Article de Daniel Guérin paru dans France Observateur, septième année, n° 302, 23 février 1956, p. 13
DEPUIS que Richard Wright a « choisi la liberté », en renonçant (tout comme Charlie Chaplin), à résider aux Etats-Unis, le romancier noir américain est devenu un grand voyageur. Après avoir rapporté un beau livre de sa visite à la Côte de l’Or, voici qu’il nous présente son témoignage sur l’Indonésie et sur la Conférence de Bandoeng (1).
Un nouvel Etat est né : Israël, l’Etat Juif. Comme tous les Etats, il est la création des classes et castes dominantes et possédantes, et, dès le premier jour, il opprime et terrorise les populations laborieuses juives et arabes.
Article de Kateb Yacine paru dans Demain, n° 47, du 1er au 7 novembre 1956, p. 8
Par KATEB YACINE
L’U.R.S.S., grande puissance réaliste, renoncera-t-elle à l’usage de la force contre la volonté d’indépendance du peuple hongrois ? La France est-elle encore une grande puissance ? Usera-t-elle longtemps de la force contre le peuple algérien ?
1) Q. Le peuple algérien est-il concerné par la guerre froide ?
R. – Le peuple algérien n’a absolument aucun intérêt dans le conflit latent qui est en réalité un antagonisme idéologique né des convoitises territoriales et d’expansion économique. Malheureusement, le peuple algérien subit sur son propre sol toutes les conséquences funestes des anciens conflits impérialistes. Il souhaite donc ardemment la fin de tous les conflits, en particulier la suppression du colonialisme qui est la base de toutes les conflagrations internationales. De tempérament pacifique et généreux, le peuple algérien condamne tous les conflits, et en premier lieu, il flétrit et combat celui qui a transformé l’Algérie en terre de souffrance, de misère, de racisme et de spoliation.
Article de Joseph Gabel alias Lucien Martin paru dans La Revue socialiste, n° 24-25-26, janvier-février-mars 1949, p. 187-192
Dans la série de stupidités criminelles qui jalonnent l’histoire de ce temps, le meurtre du Comte Bernadotte mérite indiscutablement une place d’honneur. Crime incompréhensible à prime abord car d’un côté il est trop évident que ce geste aura porté préjudice à la cause du jeune état d’Israël et fourni une arme aux antisémites du monde entier et de l’autre on voit très mal les avantages que pouvaient raisonnablement en attendre ses auteurs. On aimerait pouvoir plaider la folie voire la provocation arabe. Cependant la responsabilité de l’attentat est d’ores et déjà revendiquée par un groupement extrémiste et force est d’admettre qu’une certaine pensée politique – aussi fausse qu’elle soit – a présidé à son exécution. Nous essayerons de donner une analyse objective des dessous psychologiques et politiques de cet attentat dans la genèse duquel intervinrent deux ordres de facteurs : l’extrémisme ultranationaliste juif et la politique juive du communisme mondial dont le premier semble être à l’heure actuelle l’instrument plus ou moins conscient.
Article de Michel Lesure paru dans Le Monde libertaire, n° 13, décembre 1955, p. 3
La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit, c’est l’opium du peuple.
(K. MARX.)
FAISANT sienne la conception de Feuerbach sur l’esprit déiste, Marx la complétait en assignant à d’autres abstractions le soin de régler le sens des évolutions. C’est du commentaire des sophismes marxistes qu’est née la caste des clercs et des mandarins : les intellectuels dits de gauche, l’Intelligentsia, qu’il appartient à Raymond Aron de radiographier.
Article de Louis Chavance paru dans Le Monde libertaire,n° 23, décembre 1956, p. 4
SI la colère et le chagrin ne l’avaient emporté sur la curiosité, ce n’est pas sans amusement qu’on aurait pu assister aux contorsions des littérateurs distingués pour apaiser leur conscience, troublée par une atmosphère d’orage, après le coup de tonnerre de l’insurrection Hongroise. La tristesse serait d’ailleurs aussitôt revenue, devant les réactions de quelques honnêtes gens, asphyxiés par les nuages de confusion qu’ont répandus les faux penseurs.
Article d’Yves Rochefort paru dans Le Monde libertaire, n° 296, 11 janvier 1979, p. 5 et 8
ECRIRE un article sur Israël est un exercice périlleux, surtout si l’on veut évoquer l’avenir du Moyen-Orient. Du coup d’éclat de Anouar el Sadate à la Knesset aux espoirs déçus de Camp David, les rebondissements de l’actualité peuvent rendre caduques les prévisions les plus raisonnables. L’état de belligérance ne durera pas éternellement et un jour la paix sera signée entre les différents Etats et une vie différente commencera pour tous les habitants du Levant. Mais quelle paix ?
Face au problème de la guerre et de la misère dans cette partie du monde, les libertaires doivent avoir une position claire. Comme l’indiquait Maurice Joyeux dans une brochure consacrée au problème de la Palestine, seul compte pour nous le destin des individus, et nous éprouvons un intérêt médiocre pour les combinaisons des gouvernements et des puissances économiques. Mais il faut balayer les idées fausses et les a priori mortels. Il faut aussi rappeler quelques faits historiques incontestables et quelques vérités premières (1).
Article paru dans Le Libertaire, 76e année, nouvelle série, n° 6, janvier 1971, p. 3
Deux guerres dont il est beaucoup parlé – deux conflits « localisés » diront les stratèges – continuent de désoler deux régions, de décimer des populations : celles du Vietnam et du Moyen-Orient.
Dans les deux cas des « pourparlers de paix » se poursuivent nous dit-on : la conférence de Paris pour le Vietnam, les conversations de la mission Jarring pour le Moyen-Orient. Dans le premier cas les pourparlers n’ont jamais abouti à un cessez-le-feu, ni même positivement à un ralentissement des hostilités. Dans le deuxième cas les dirigeants jouent l’hypocrisie d’une « trêve » qu’aucun des belligérants n’entend prendre au sérieux, toute accalmie n’étant pour eux qu’un moyen de reprendre du souffle, de renforcer son dispositif de guerre pour pouvoir à la première occasion frapper plus fort.
La chaîne des « luttes de libération nationale » est longue : des charniers du VIET-NAM aux maquis palestiniens, la guerre continue ses ravages, écrasant sous son feu infernal les soldats dressés les uns contre les autres par leurs bourgeoisies respectives qui sont parvenues à les entraîner dans le bourbier de la guerre impérialiste.
Pour « héroïque » qu’elle soit, comme la qualifie la presse d’une prétendue « extrême gauche », cette lutte ne participe en rien à la Révolution Mondiale, ainsi que nous allons le voir dans cet article. Il ne se passe guère de jours sans que l’ « opinion publique » ne reçoive, à jets continus, les slogans anti-impérialistes dont, extrême-gauche et gauche sont si prolixes, mais peu nombreuses sont les voix pour s’élever contre ce carnage, non pas en pacifistes, mais en révolutionnaires internationalistes.
Article paru dans Union ouvrière, n° 3, février 1975, p. 2
Alors même qu’il est question de tentatives de « solution négociée » au Moyen-Orient, et que le ballet des diplomates s’intensifie, la course aux armements se poursuit. Tous les peuples de la région vivent dans de véritables camps retranchés, sous la botte des « grands » du capital.
Article paru dans Eléments, revue du Comité de la gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, n° 1, décembre 1968,p. 22-23
Nous avons estimé intéressant de publier un extrait d’un débat qui s’est tenu en juillet 1967 à Berlin et auquel participaient notamment, outre Marcuse, Rudi Dutschke et Wolfgang Lefèvre. Au cours de ce débat, le philosophe américain a été amené à préciser sa position sur le problème du Moyen-Orient.
Et maintenant l’antisémitisme. La propagande éclate mais elle avait commencé bien avant le procès de Prague. Mais pourquoi et comment est-ce possible vont se demander ceux qui n’ont pas encore su mesurer le cynisme stalinien – le « réalisme », disent les thuriféraires (et on a vu, sitôt après le procès, des staliniens honteux se précipiter à l’aide de Staline, démontrant doctoralement que « antisionisme » n’est pas antisémitisme).
La revue Esprit vient de consacrer tout un numéro à la « gauche américaine ». La vieille phraséologie politique a repris le pas depuis quelques années sur les désignations courantes suivant les classes sociales. On est de gauche et non plus bourgeois, petit-bourgeois ou ouvrier. Là aussi il est franchement mal porté d’être ouvrier. Que ce soit la conséquence d’un affaissement de l’esprit prolétarien, cela ne fait pas de doute. Mais c’est aussi le résultat d’une invasion du mouvement par les intellectuels et par toutes les couches de la petite-bourgeoisie, fonctionnaires en tête. Cet affaissement de l’esprit prolétarien, dans quelle mesure provient-il de l’étatisme russe et de l’étatisme tout court qui tend à submerger le monde, cela mériterait d’être examiné plus profondément. Contentons-nous aujourd’hui de le constater.
ÉDITÉS pour la première fois en 1936-38 « Les procès de Moscou » sont réédités périodiquement et chaque fois dans un pays différent du glacis stalinien. Les personnages variant seulement, les juges d’hier jouant bien souvent le rôle des accusés du jour, « ces procès » n’intéressent plus, n’émeuvent plus.
Article signé Un Russe hérétique paru dans La Révolution prolétarienne, 16e année, n° 4(305),juillet 1947, p. 1-4
Il s’agit de « J’ai choisi la liberté », de V.-A. Kravchenko. C’est simplement un témoignage sur la Russie actuelle et aussi sur les années qui ont amené cette Russie à devenir ce qu’elle est. Il ne faut pas se laisser arrêter par la lourdeur, les gaucheries, les redites, pas plus que par les maladresses voulues d’une traduction intentionnellement trop fidèle (et qui aussi, parfois, méconnaît, il faut bien l’avouer, quelques termes français de l’histoire des luttes ouvrières). Mais celui qui a un peu d’âme ne remarquera pas ces bavures en présence des angoisses que soulève la déposition de Kravchenko et qui est essentielle en ceci : aujourd’hui, sur le sixième du globe terrestre, dans l’Empire russe restauré, le travail forcé, le bagne dans son sens le plus direct est appliqué à des dizaines de millions d’hommes et de femmes et à des millions d’enfants.
Article de Benno Sternberg dit Hugo Bell paru dans Socialisme ou Barbarie,Volume III (6e année), janvier-mars 1954, p. 10-12
La période qui a suivi la révolte du 17 juin peut être divisée en deux étapes : la première occupe 3 à 4 semaines ; la seconde dure encore. La première de ces étapes est marquée par une tentative de libéralisation du régime. Un ouvrier put déclarer dans une assemblée d’usine : « Je suis fier du 17 juin » et sa déclaration fut reproduite par la presse du parti (1). Parallèlement un tournant économique s’amorce. Rappelons ici : la baisse des normes, la révision du plan en faveur de l’industrie légère, l’amélioration immédiate du ravitaillement. Cette première étape prit fin au cours de la seconde décade de juillet avec l’arrestation de Fechner et le limogeage de Herrnstadt et de Zaisser, promoteurs de la libéralisation.
Les journées de juin 1953 à Berlin-Est marquent la première preuve matérielle d’un renouveau possible de l’internationalisme ouvrier, faisant éclater les cadres de mouvements traditionnels et dépassés. Notre Cercle se devait de marquer cette date et d’envisager les perspectives d’avenir.
Article de Henri Johansen alias Ernest Salter paru dans La Révolution prolétarienne, n° 76 (377), octobre 1953, p. 16-18
Le 16 juin, Berlin et le monde furent bouleversés par le cri des travailleurs de Berlin-Est : « Grève générale » ! Depuis plus de deux décades ce cri n’avait plus retenti à travers l’Allemagne. L’action révolutionnaire semblait pour toujours appartenir au domaine de l’histoire. La barbarie fasciste avait démoralisé la classe ouvrière allemande, refoulant les principes révolutionnaires sur les rayons les plus secrets des bibliothèques totalitaires où, dénoncée comme littérature de « décomposition marxiste », elle semblait destinée à tomber en poussière.
Les grèves et les manifestations par lesquelles les ouvriers de Tchécoslovaquie ripostèrent à la « réforme monétaire » du 30 mai furent rapidement mises au second plan par le soulèvement du prolétariat de l’Allemagne de l’Est, survenu quelques jours après. Ce n’est certainement pas l’ouvrier de Pilsen, d’Ostrava ou de Kladno, qui éprouvera le regret de la primauté qu’il dut si vite céder à ses camarades de Berlin-Est ou de Magdebourg : le cri prodigieux « Nous sommes des ouvriers, nous ne voulons pas être des esclaves » retentit dans les rues de la capitale allemande au moment où l’ouvrier tchèque commençait à se rendre compte, au lendemain de sa révolte, que celle-ci n’avait pas eu d’écho chez les travailleurs des autres pays, qu’il avait eu tort de s’attendre à des manifestations de solidarité. Le soulèvement des travailleurs dans l’Allemagne occupée vint rompre cette solitude pénible.
L’impensable s’est produit à Berlin-Est et en Allemagne Orientale : la classe ouvrière d’un pays totalitaire où sont stationnées 30 divisions russes, où le parti communiste dispose de tous les leviers de commande, s’est révoltée contre une dictature implacable, a quitté les usines et les chantiers, a envahi les rues et les places publiques, pour crier sa colère et pour réclamer… Pour réclamer des salaires plus élevés ? Non pas : pour exiger la liberté. Réalise-t-on entièrement la signification de cet événement ? Cet exploit a été accompli par une classe ouvrière qui a subi 12 années de régime hitlérien et de guerre et huit années de régime « populaire » et d’occupation soviétique.
NOUS avons dénoncé, la semaine dernière, l’exploitation par la presse bourgeoise réactionnaire, des événements de Berlin-Est. De l’Aurore à Franc-Tireur, des rangs de la bourgeoisie la plus pourrie aux rangs de l’ignoble social-démocratie, on brûlait dans la joie le drapeau de la révolution, on chantait les bienfaits des pays libres, on faisait les louanges de la démocratie capitaliste vers laquelle se tournaient les ouvriers de Berlin-Est.
DANS un coup de tonnerre, le prolétariat allemand de la zone soviétique annonçait, le 17 juin, aux travailleurs du monde qu’il était encore un fois à l’avant-garde du mouvement ouvrier.
Le parti socialiste unifié de l’Allemagne orientale n’est plus. Les trois mots de son nom signifiaient trois mensonges : il n’était pas un parti, mais une agence de répression et d’exploitation au service d’un occupant impérialiste et totalitaire ; il usait du mot socialiste comme un assassin qui se servirait de la carte d’identité de sa victime ; il était unifié comme le loup est uni à l’agneau qu’il a dévoré. Il prétendait incarner et en même temps diriger le prolétariat. Quelques heures après le soulèvement des ouvriers ce parti s’est réfugié, tremblant, derrière les tanks qui allaient écraser l’insurrection ouvrière. Le rideau de brouillard est déchiré irréparablement. La contre-révolution totalitaire qui se déguise sous les drapeaux qu’elle a volés à la révolution et se réclame de l’unanimité prolétarienne, se trouve enfin démasquée aux yeux de tout un peuple qu’elle peut tuer, mais qu’elle ne pourra plus jamais tromper. Les journées de juin 1953 sont le commencement de la fin de la plus grande imposture non-religieuse que le monde ait jamais connue.
Article de Jean Blanzat paru dans Combat, 8 juillet 1949, p. 4
IGNAZIO SILONE est né en 1900 dans un village des Abruzzes. Son père possédait, dans ce pays aride, quelques hectares de terre, et, pour en compléter le revenu, la mère faisait du tissage. Ignazio n’avait pas quinze ans quand sa famille périt presque tout entière dans un tremblement de terre. Orphelin et sans ressources, Silone vint à Rome et gagna sa vie en vendant des journaux. Mais, déjà, la misère des « cafoni », les paysans de sa province, l’avait frappé ; à dix-sept ans, Silone était devenu secrétaire de l’un des premiers syndicats ouvriers agricoles.
Appel du Secrétariat international de la IVe Internationale paru dans La Vérité des travailleurs,n° 53, 15 décembre 1956, p. 10
A toutes les organisations ouvrières, à tous les travailleurs
Camarades,
Depuis plusieurs semaines déjà, les travailleurs hongrois luttent héroïquement pour la défense de leur pouvoir démocratique, des Conseils. Cette lutte est arrivée maintenant à un nouveau point crucial.
Article de Pannonicus paru dans Socialisme ou Barbarie, Volume IV (9e année), n° 21, mars-mai 1957, p. 105-112
C’est depuis une centaine d’années environ qu’on observe la tendance socialiste dans l’histoire ou, pour employer la phraséologie hégélienne, que le mouvement autonome de l’esprit pur « se socialise ». Il faut admettre que le mot « socialisme », en lui même, ne dit rien, ou plutôt dit trop. Derrière ce mot agissaient les hitlériens ; le « socialisme » est le principe déclaré de plusieurs gouvernements sociaux-démocrates et, horribile dictu, c’est au nom du « socialisme » qu’on exerce des dictatures sanguinaires, comme celle de Kadar en Hongrie.
Quand le pouvoir totalitaire éclate, l’appareil d’État s’effondre d’un coup. L’illusion de la toute-puissance politique se dissipe et les forces populaires réelles se manifestent au grand jour. Le régime que l’on disait soutenu et plébiscité à chaque élection par la quasi unanimité des citoyens se retrouve sans base aucune. Le parti unique, censé représenter l’ensemble des populations laborieuses, s’écroule en quelques heures. La police « du peuple », perdant toute autorité, est immédiatement pourchassée, traquée et massacrée par ceux qu’elle prétendait défendre.
Article de Cyrille Rousseau de Beauplan alias Philippe Guillaume paru dans Socialisme ou Barbarie, n° 20, décembre 1956-février 1957, Volume IV (8e année), p. 117-123.
UNE RÉVOLTE DE TOUT UN PEUPLE, PROLÉTARIAT ET JEUNES EN TÊTE
Tout le monde sait maintenant comment cela a débuté. A la suite de l’avènement au pouvoir de Gomulka en Pologne, un grand espoir s’est levé sur la Hongrie. Tout le monde espère le retour de Nagy, le Gomulka hongrois, parce que, comme en Pologne, cela signifie un certain allègement de la contrainte économique et une petite indépendance vis-à-vis des Russes, moins d’ingérence ouverte de ceux-ci et moins de prélèvements sans contrepartie des richesses produites par le pays. Ce n’est pas grand chose, mais c’est déjà énorme en comparaison d’un passé exécré, celui de Rakosi. Ces timides revendications viennent des écrivains communistes (cercle Petöfi) et des étudiants communistes. Ces écrivains ne sont pas des écrivains « bourgeois », ayant une situation indépendante, comme Mauriac ou Sartre en France. Ce sont tous de véritables fonctionnaires du parti communiste, des servants de son idéologie, comme le philosophe Lukacs et qui, tous, ont chanté les louanges des Rakosi et de son régime, même si ils l’ont fait parfois à contrecœur. Depuis la déstalinisation cependant, et plus particulièrement depuis les événements de Pologne, ils ont pris quelques libertés, se sont exprimés ouvertement, ont tenu des réunions. Les étudiants ne sont pas des étudiants bourgeois ; ce sont des fils de membres du parti, de dirigeants syndicaux, de fonctionnaires de l’État communiste et même d’ouvriers et de paysans, à qui le régime — qui a un énorme besoin de « cadres » — a donné, en échange de leur soumission, leur chance sur une échelle beaucoup plus grande que dans les pays capitalistes. Une manifestation est décidée pour le 23 octobre, mais peu après que les écrivains et les étudiants aient formé leur cortèges, toutes les autres couches de la population, dont essentiellement les ouvriers, se sont joints à eux jusqu’à former des cortèges s’élevant à plus de deux cent mille hommes, femmes et enfants.
Article de Gilbert Sigaux paru dans Combat, 10 août 1950, p. 4
IL ne faut pas chercher à définir et à comprendre les œuvres d’Ignazio Silone indépendamment de ses prises de position politiques. Lui-même nous en avertit :
« Écrire n’a pas été et ne pouvait être, pour moi, sauf en quelque rare moment de grâce, une sereine jouissance esthétique, mais la laborieuse et solitaire continuation d’une lutte, après que je me fus séparé de mes compagnons les plus chers ».
Le livre de B. Sarel constitue une contribution de premier ordre à la compréhension de l’univers bureaucratique et des luttes de classes qui s’y déroulent actuellement (1). Sobre, précis, documenté, Sarel nous fait pénétrer d’une manière extrêmement concrète dans la réalité quotidienne des rapports antagoniques qui se sont développés en Allemagne orientale entre le prolétariat et la nouvelle classe dirigeante du soi-disant régime socialiste. Sarel ne pose pas des affirmations dogmatiques générales sur les contradictions internes des régimes bureaucratiques, il fait parler les faits et souvent même les personnages, ouvriers ou bureaucrates, qui vivent tous les jours ce déchirement de la société. Peu à peu se reconstitue sous nos yeux l’histoire d’une lutte de classe, et la signification révolutionnaire que développe cette histoire.
Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 95, février 1969, p. 1
La récupération officielle du cadavre de Jan Palach, l’étudiant qui s’est suicidé par le feu, a permis au gouvernement tchécoslovaque de sauver encore une fois la face. Mais les appels au calme qu’il adresse sans arrêt aux étudiants comme aux ouvriers s’accompagnent de plus en plus de menaces contre les « extrémistes ».
Article paru dans Pouvoir Ouvrier, n° 89, mars-avril 1968, p. 5-8
Le remplacement de Novotny par Dubcek à la tête du P.C. tchécoslovaque s’est rapidement transformé en une vaste épuration de tout l’appareil dirigeant la société. Les bastions des « novotnyens » sont tombés l’un après l’autre. Limogeage de Chudik, président du Conseil National de Slovaquie, révocation du ministre de l’Intérieur Kaudna et du procureur général Bartuka, du ministre de la Défense Lomsky, du vice-président du Conseil Simunek. Finalement, c’est un nouveau gouvernement qui va être formé sous la présidence de Cernik remplaçant le stalinien Lenart. Quelques « bavures », bien sûr : fuite aux U.S.A. du général Sejna emportant des fonds et les plans militaires de l’Est, « suicide » du vice-ministre de la Défense Janko, « suicide » du vice-président de la Cour Suprême Brestransky, spécialiste en procès de haute trahison. Dans le parti lui-même, remaniement tout aussi radical : sur les dix membres du présidium du comité central, trois seulement sont restés en place : Dubcek, Cernik et Kolder.
Pour ceux qui pouvaient encore en douter, l’invasion et la mise au pas de la Tchécoslovaquie confirme, s’il en était besoin, le caractère impérialiste de l’État russe. Rappelons quand même qu’en 1939-40, à la suite de l’accord avec Hitler la Russie occupa les États Baltes, une partie de la Pologne, la Bucovine et la Bessarabie. L’agression contre la Finlande suivit. Puis à la fin de la seconde guerre mondiale ce fut le partage du monde de Yalta qui assurait à la Russie la domination de l’Europe de l’Est et d’une partie des Balkans. Depuis, l’impérialisme russe réagit brutalement lorsque ses conquêtes sont menacées. La répression de l’insurrection hongroise en 1956 est encore dans toutes les mémoires, au moins pour ceux qui ne sont pas trop jeunes. En Hongrie la bureaucratie russe défendait au surplus sa domination de classe contestée par les conseils ouvriers. Rappelons enfin que dans son affrontement avec l’impérialisme américain, l’impérialisme russe apporte un soutien mesuré aux bureaucraties nationales du Nord-Vietnam, d’Égypte, de Syrie, d’Algérie, de Cuba, etc.
Article paru dans Socialisme ou Barbarie, Volume IV (8e année), juillet-septembre 1956, n° 19, p. 116-120
Les ouvriers polonais viennent de répondre à leur manière au XXe Congrès. Tandis que dans le monde entier les dirigeants communistes rusent pour contenir les formidables remous que propage la déstalinisation, à Poznan, métallos et cheminots ont formulé sans qu’on les y convie leur propre critique qui est celle des armes : les ouvriers de l’usine Staline ont débrayé le 28 au matin, tenu un meeting monstre, appelé à leur aide les travailleurs des autres entreprises, et, après avoir défilé en scandant « c’est notre révolution. Du Pain. Démocratie. Liberté. A bas les bonzes » ils ont attaqué la prison et les Bureaux des services de sécurité. Le très libéral Cyrankiewicz peut bien insinuer que les révoltés sont des ouvriers arriérés et le sinistre Courtade les traiter de chouans, l’explosion de Poznan est trop forte pour qu’on puisse en dissimuler le sens : les ouvriers ne s’accommodent pas de la déstalinisation ; il ne leur suffit pas que les dirigeants sacrifient un ou deux de leurs anciens collègues terroristes et qu’ils affichent une soudaine horreur de la dictature stalinienne, ils veulent du pain, la liberté, la démocratie — bref ce qu’ont toujours voulu les ouvriers dans tous les régimes d’exploitation dès qu’ils sont entrés en lutte.
Les événements de Pologne de décembre 1970, ceux de Gdansk et de Lódz en janvier et février de cette année, démontrent que nous nous trouvons en présence d’un mouvement de fond de la classe ouvrière polonaise à l’échelle nationale. Loin d’avoir été brisé dans l’œuf par les fusillades dans les premiers jours, il a pris une ampleur croissante et de ce fait a posé des problèmes extrêmement difficiles en premier lieu aux dirigeants polonais, et a porté en outre la crise du stalinisme international à un niveau plus élevé que jamais.
Comme dans les explosions passées de la lutte de classe dans les pays capitalistes d’État (branche orientale du capitalisme), les travailleurs polonais viennent de marquer les limites du pouvoir de la classe dominante (que ce soit l’ancienne classe du parti — dirigeants politiques — ou les nouvelles classes de technocrates — dirigeants de l’économie).
La crise des intellectuels compagnons de route soulève, en premier lieu pour ceux-ci, des problèmes de la plus grande importance, tels les rapports des écrivains, artistes, etc…, et de leurs œuvres avec les masses et leurs luttes émancipatrices, avec les formes d’organisation qu’elles prennent (partis, États…).
« La Gauche » s’honore de publier dans ce numéro un article écrit pour nous par Albert Camus. Nul n’ignore, en France et à l’étranger, le talent et la qualité d’esprit du romancier, de l’auteur dramatique et du moraliste de « L’Étranger », « La Peste », « Caligula », « Le Mythe de Sisyphe ».
Qu’Albert Camus adhère ou non au R.D.R., cela importe peu. Il est de ces hommes libres qui sont d’accord avec nous sur la nécessité d’ouvrir des voies nouvellesà la pensée de gauche, d’engager des débats entre tous ceux qui n’acceptent ni le pourrissement ni le conformisme. Nous avons l’ambition dans ce journal de donner la parole à tous ceux qui par leur œuvre, par leur position politique, philosophique ou morale ont marqué leur volonté, avec toutes leurs nuances et divergences de pensée, de travailler à le transformation profonde d’un monde mal fait, de lutter contre l’injustice et l’oppression sous toutes leurs formes.
NOUS n’en aurions rien dit, s’il s’agissait seulement d’être étonné qu’un homme comme Sartre, dont nous n’oublions pas l’amical sourire, offre à présent le visage crispé du « sectarisme de l’incertitude ».
ALLONS-NOUS vers l’âge d’or ou vers une nouvelle barbarie ? Le régime de demain sera-t-il un capitalisme rénové sous la forme d’un capitalisme d’État, sera-t-il le socialisme, ou bien quelque chose d’entièrement original ?
ON se souvient de l’émotion que provoquèrent les procès de Moscou. S’évadant malaisément des analogies historiques, ceux qui pensaient à Thermidor se rappelaient Robespierre, Saint-Just, Couthon et Lebas gravissant l’échafaud en silence. Les condamnés russes, eux, non seulement se vantaient d’avoir voulu poignarder la révolution, assassiner son chef, vendre le pays à une puissance étrangère, mais enchérissaient sur l’accusation :
Article de Jane Albert-Hesse paru dans Franc-Tireur, 5 juillet 1951, p. 4
L’auteur du « Zéro et l’Infini » pose ici le problème de la démission de l’intelligence
L’IMAGINATION se refuse à distancer le présent : elle ne consent guère à s’adonner à des exercices propitiatoires que si elle cingle vers le fabuleux ; le fabuleux n’a pas d’âge et n’appartient pas plus à l’avenir qu’au passé. Les hommes acceptent malaisément d’anticiper, sauf à s’y donner un vertige de démiurge, et l’illusion d’une condition dominée : rien de plus aisé que de se représenter un miracle. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les grands délires scientifiques firent la vogue du roman d’anticipation. Aujourd’hui l’ère de l’optimisme est close ; l’anticipation a passé au service de la satire.
Article signé G. S. paru dansForce ouvrière, n° 119, 8 avril 1948, p. 14
Ce titre étrange reflète, à y regarder, un contenu d’une profondeur extraordinaire. En effet, nous avons lu, dernièrement, toute une série d’ouvrages qui nous ont dévoilé les dessous des sociétés totalitaires.
Richard Crossman, député aux communes et rédacteur en chef du New Statesman and Nation, nous explique que ce livre est issu du feu de discussions qui eurent lieu, un certain soir, chez Arthur Koestler, dans le Nord du pays de Galles.
Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 48, 21 novembre 1946, p. 11
Nous nous débattons tous, il faut en convenir, dans un chaos intellectuel indescriptible. Une immense supplication, comme une prière, monte des foules inquiètes vers ceux qui mènent le monde. « Dans votre sillage, messieurs, où allons-nous ? Où nous conduisez-vous ? » Telles sont les questions que, sourdement, se pose l’énorme majorité des hommes qui n’ont pas encore cessé de penser ni de réfléchir.
Article signé G. S. paru dans Force ouvrière, n° 50, 5 décembre 1946, p. 11
Albert Camus, l’éminent écrivain, dans une série d’articles publiés par Combat, définit notre siècle comme le « Siècle de la Peur ». Quoi de plus juste, de plus véridique ? Ferrero, dans ses grands ouvrages d’histoire, invoque le sentiment de la peur comme un des facteurs les plus puissants qui aboutissent à la guerre.
CE n’est pas autre chose qu’un roman de la vie russe d’avant la dernière guerre mondiale.
Écoutez la voix de Victor Serge. C’est un de ceux qui savent et qui va vous parler de ce qui se passe de l’autre côté, là-bas, en terre russe. Au moment où il écrivit ce livre, il revenait de Russie.
VOICI l’ouvrage qu’il faut recommander à tous les jeunes qui se demandent quelle signification peut prendre honnêtement la vie d’un révolutionnaire dont l’histoire a été trahie et qui survit aux multiples désastres sans aliéner son espoir ni même altérer son action. L’exemple est fantastique en notre temps de confusion : une pointe de platine.
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