LA réputation de Richard Wright a précédé chez nous la traduction de ses œuvres. « Black Boy » (1) et « Native Son », premier ouvrage publié en librairie (2), montrent que cette réputation n’est pas usurpée. Avec Wright, nous nous trouvons, en vérité, devant un des grands écrivains du moment. Dire qu’il est noir et Américain n’est pas plus le définir que de considérer seulement Kafka comme Juif et Tchèque, ou Tolstoï comme noble et Russe. Par quelque endroit, le génie transgresse les catégories raciales, sociales et nationales au sein desquelles il est né et a prospéré. De moins grands que Wright, le pittoresque Claude Mc Kay ou l’émouvant Langston Hughes laissent clairement voir leurs caractères ethniques. Ils se définissent d’abord par eux. Quand nous lisons « Native Son », nous oublions la nationalité de l’auteur et la couleur de sa peau.
LA lecture d’un récent livre du polémiste anglais George Orwell : « 1984 » nous fait tout à coup, brutalement, heurter du nez le pitoyable contraste entre les écrivains d’imagination des siècles précédents et ceux du XXe.
Lorsqu’en 1933, André Gide vint au communisme et à la défense de l’U. R. S. S., la presse du P. C. et de ses filiales donnèrent à cette adhésion un retentissement extraordinaire. L’événement en valait la peine car A. Gide est incontestablement un des meilleurs écrivains de ce pays et sa venue parmi les amis de l’U. R. S. S. était pour celle-ci une caution morale prestigieuse. D’autant plus, qu’il faut reconnaître à cet homme, en plus de son talent, un grand courage et une grande probité.
DIS-MOI chéri que je suis ta chérie. C’est pas une fille jaune qui te tombera…
Des refrains amoureux, des couples déchaînés dans la fureur du jazz. Des peaux d’un noir nuancé : chocolat, marron, olive, café, acajou, crème, mastic. Des étoffes aux couleur criardes : cravate rose, jaune et bleue, écharpe orange, jupe verte, bas champagne. On boit — gin ou whisky — on joue — poker ou zanzi — on se drogue — opium ou coco. On s’oublie, on s’enivre, on s’aime, on se bat, on assiste à tous les débordements d’une animalité intense.
MILITANT anarchiste en France en Espagne (1) rallié aux Soviets après 1917, opposant quelques années plus tard, Victor Serge n’a plus besoin d’être présenté. Personne n’a oublié « Les Hommes dans la prison, Naissance de notre force, l’An 1 de la révolution, Ville conquise, S’il est minuit dans le siècle, L’Affaire Toualev », chronique romancée de la lutte révolutionnaire de sa génération, Et pour nous qui prenons la relève, la lecture des articles de journaux, visionnaires, prophétiques que Serge légua au mouvement ouvrier nous sont toujours précieux.
Claude Mc Kay est un écrivain à peu près inconnu en France. C’est un noir américain né à la Jamaïque en 1890. Son enfance fut celle des petits paysans de couleur vivant dans les îles. L’un de ses frères, qui était instituteur, fut son premier éducateur.
Article de Breffel paru dans Le Libertaire, n° 63,10 janvier 1947, p. 3
La traduction du livre de Koestler a suscité en France une double querelle : certains y ont cherché la psychologie des victimes des Procès de Moscou ; d’autres y ont vu une critique du régime soviétique. Le choix exclusif d’un point de vue est ici assez vain. Les deux se justifient, s’il est vrai qu’il y a dans un livre, outre l’apport de l’auteur, ce que le lecteur y ajoute.
DEPUIS qu’est paru en français « Le Zéro et l’Infini », Arthur Koestler suscite à la fois l’injure et le dithyrambe. Certains le tiennent pour l’une des nombreuses têtes de l’hydre trotskyste et tournée de préférence vers l’« Intelligence Service », d’autres se réjouissent de penser qu’est enfin née et mise au point la machine de guerre contre l’U.R.S.S., le parti communiste et le mouvement révolutionnaire en général. Koestler lui-même s’aperçoit qu’il s’est placé sur une pente « cirée par les larges derrières des idéalistes passés au cynisme », qu’il est difficile de s’y cramponner et que « on y est bien seul ». Approuvé parfois par ceux qu’il méprise, méprisé d’autres fois par ceux dont il a été le compagnon de lutte, il se tient, en effet, dans une position qui manque de confort.
Article paru dans Le Libertaire, n° 30, 24 mai 1946, p. 2
« La mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain. Ainsi donc, n’envoie donc jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
(Hemingway.)
Au moment où les écrivains américains avec Faulkner, Miller, Steinbeck, Saroyan se disputent la critique sur le seul plan technique ; l’anglais Arthur Koestler, juif hongrois d’origine, devient le sujet d’une controverse beaucoup plus profonde. « Le Zéro et l’Infini » prend l’allure d’un manifeste.
Article d’André Bell paru dans Masses,n° 2, mai-juin 1931, p. 8
Ce livre est un exposé de la question noire aux Etats-Unis. L’auteur raconte comment la race noire a été introduite en Amérique, comment elle y a vécu avant et après l’abolition. Elle fait historique de la loi Lynch et montre les deux races en présence séparées par la ligne de couleur. Frontière d’ailleurs théorique, variable, d’une incertitude déconcertante. D’un côté, le privilège, la haine. De l’autre, la misère, l’effort d’une humanité méprisée et qui veut vivre. La poussée vers le Nord aujourd’hui arrêtée d’ailleurs par la crise économique. En dépit des lois, les noirs n’ont pas de droits. Et quoique leur situation ne soit pas la même dans le Sud et dans le Nord, ils restent partout les parias. Pas de contact avec la race maudite. Les blancs ne touchent pas les peaux noires, sauf aux jours de lynchage.
Article d’André Santon paru dans Masses, n° 14, avril-mai 1948, p. 33-34
On connaît les attaques dont l’écrivain noir Richard Wright est l’objet de la part des staliniens. Il a eu le tort d’abandonner le parti communiste américain il y a quelques années. Sa littérature ne saurait donc plus qu’être « réactionnaire » ou pis « existentialiste ». Malgré les protestations isolées d’un Vittorini en Italie, il est évident que Richard Wright, comme Dos Passos, Hemingway et peut-être Steinbeck, depuis son retour d’U.R.S.S., sont devenus des agents du « State Department ». Ou bien, comme Milles, « ils travaillent pour l’exportation », c’est-à-dire visent, sur un autre plan que la bombe atomique, la désintégration de la conscience révolutionnaire.
Article de D. Levi paru dans Le Libertaire, n° 58, 6 décembre 1946, p. 3
George Orwell est un des esprits les plus vivants parmi les travaillistes de gauche en Angleterre, ceux qui considèrent la « Tribune » comme leur organe et Aneurin Bevan comme leur chef ; braves gens qui croient honnêtement possible d’user du gouvernement comme d’un champ d’essai pour la construction d’une espèce de « Socialisme Libertaire », auquel ils attribuent la capacité d’agir dans le monde comme contre-poison préventif et curatif, face au développement toujours plus étendu de l’esprit d’autorité.
Article de Jean Vita paru dans Le Libertaire, n° 251, 12 janvier 1951, p. 2
POUR la noblesse de son style et de sa pensée qui contrastent tellement avec la manière constipée de Gide, Albert Camus a rapidement acquis sur la jeunesse de ce temps une influence virile et virilisante, qui relaie heureusement celle du tortueux Ménalque.
Article d’André Julien paru dans Le Libertaire, n° 85, 12 juillet 1947
AUTEUR de l’Etranger, du Mythe de Sisyphe, de Caligula, longtemps animateur de Combat, il est permis de dire qu’Albert Camus joue le rôle de chef d’une génération nouvelle.
Article paru dans Pouvoir ouvrier,n° 85, juillet-août 1967, p. 14
« Clara se couche sur le ventre et remonte sa robe. Des cicatrices profondes rayent ses cuisses et ses fesses, comme si des bêtes avaient mordu ses chairs…
– Ça, c’est la Gestapo, dit-elle d’une voix rauque. Puis elle s’assied et montrant ses mains, elle ajoute :
– Et ça, c’est le N.K.V.D.
Les bouts de ses doigts sont comme broyés, violacés, gonflés. Elle n’a plus d’ongles ».
Dans une petite revue qui se discute beaucoup parmi les intellectuels de la rive gauche (« Arguments »), une poignée d’anciens communistes s’efforcent de remettre en question la plupart des formules dites d’extrême gauche. Effort désordonné et inégal quant aux sujets traités, mais effort sympathique, car les « ex » qui le mènent ne sont ni de vieux fonctionnaires du parti ni des professionnels de la politique. Ni des Marty, ni des Hervé. Ils en sont à se demander si la révolte de Cronstadt ne signifiait pas le premier exemple, suffisant, de l’opposition entre parti et classe ouvrière. Ils publient des études sur l’évolution de la structure des classes salariées. Leur jargon se ressent encore de leur passage dans le parti communiste, et bien des tics défigurent leurs raisonnements qu’ils s’efforcent de mener droit. Cependant, ils ne pontifient ni ne tranchent. Ils cherchent. Si bien que dans l’étonnante sécheresse de la pensée socialiste qui caractérise notre époque, ce filet d’eau ou ces gouttes de sueur ne sont pas à dédaigner.
Article d’Aimé Patri paru dans Masses, n° 11, octobre-novembre 1947, p. 23-25
Il faut rappeler d’abord que la thèse soutenue dans le livre de Burnham est loin d’être une nouveauté pour ceux qui ont connu les controverses intérieures aux divers groupes d’opposition communiste avant la guerre. Nombreux ont été les adversaires communistes de Staline qui ont fini par penser que le régime établi en U. R. S. S. pouvait être autre chose qu’un simple phénomène de transition entre le capitalisme privé et le socialisme démocratique, correspondant en fait à un type historique nouveau et à l’avènement d’une nouvelle classe dirigeante qui n’était pas le prolétariat. On pourrait évoquer les thèses de l’infortuné Rakovski qui, rappelant la formule de Lénine en 1921, écrivait de son isolateur vers 1930 : « d’Etat prolétarien à déformation bureaucratique, nous nous développons de plus en plus en Etat bureaucratique à origine prolétarienne » et n’hésitait pas à parler d’une nouvelle « classe » sociale. Dès 1929, les thèses de Sopranov et de son groupe dit du « centralisme démocratique», en dehors des rangs du « trotskysme », soutenaient un point de vue analogue. Cette thèse a été, jusqu’en 1939, vivement combattue par Trotsky qui n’a pas hésité à rompre à ce propos avec plusieurs de ses anciens camarades dont Burnham lui-même ; mais il n’était pas le seul puisqu’on citerait encore Urbahns en Allemagne, Max Schatman en Amérique, etc. Rappelons encore qu’elle était familière aux camarades du noyau de « la Révolution prolétarienne » et de « Masses ». Remontant à des origines plus lointaines encore, on la trouverait exprimée par les anarchistes, par certains mencheviks russes et par des sociaux démocrates comme Kaustsky. Quant au rapprochement entre la structure interne de l’U. R. S. S. stalinienne et les régimes mussolinien et hitlérien, il s’était imposé aussi par la force des choses à beaucoup d’esprits.
J’aile plaisir d’informer mes amis et lecteurs de la parution d’une nouvelle recension de mon premier livre La Fabrique du Musulman (Libertalia, 2017)sur le blog jrdgn.
J’ai le plaisir d’annoncer la publication dans Le Monde diplomatique de ma note de lecture au sujet de l’essaide Philippe Pelletier, Effondrement et capitalisme vert. La collapsologie en question.
J’aile plaisir d’informer mes amis et lecteurs de la parution d’une nouvelle recension de mon premier livre La Fabrique du Musulman (Libertalia, 2017)sur le blog Dix ans de retard.
Article d’Edwy Plenel signé Joseph Krasny paru dans Quatrième Internationale,n° 1, nouvelle série,15 janvier 1972, p. 55-58
Curieusement, alors que la Révolution algérienne fut pendant plusieurs années à l’avant-garde de la Révolution africaine, rares — et même inexistantes — sont les tentatives de bilan, complet et détaillé, de l’histoire mouvementée de l’Algérie indépendante. Il est pour le moins significatif, alors qu’études, articles, ouvrages, fleurissaient avant le 19 juin 1965, de voir depuis le silence régner, seulement rompu par l’« Histoire de la guerre d’Algérie » en trois tomes d’Yves Courrière, intéressante malgré son caractère anecdotique, peu politique et non marxiste. En ce sens, l’ouvrage de Monique Laks représente un important pas en avant. Une lecture approfondie dissipe vite l’impression d’une étude limitée que semble cacher le titre, l’autogestion ouvrière représentant alors moins de 10 % du total des travailleurs employés dans l’industrie et le bâtiment.
Article de Maxime Rodinson paru dans Le Monde, 17 mai 1980
La dénonciation est salubre, utile, indispensable. Mais, pour beaucoup – j’en suis, – l’abord des livres de dénonciation est, au départ, méfiant, les dénonciateurs volontiers exagèrent ou manipulent les faits, dans l’idée qu’ils mobilisent mieux ainsi l’indignation du lecteur. Un tel aphorisme idéologico-philosophique admet aussi que, si la cause est bonne, peu importent les détails et l’exactitude des précisions. Le malheur est que beaucoup, ayant pris l’un ou l’autre en flagrant délit, ne croient plus en rien. Chat échaudé craint l’eau froide, le menteur n’est plus écouté, quand-même il dit la vérité, etc. Tout cela est connu depuis longtemps.
J’ai le plaisir d’annoncer la publication dans Le Monde diplomatique de ma note de lecture au sujet de l’essaide Bruno Astarian et Robert Ferro, Le ménage à trois de la lutte des classes. Classe moyenne salariée, prolétariat et capital.
J’ai le plaisir d’annoncer la publication dans Le Monde diplomatique de ma note de lecture au sujet de l’essai de Stéphanie Roza, La Gauche contre les Lumières ?
Mon texte intitulé « Après l’empire. De la haine, des Juifs et des Algériens en France » a été publié dans le dernier numéro de la revue en ligne Sciences et Actions Sociales.
Mon dernier article intitulé « Algérie-France : Affirmer un internationalisme révolutionnaire » vient de paraître dans La Révolution prolétarienne, n° 807 (décembre 2019), p. 7
Ma recension du livre de Pascal Delwit, Les gauches radicales en Europe. XIXe-XXIe siècles (Bruxelles, éditions de l’Université de Bruxelles, 2016), vient d’être publiée sur le site de la revue de sciences sociales Émulations.
En voici les premières lignes :
« Pascal Delwit, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles et auteur de nombreuses études sur les partis politiques, propose un ouvrage volumineux qui porte sur les organisations de la « gauche radicale » en Europe.
Ma recension de l’essai de Hocine Belalloufi, La Démocratie en Algérie, Réforme ou révolution ? (2012), mise en ligne le 18 avril 2013 sur Jadaliyya.
En voici le premier paragraphe :
On the shelves of bookstores in Algiers, a book appeared a few months ago whose cover immediately stood out. Under the image of a large classic-looking compass, in large and bold letters, is the question that Hocine Belalloufi tries to answer in roughly five hundred pages: Democracy in Algeria, Reform or Revolution? Since 2008, this former editor-in-chief of Alger Républicain and regular contributor to La Nation has issued a « plea for a new Arab revolution. » He undoubtedly draws on the political openings using the Tunisian revolution as a model. His new work asks us to « think about the Algerian crisis » fifty years after the liberation from colonialism and the imposition of an authoritarian regime.
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