Soviets en Bavière » ? Car il est évident que la proclamation d’un gouvernement de Soviets dans la capitale d’un pays n’a de sens que s’il y a dans toutes les localités des organes qui peuvent assumer un tel changement de pouvoir dans tout le pays et qui le veulent. On ne peut éliminer une Diète, les députés, les districts électoraux et les électeurs que lorsqu’on peut mettre à leur place un Congrès d’hommes capables et valides et tout l’appareil dirigeant de conseillers des districts, de localités et d’agents actifs du pouvoir. Or, que voyons-nous en Bavière ?
Cinq mois se sont à peine écoulés depuis l’écroulement de la monarchie austro hongroise, et, sous l’influence de la situation économique du pays, étant donnée l’incapacité totale des classes dirigeantes à mener dorénavant les affaires de l’état, le prolétariat hongrois a dû jeter à bas l’appareil de gouvernement bourgeois et établir à la place d’une démocratie bourgeoise la deuxième république des Soviets de l’Europe. Il fallait s’attendre à ce que l’irrésistible développement de la révolution en Hongrie amenât des réformes prolétariennes et cependant l’étonnement de tous a été grand devant ce fait que la bourgeoisie a reconnu son incapacité à diriger davantage l’organisme social et l’état, si bien que la dictature du prolétariat a été atteinte en Hongrie presque avec l’approbation de la bourgeoisie, sans effusion de sang. Et la question se pose : quelles sont les causes de cette transformation presque pacifique ? Et ensuite, peut-on craindre pour l’avenir une contre-révolution ?
Heltai’s sailors, supporters of the Hungarian revolution, 1918-1919 (source)
Aux prolétaires de tous les pays.
Camarades !
Nous vous adressons cet appel de Hongrie, du pays classique de l’oppression et de l’esclavage ; du pays dans lequel le régime féodal a pu manifester le plus librement sa nature spoliatrice ; du pays où la réaction a sévi à découvert et où des millions de travailleurs ont été privés de tous les droits, où les prisons, les violences de la police et de l’armée ont été la seule réponse à toutes leurs revendications ; du pays où quelques milliers de familles privilégiées détenaient tous les droits, tout le pouvoir, tandis que l’immense majorité de la population n’était qu’un troupeau de bêtes de somme, ou qu’une méprisable canaille.
Et maintenant l’antisémitisme. La propagande éclate mais elle avait commencé bien avant le procès de Prague. Mais pourquoi et comment est-ce possible vont se demander ceux qui n’ont pas encore su mesurer le cynisme stalinien – le « réalisme », disent les thuriféraires (et on a vu, sitôt après le procès, des staliniens honteux se précipiter à l’aide de Staline, démontrant doctoralement que « antisionisme » n’est pas antisémitisme).
La revue Esprit vient de consacrer tout un numéro à la « gauche américaine ». La vieille phraséologie politique a repris le pas depuis quelques années sur les désignations courantes suivant les classes sociales. On est de gauche et non plus bourgeois, petit-bourgeois ou ouvrier. Là aussi il est franchement mal porté d’être ouvrier. Que ce soit la conséquence d’un affaissement de l’esprit prolétarien, cela ne fait pas de doute. Mais c’est aussi le résultat d’une invasion du mouvement par les intellectuels et par toutes les couches de la petite-bourgeoisie, fonctionnaires en tête. Cet affaissement de l’esprit prolétarien, dans quelle mesure provient-il de l’étatisme russe et de l’étatisme tout court qui tend à submerger le monde, cela mériterait d’être examiné plus profondément. Contentons-nous aujourd’hui de le constater.
Article signé Henry-Leconte paru dans Masses, n° 7, 20 juin 1933, p. 6-7
Les orgues des cathédrales font plus que de chanter la gloire de Dieu ; elles exhalent aussi l’inquiétude de voir les masses échapper à l’envoûtement de leurs symphonies surnaturelles.
C’est un livre court et qui va loin. Aux antipodes, d’abord, du lieu où se situait L’Étranger. A l’extrême pointe d’une hypothèse à partir de laquelle Camus distribue son œuvre.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis, camarades et lecteurs la parution, dans le 58e numéro de ContreTemps. Revue de critique communiste (juillet 2023), de la deuxième partie de mon article intitulé : « Notes sur la « crise » de la gauche ».
La publication en Amérique du livre de Djilas, paru en France sous le titre : « La nouvelle classe dirigeante », a valu à l’auteur d’être emprisonné chez Tito. André Prudhommeaux est venu le 20 avril nous présenter ce livre, dont il a établi la version française, et ses propres réflexions.
Article signé Un Russe hérétique paru dans La Révolution prolétarienne, 16e année, n° 4(305),juillet 1947, p. 1-4
Il s’agit de « J’ai choisi la liberté », de V.-A. Kravchenko. C’est simplement un témoignage sur la Russie actuelle et aussi sur les années qui ont amené cette Russie à devenir ce qu’elle est. Il ne faut pas se laisser arrêter par la lourdeur, les gaucheries, les redites, pas plus que par les maladresses voulues d’une traduction intentionnellement trop fidèle (et qui aussi, parfois, méconnaît, il faut bien l’avouer, quelques termes français de l’histoire des luttes ouvrières). Mais celui qui a un peu d’âme ne remarquera pas ces bavures en présence des angoisses que soulève la déposition de Kravchenko et qui est essentielle en ceci : aujourd’hui, sur le sixième du globe terrestre, dans l’Empire russe restauré, le travail forcé, le bagne dans son sens le plus direct est appliqué à des dizaines de millions d’hommes et de femmes et à des millions d’enfants.
Le procès de Prague s’est déroulé au milieu des « aveux » et a fini par le gibet, selon un scénario désormais connu et si bien réglé qu’il n’y a nulle place pour la surprise. En le montant à Prague, Staline avait voulu signifier qu’aucune des « démocraties populaires » ne peut prétendre se soustraire à la stalinisation intégrale. Mais la mise au pas à laquelle elles sont soumises est plus impitoyable que celle imaginée par Hitler pour cette raison essentielle que la métropole est, cette fois, plus arriérée que certaines de ses nouvelles colonies, qu’elle doit les exploiter selon ses propres besoins et ne peut admettre un régime d’exception.
Article de Benno Sternberg dit Hugo Bell paru dans Socialisme ou Barbarie,Volume III (6e année), janvier-mars 1954, p. 10-12
There were chaotic scenes in Berlin on June 17 as thousands took to the streets – Image: AP/picture alliance (Source)
La période qui a suivi la révolte du 17 juin peut être divisée en deux étapes : la première occupe 3 à 4 semaines ; la seconde dure encore. La première de ces étapes est marquée par une tentative de libéralisation du régime. Un ouvrier put déclarer dans une assemblée d’usine : « Je suis fier du 17 juin » et sa déclaration fut reproduite par la presse du parti (1). Parallèlement un tournant économique s’amorce. Rappelons ici : la baisse des normes, la révision du plan en faveur de l’industrie légère, l’amélioration immédiate du ravitaillement. Cette première étape prit fin au cours de la seconde décade de juillet avec l’arrestation de Fechner et le limogeage de Herrnstadt et de Zaisser, promoteurs de la libéralisation.
Les journées de juin 1953 à Berlin-Est marquent la première preuve matérielle d’un renouveau possible de l’internationalisme ouvrier, faisant éclater les cadres de mouvements traditionnels et dépassés. Notre Cercle se devait de marquer cette date et d’envisager les perspectives d’avenir.
Article de Henri Johansen alias Ernest Salter paru dans La Révolution prolétarienne, n° 76 (377), octobre 1953, p. 16-18
The rebellion was one of the few mass pro-democracy uprisings in German history – Image: picture-alliance/dpa (Source)
Le 16 juin, Berlin et le monde furent bouleversés par le cri des travailleurs de Berlin-Est : « Grève générale » ! Depuis plus de deux décades ce cri n’avait plus retenti à travers l’Allemagne. L’action révolutionnaire semblait pour toujours appartenir au domaine de l’histoire. La barbarie fasciste avait démoralisé la classe ouvrière allemande, refoulant les principes révolutionnaires sur les rayons les plus secrets des bibliothèques totalitaires où, dénoncée comme littérature de « décomposition marxiste », elle semblait destinée à tomber en poussière.
Protesters were helpless against the forces confronting them – Image: picture-alliance/AP (Source)
Les grèves et les manifestations par lesquelles les ouvriers de Tchécoslovaquie ripostèrent à la « réforme monétaire » du 30 mai furent rapidement mises au second plan par le soulèvement du prolétariat de l’Allemagne de l’Est, survenu quelques jours après. Ce n’est certainement pas l’ouvrier de Pilsen, d’Ostrava ou de Kladno, qui éprouvera le regret de la primauté qu’il dut si vite céder à ses camarades de Berlin-Est ou de Magdebourg : le cri prodigieux « Nous sommes des ouvriers, nous ne voulons pas être des esclaves » retentit dans les rues de la capitale allemande au moment où l’ouvrier tchèque commençait à se rendre compte, au lendemain de sa révolte, que celle-ci n’avait pas eu d’écho chez les travailleurs des autres pays, qu’il avait eu tort de s’attendre à des manifestations de solidarité. Le soulèvement des travailleurs dans l’Allemagne occupée vint rompre cette solitude pénible.
Soviet tanks shot at protesters in Potsdam Square – Image: picture-alliance/akg images (Source)
L’impensable s’est produit à Berlin-Est et en Allemagne Orientale : la classe ouvrière d’un pays totalitaire où sont stationnées 30 divisions russes, où le parti communiste dispose de tous les leviers de commande, s’est révoltée contre une dictature implacable, a quitté les usines et les chantiers, a envahi les rues et les places publiques, pour crier sa colère et pour réclamer… Pour réclamer des salaires plus élevés ? Non pas : pour exiger la liberté. Réalise-t-on entièrement la signification de cet événement ? Cet exploit a été accompli par une classe ouvrière qui a subi 12 années de régime hitlérien et de guerre et huit années de régime « populaire » et d’occupation soviétique.
17. Juni 1953
Aufstand im Sowjet-Sektor von Berlin
Nach dem Tode Stalins griff der Wille zur Selbstbestimmung über das staatliche und persönliche Leben und über die Freiheit der Persönlichkeit auf die Menschen des gesamten sowjetzonalen Sektors Deutschlands über. Die Bevölkerung im Sowjetsektor Berlins glaubte die Stunde der Freiheit sei für sie gekommen. Man ging auf die Straßen und proklamierte das Recht auf Freiheit und Selbstbestimmung. Der Aufstand wurde durch sowjetische Truppen zusammengeschlagen
Von der sowjetischen Besatzungsmacht eingesetzte Panzer zur Niederschlagung der Unruhen in der Schützenstrasse.
Le parti socialiste unifié de l’Allemagne orientale n’est plus. Les trois mots de son nom signifiaient trois mensonges : il n’était pas un parti, mais une agence de répression et d’exploitation au service d’un occupant impérialiste et totalitaire ; il usait du mot socialiste comme un assassin qui se servirait de la carte d’identité de sa victime ; il était unifié comme le loup est uni à l’agneau qu’il a dévoré. Il prétendait incarner et en même temps diriger le prolétariat. Quelques heures après le soulèvement des ouvriers ce parti s’est réfugié, tremblant, derrière les tanks qui allaient écraser l’insurrection ouvrière. Le rideau de brouillard est déchiré irréparablement. La contre-révolution totalitaire qui se déguise sous les drapeaux qu’elle a volés à la révolution et se réclame de l’unanimité prolétarienne, se trouve enfin démasquée aux yeux de tout un peuple qu’elle peut tuer, mais qu’elle ne pourra plus jamais tromper. Les journées de juin 1953 sont le commencement de la fin de la plus grande imposture non-religieuse que le monde ait jamais connue.
C’est depuis une centaine d’années environ qu’on observe la tendance socialiste dans l’histoire ou, pour employer la phraséologie hégélienne, que le mouvement autonome de l’esprit pur « se socialise ». Il faut admettre que le mot « socialisme », en lui même, ne dit rien, ou plutôt dit trop. Derrière ce mot agissaient les hitlériens ; le « socialisme » est le principe déclaré de plusieurs gouvernements sociaux-démocrates et, horribile dictu, c’est au nom du « socialisme » qu’on exerce des dictatures sanguinaires, comme celle de Kadar en Hongrie.
Ruszkik haza! « Russes, rentrez chez vous ! », slogan à Budapest. (Source)
Quand le pouvoir totalitaire éclate, l’appareil d’État s’effondre d’un coup. L’illusion de la toute-puissance politique se dissipe et les forces populaires réelles se manifestent au grand jour. Le régime que l’on disait soutenu et plébiscité à chaque élection par la quasi unanimité des citoyens se retrouve sans base aucune. Le parti unique, censé représenter l’ensemble des populations laborieuses, s’écroule en quelques heures. La police « du peuple », perdant toute autorité, est immédiatement pourchassée, traquée et massacrée par ceux qu’elle prétendait défendre.
Article de Cyrille Rousseau de Beauplan alias Philippe Guillaume paru dans Socialisme ou Barbarie, n° 20, décembre 1956-février 1957, Volume IV (8e année), p. 117-123.
Budapest VII. Rákóczi út – Akácfa utca sarok. Égő szovjet BTR-152 páncélozott csapatszállító jármű. (Source)
UNE RÉVOLTE DE TOUT UN PEUPLE, PROLÉTARIAT ET JEUNES EN TÊTE
Tout le monde sait maintenant comment cela a débuté. A la suite de l’avènement au pouvoir de Gomulka en Pologne, un grand espoir s’est levé sur la Hongrie. Tout le monde espère le retour de Nagy, le Gomulka hongrois, parce que, comme en Pologne, cela signifie un certain allègement de la contrainte économique et une petite indépendance vis-à-vis des Russes, moins d’ingérence ouverte de ceux-ci et moins de prélèvements sans contrepartie des richesses produites par le pays. Ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà énorme en comparaison d’un passé exécré, celui de Rakosi. Ces timides revendications viennent des écrivains communistes (cercle Petöfi) et des étudiants communistes. Ces écrivains ne sont pas des écrivains « bourgeois », ayant une situation indépendante, comme Mauriac ou Sartre en France. Ce sont tous de véritables fonctionnaires du parti communiste, des servants de son idéologie, comme le philosophe Lukacs et qui, tous, ont chanté les louanges des Rakosi et de son régime, même si ils l’ont fait parfois à contrecœur. Depuis la déstalinisation cependant, et plus particulièrement depuis les événements de Pologne, ils ont pris quelques libertés, se sont exprimés ouvertement, ont tenu des réunions. Les étudiants ne sont pas des étudiants bourgeois ; ce sont des fils de membres du parti, de dirigeants syndicaux, de fonctionnaires de l’État communiste et même d’ouvriers et de paysans, à qui le régime — qui a un énorme besoin de « cadres » — a donné, en échange de leur soumission, leur chance sur une échelle beaucoup plus grande que dans les pays capitalistes. Une manifestation est décidée pour le 23 octobre, mais peu après que les écrivains et les étudiants aient formé leur cortèges, toutes les autres couches de la population, dont essentiellement les ouvriers, se sont joints à eux jusqu’à former des cortèges s’élevant à plus de deux cent mille hommes, femmes et enfants.
Je suis heureux d’annoncer à mes amis, camarades et lecteurs la parution, dans le 57e numéro de la revue ContreTemps (avril 2023), de mon article intitulé : « Notes sur la « crise » de la gauche (première partie) »
On peut, on doit même déplorer que l’adjectif intellectuel se soit substantifié pour désigner (mal) un ensemble d’individus qui n’est ni sociologiquement, ni psychologiquement définissable sans ambiguïté.
Article de Sancho paru dans Spartacus, n° 5, avril-mai 1977, p.30
Georges Pompidou Centre, Paris, France. August 1977. (Photo by Staff/Mirrorpix/Getty Images)
Me trouvant récemment attablé chez une très chère amie, animatrice de galerie d’art, au milieu d’une vingtaine d’artistes-peintres, sculpteurs, etc… — dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils montreraient les dents si l’on supposait un instant qu’ils ne sont pas dignes du qualificatif « avant-garde » — et de quelques « amateurs » cultivés, sinon milliardaires du moins aisés, je dus enregistrer avec étonnement, au moment où la conversation roula vers le thème du Centre Beaubourg-Pompidou, que j’étais le seul de mon avis. Pour tout avouer, j’étais le seul à contester radicalement la « chose » qui s’élève lentement au seuil des Halles. Étonnement, ai-je écrit, l’expression n’est pas exacte au fond. Ce qui m’étonna ce soir-là, ce n’est pas tant le fait que les artistes-convives aient défendu Beaubourg, mais qu’ils l’aient fait avec un acharnement qui ne laisse pas place à la méditation vaseuse. J’en entendis de toutes les couleurs, si je puis m’exprimer ainsi, et ceux qui font figures de « gauchistes » n’étaient pas les derniers à trouver de « bons » arguments pour justifier l’opération. On me rétorqua que « Beaubourg, somme toute, c’était pas si mal que ça, des tas de créateurs méconnus allaient enfin trouver une revanche », « que c’était un lieu où plein d’expériences seraient possibles, pour un grand public » et puis que « Beaubourg servirait quand la gauche aurait gagné ». J’avoue, je suis resté coi, jusqu’à la seconde où il me fallut bien enfoncer le couteau dans la plaie, balayer les balivernes, et replacer le parcellaire dans une vision globale.
Le livre de B. Sarel constitue une contribution de premier ordre à la compréhension de l’univers bureaucratique et des luttes de classes qui s’y déroulent actuellement (1). Sobre, précis, documenté, Sarel nous fait pénétrer d’une manière extrêmement concrète dans la réalité quotidienne des rapports antagoniques qui se sont développés en Allemagne orientale entre le prolétariat et la nouvelle classe dirigeante du soi-disant régime socialiste. Sarel ne pose pas des affirmations dogmatiques générales sur les contradictions internes des régimes bureaucratiques, il fait parler les faits et souvent même les personnages, ouvriers ou bureaucrates, qui vivent tous les jours ce déchirement de la société. Peu à peu se reconstitue sous nos yeux l’histoire d’une lutte de classe, et la signification révolutionnaire que développe cette histoire.
Article paru dans Socialisme ou Barbarie, Volume IV (8e année), juillet-septembre 1956, n° 19, p. 116-120
« Nous demandons du pain » : manifestation dans la rue de l’Armée rouge (aujourd’hui rue Saint-Martin). Source
Les ouvriers polonais viennent de répondre à leur manière au XXe Congrès. Tandis que dans le monde entier les dirigeants communistes rusent pour contenir les formidables remous que propage la déstalinisation, à Poznan, métallos et cheminots ont formulé sans qu’on les y convie leur propre critique qui est celle des armes : les ouvriers de l’usine Staline ont débrayé le 28 au matin, tenu un meeting monstre, appelé à leur aide les travailleurs des autres entreprises, et, après avoir défilé en scandant « c’est notre révolution. Du Pain. Démocratie. Liberté. A bas les bonzes » ils ont attaqué la prison et les Bureaux des services de sécurité. Le très libéral Cyrankiewicz peut bien insinuer que les révoltés sont des ouvriers arriérés et le sinistre Courtade les traiter de chouans, l’explosion de Poznan est trop forte pour qu’on puisse en dissimuler le sens : les ouvriers ne s’accommodent pas de la déstalinisation ; il ne leur suffit pas que les dirigeants sacrifient un ou deux de leurs anciens collègues terroristes et qu’ils affichent une soudaine horreur de la dictature stalinienne, ils veulent du pain, la liberté, la démocratie — bref ce qu’ont toujours voulu les ouvriers dans tous les régimes d’exploitation dès qu’ils sont entrés en lutte.
Les événements de Pologne de décembre 1970, ceux de Gdansk et de Lódz en janvier et février de cette année, démontrent que nous nous trouvons en présence d’un mouvement de fond de la classe ouvrière polonaise à l’échelle nationale. Loin d’avoir été brisé dans l’œuf par les fusillades dans les premiers jours, il a pris une ampleur croissante et de ce fait a posé des problèmes extrêmement difficiles en premier lieu aux dirigeants polonais, et a porté en outre la crise du stalinisme international à un niveau plus élevé que jamais.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.